Que ce soit les joueurs, les journalistes ou les supporteurs, tout le monde pense que Djamel Abdoun ne va pas rester au-delà du mois de juin prochain à Kavala. Certains croient même qu’il pourrait partir dès cet hiver, oubliant qu’il lui était impossible de jouer dans trois clubs différents, la même saison.
Mais pourquoi donc autant d’engouement autour de l’attaquant algérien, alors qu’il est encore sous contrat pour trois saisons avec le Kavala FC et qu’il s’y plaît comme nulle part ailleurs ? La question méritait bien un tour d’horizon parmi ceux qui ont le privilège de le voir jouer tous les week-ends. A commencer par les supporteurs de Kavala qui s’émerveillent chaque semaine de la technique hors pairs de cet algérien qui a su transformer leur club radicalement en le menant à une cinquième place jamais acquise par le passé.
Pavolis Iliadis (pdt du Fan club Kavala) : «Tous les ballons passent par lui»
Pavlos Iliadis est le président des ultras de l’AO. Kavala. C’est lui qui s’occupe de la vente des produits dérivés du club. Dans sa boutique, les murs sont jonchés de photos souvenir de son club préféré, créé en 1965. Il a vécu toute l’épopée des Bleu et blanc et, surtout, la fameuse demi-finale de la Coupe de Grèce, perdue en 2009 et dont le souvenir reste encore tout frais dans sa mémoire. Pavlos a vu défiler du monde à Kavala. «Abdoun ? C’est forcément l’un des meilleurs que j’ai vus ici. Mais il faudra attendre un peu, avant de le comparer à quelqu’un comme Lesec Pis qui reste le meilleur que Kavala a vu passer. C’était tout de même le capitaine de l’équipe nationale ! Si Djamel réussit à classer l’équipe mieux que la 6e place, on pourra alors le comparer à Pis. Mais au vu de ce qu’il a montré depuis son arrivée, il est indéniable qu’Abdoun est le vrai patron de l’équipe actuellement. C’est le dépositaire du jeu de Kavala. Tous les ballons passent par lui et croyez-moi, il sait quoi en faire», assure Iliadis qui est considéré comme le Manolo de l’équipe de Grèce.
«Si c’est un rêve, alors s’il vous plaît, ne me réveillez pas !»
Pavlos Iliadis est devenu célèbre dans toute l’Europe, depuis que Hellas -le nom véritable de la Grèce se prononce Hellada-, a réussi à surprendre le monde en arrachant la Coupe d’Europe des nations face au Portugal de Figo et Cristiano Ronaldo. «Si c’est un rêve, alors s’il vous plaît, ne me réveillez pas !», avait-il alors écrit sur une banderole restée mémorable depuis qu’il l’avait dépliée dans les rues de Lisbonne et à l’intérieur du stade.
Pavlos en est encore tout fier d’avoir trouvé cette phrase, aussi belle qu’éternelle. Aujourd’hui, c’est un autre rêve qu’il est en train de vivre avec cette improbable cinquième place qu’occupe son club de cœur. Et il ne veut nullement diminuer le mérite de l’international algérien dans ces résultats. «Djamel est tout simplement l’homme à tout faire dans notre équipe. Il nous a réconciliés avec le beau football qu’on admire en Grèce. Face au Panathinaïkos, il a été époustouflant en marquant nos deux buts. Il va finir par nous pousser à croire qu’on pourra terminer sur le podium, s’il continue à faire d’aussi bons matchs», rigole-t-il à moitié.
Petros Petropoulos (journaliste de Kavala)
Aujourd’hui, Iliadis n’en revient pas encore de voir son club arriver à tenir tête aux puissances locales, comme l’Olympiakos, le Panathinaikos ou l’AEK. Et pour cause, Kavala ne lâche rien jusqu’à présent et reste en embuscade, en espérant qu’un des habitués vienne à s’essouffler à mi-parcours. L’objectif inavoué n’est autre qu’une place qualificative en Europa League.
Ce qui était impensable pour les supporteurs devient aujourd’hui une belle réalité. Ce serait un événement sans précédent pour les 70 000 citoyens de la paisible ville touristique de Kavala, si Abdoun venait à le leur réaliser. Petros Petropoulos est un des plus grands journalistes locaux. Il suit Abdoun depuis son arrivée également. Il en parle avec beaucoup d’admiration. «Djamel est un joueur très remuant qui peut faire la différence à n’importe quel moment du match. Sans lui, Kavala ne joue pas le même football. Il est très intelligent dans son jeu. C’est pratiquement lui seul qui fait le jeu de son équipe. Il sait comment mettre le public debout. Les supporteurs l’adorent à Kavala et les autres le respectent», encense-t-il.
«Pourquoi les joueurs algériens prennent-ils autant de cartons rouges ?»
Petros a profité de notre présence pour nous demander pourquoi les joueurs algériens ont tous ce caractère irascible ? «Que ce soit Djebbour, Soltani ou Abdoun, ils sont souvent expulsés par les arbitres. On ne comprend pas bien comment ils réussissent à se débrouiller à chaque fois pour quitter le terrain à cause d’un carton rouge. Même en sélection, vous avez souvent des expulsés, comme à la CAN en Angola, face à l’Egypte. C’est peut-être le caractère des Algériens qu’on nous a décrit comme fort de tête et qui ne se laissent jamais faire», se demande notre ami journaliste qui semble avoir tout compris de l’Algérien, juste en décortiquant les trois prototypes qu’on leur a exportés… Sinon, en dehors de ces sautes d’humeur, les Grecs n’ont rien d’autre à reprocher aux footballeurs algériens qui ont gagné le respect de tous dans le pays.
Giorgos Tsianis : «Kavala ne pourra pas le garder longtemps, car son niveau est trop supérieur par rapport à ce club»
En effet, il n’y a pas un seul Grec qui ne vous donne pas ses impressions sur les footballeurs algériens. «Abdoun fera mieux que Djebbour si on lui donne l’occasion de jouer pour l’Olympiacos, l’AEK ou le Panathinaikos. Il est plus technique et beaucoup plus fort balle au pied, même si Djebbour reste un vrai tueur devant le but. Mais personnellement, je préfère le jeu séduisant de Djamel Abdoun. Lui, c’est un vrai génie qui sait tout faire avec un ballon de football. Je ne le vois pas rester au-delà du mois de juin à Kavala. D’ailleurs, on commence à parler de lui à l’OlympiaKos et au Panathinaikos. Le président de Kavala ne saura pas le garder longtemps, puisqu’il sait qu’il fera une très bonne affaire en le vendant aux géants du championnat», nous confie Giorgos Tsianis, un des admirateurs de Abdoun, mais supporteur de l’AE. Larissa.
«Sa place est dans un club comme Newcastle ou Everton, pas en Grèce !»
Giorgos rêve de voir Abdoun rejoindre l’AEL et s’énerve vite lorsqu’on prononce le K à la place du L, pour nommer son club de cœur. Ses amis Spyros Aylontis, Pasxalis Kantenis et Giorgos Foutsopoulos le taquinent souvent en lui faisant rappeler la place peu reluisante de dernier de la classe, occupée par son AEL. «Comment voudrais-tu qu’un joueur comme Abdoun accepte de venir jouer dans un tel club ? », rigole l’autre Giorgos. Pour ces quatre mordus de foot, il est très peu probable que Djamel Abdoun reste dans le championnat grec la saison prochaine. Pourquoi donc ? «Tout simplement parce que son niveau est trop grand par rapport à celui de nos plus grands clubs. Sa place est dans le championnat d’Angleterre. Peut-être pas tout de suite dans le big four, mais un club comme Newcastle ou Everton pourrait valoriser beaucoup mieux son immense talent. A sa place, je ne resterais pas longtemps en Grèce», assurent unanimement les quatre potes. Et si Abdoun venait à les écouter ?
Makis Psomiadis (patron du club)
«Djamel, c’est mon fils, c’est un bon gars. En plus d’être un très bon joueur, Djamel est mon fils. C’est quelqu’un qui donne beaucoup de joie aux supporteurs de Kavala. Tout le monde l’apprécie ici. Il est choyé et se sent très bien parmi nous. Voyez bien le cadre dans lequel il vit. Kavala est un beau tableau, voyez autour de vous toute la beauté de ce paysage, la mer et le reste. Djamel apprécie bien sa vie ici.»
Pierre Ducrocq (ancien joueur du PSG) : «Djamel a carrément baladé
Au PSG, vous avez joué avec Ali Benarbia. Un mot sur ce joueur ?
Oui, à Paris, on a joué deux saisons ensemble Ali et moi. Ce que je retiens de lui, c’est d’abord un homme extraordinaire. J’ai rarement vu un joueur plus malin que lui. Il était vraiment balaise, Ali Benarbia.
En quoi ça se ressentait ?
Il était petit de taille, un peu trapu qui ne payait pas de mine ; mais c’était carrément impossible de lui prendre la balle. Ce qu’il avait de différent par rapport aux autres, c’est qu’il allait toujours moins vite avec les jambes, mais en revanche, il était beaucoup plus rapide que tout le monde avec la tête. Il mettait donc tout le temps son corps en opposition et donnait toujours la bonne passe au bon moment. C’est un joueur qui jouait surtout avec la tête. Et puis, il avait une très bonne technique qui lui permettait de réaliser ce qu’il tentait.
Vous le Français qui avez grandi avec beaucoup d’Algériens, que vous êtes-vous dit en voyant tous ces joueurs formés en France, rejoindre la sélection d’Algérie et surtout la mener vaillamment en Coupe du monde ?
J’étais surtout content pour eux et pour l’exploit qu’ils avaient réalisé. C’est vrai qu’on a été très contents pour eux, parce qu’on sait surtout qu’ils avaient donné beaucoup de bonheur au peuple. Et comme on sait qu’en Algérie, le public est des plus passionnés, cela ne gâche rien au bonheur. J’ai longtemps côtoyé certains joueurs sur les terrains de France, mais aussi en club, comme Yazid Mansouri avec qui j’ai joué au Havre. Je ne vous cache pas que j’ai été très triste pour lui pendant le Mondial. Je n’avais pas compris qu’il soit écarté de la sorte à la dernière minute et qu’on ne lui permette même pas de jouer un bout de match de ce Mondial.
Il faut dire aussi qu’il y avait une grande concurrence à son poste…
Oui, c’est sûr que la concurrence, il en faut toujours dans une équipe. Mais il faut aussi avoir du respect pour des joueurs comme lui qui ont donné plusieurs années de leur vie à la sélection de son pays. Je pense qu’il méritait au moins de prendre part à la fête. Mais bon, cela est une histoire qui me dépasse…
Vous jouez aujourd’hui avec Djamel Abdoun. Peut-on vous demander de faire un parallèle entre son jeu et celui d’Ali Benarbia ?
Ils sont totalement différents dans leur style de jeu. Djamel joue beaucoup sur le dribble, mais aussi sur la vitesse. Il va plus vite avec le ballon. S’il y a des similitudes entre eux, il faudra les chercher peut-être au niveau de la dernière passe. Djamel, tout comme Ali, excelle dans la dernière passe et les centres. Après, Djamel est plus un joueur d’instinct. Avec le ballon à ses pieds, il vous fait des choses que personne ne pourra comprendre, alors qu’Ali Benarbia était beaucoup plus réfléchi, avec moins d’instinct, mais plus de réflexion, on va dire.
C’est quoi le poids de Djamel Abdoun au sein de votre équipe aujourd’hui ?
C’est le seul joueur de l’équipe qui est capable de garder le ballon assez longtemps dans les pieds tout seul…
Et c’est autorisé par le coach ?
Bien sûr ! Cela permet même au bloc de remonter. Ça fait beaucoup de bien à l’équipe. C’est vrai que forcément, il y a des fois où on a envie qu’il lâche un peu plus vite le ballon, mais il ne faut pas lui enlever ce mérite de permettre souvent à l’équipe de respirer.
Il a été carrément époustouflant lors du dernier match, avant de sortir sur carton rouge, non ?
Oui, carrément, mais ce n’est pas seulement dans ce match qu’il l’a été. Celui d’avant, contre le Panathinaïkos, Djamel a été encore plus impressionnant. Sur les quinze fois où il a tenté de partir tout seul sur son côté, il a réussi à passer pratiquement quinze fois. Il a baladé toute la défense. Non, non, Djamel a aussi ces qualités qui font de lui un joueur à part.
On dit aussi qu’il a un caractère un peu spécial au sein de l’équipe, non ?
On s’est déjà battus un petit peu lui et moi dans le vestiaire, à cause de son caractère justement.
Que s’est-il passé entre vous ?
Non, rien que des petites conneries d’après-match. C’étaient des mots échangés entre nous à chaud. Mais heureusement que ça n’a pas été loin cette histoire. Le plus important, c’est que cet accrochage est bien derrière nous et que tout se soit arrangé depuis. Mais c’est vrai que Djamel a une vraie tête de mule. C’est un caractère de m… mais d’un autre côté, on ne peut pas ne pas le lui pardonner, lorsqu’on apprend à le connaître mieux. Ce qui fait sa force par contre, c’est le fait qu’il soit insouciant et qu’il ne s’occupe pas des gens. C’est cela qui lui permet de rester déconnecté et de se concentrer mieux sur son jeu. Il y a du bon et du mauvais dans cela. A nous de plus valoriser le bon côté, parce qu’il ne fait jamais de mal à personne.
Partout où Djamel Abdoun est passé, on lui a reproché son sale caractère. Mais par la suite, tout le monde le lui pardonne. C’est quoi le secret de tout cela ?
A vrai dire, il y a des gens qui ont un mauvais caractère et qu’ils le font exprès, en calculant leurs coups. Ce n’est pas le cas de Djamel. Il est juste ainsi fait et je pense qu’il ne faut pas trop chercher à le changer. C’est à la fois sa force et sa faiblesse. A lui donc d’utiliser à bon escient ses forces et à nous de voir comment en tirer le maximum.
La Ligue 1, ça ne vous manque pas trop ?
C’est sûr que ça me manque. Surtout les gros matchs qu’on jouait à Paris, Marseille ou Lyon. En fait, j’essaie de profiter des moments que je passe ici et de vivre pleinement cette belle expérience en Grèce.
Mavrovasilis Tsianis (joueur de Kavala) : «C’est un joueur fantastique !»
«Abdoun a tout pour réussir dans un très grand club d’Europe. C’est un joueur fantastique qui vous donne envie de le voir jouer. Moi, quand il a le ballon, je vous assure que je me régale en le voyant faire toutes ces merveilles. C’est un vrai poison pour les défenses adverses. Il vaut mieux l’avoir comme coéquipier que comme adversaire. Tous les supporteurs de Kavala l’aiment parce qu’il sait leur donner du spectacle tout en étant décisif. Chaque équipe devrait avoir un joueur comme Djamel.»
Douglão : «De nous deux, c’est lui le ’Brésilien’»
Vous avez joué avec Djamel Abdoun à Nantes et vous voici de nouveau ensemble à Kavala. Vous êtes le mieux placé pour nous donner un avis sur la technique de l’Algérien.
C’est un super bon joueur qui joue avec beaucoup de facilités ses matchs. Son aisance technique lui permet de faire ce qu’il veut dans les défenses adverses. Ses passes sont lumineuses et le club de Kavala est en train de profiter de sa présence.
Si vous deviez comparer la technique d’Abdoun avec celle des joueurs brésiliens, que diriez-vous ?
La technique de Djamel est très particulière en fait. Même avec trois ou quatre joueurs à ses trousses, on est toujours sûr qu’il va bien se sortir de la situation et faire la passe. Quand on est sur le terrain, on attend tous de lui qu’il fasse le jeu. C’est en fait lui qui fait tout dans l’équipe. Je le connais très bien puisqu’on a joué ensemble à Nantes et je peux vous assurer que son poids est très important dans une équipe.
A-t-il changé par rapport au joueur que vous avez côtoyé à Nantes ?
Il est encore plus libéré qu’avant. Je dirai qu’il a beaucoup gagné en expérience aujourd’hui. Il est nettement plus fort qu’avant. Le fait d’avoir joué la Coupe du monde avec la sélection d’Algérie lui a apporté encore plus de poids. Avec un peu plus de travail, je suis sûr qu’il ne restera pas longtemps à Kavala.
Vous le voyez aller où la saison prochaine ?
Ce n’est pas pour lui jeter des fleurs que je dis cela, mais pour moi, Djamel est un joueur qui devrait jouer souvent la Ligue des champions. Je suis sûr que s’il bosse un peu plus cette saison, il atterrira dans un très grand club en juin prochain.
Selon vous, quel championnat lui irait le mieux ?
Je pense que même s’il devait aller dans un des plus grands clubs du championnat grec, comme l’Olympiakos ou le Panathinaikos, cela n’affecterait en rien sa progression. Bien au contraire, il sera encore plus fort. Mais je le verrai bien aller joueur en Espagne ou en Angleterre.
Vous êtes Brésilien et Djamel Abdoun est Algérien. Que pensez-vous de la technique de son jeu ?
Les Algériens sont très techniques et cela est connu de tous. Bien sûr que Djamel est quelqu’un de vraiment très fort techniquement. S’il a le ballon, soyez certain qu’il va en faire bon usage.
Qui de vous deux est le plus technique ?
Je suis un défenseur, forcément c’est lui le plus doué techniquement de nous deux.
C’est un «Brésilien» dans son jeu ?
Oui, on peut dire que c’est lui le Brésilien de nous deux. (ll se marre). Non, je dirai que c’est un Algérien et non pas un Brésilien. Je dis cela, car je voudrais valoriser la technique du footballeur algérien qui n’a rien à envier à personne, sur ce plan. La preuve, elle me saute aux yeux chaque jour avec Abdoun sur le terrain.