Premier jour de Ramadhan, premier jour de somnolence. A 8 heures, le soleil est déjà haut dans le ciel d’un bleu azur qui reflète sa béatitude sur l’océan ridé par des vaguelettes au large. La chaleur pointe de sa température qu’un siroco élève un peu plus en cette heure matinale. L’humidité n’est pas en reste.
Dans la ville, de timides allées et venues des lève-tôt. Peut-être des retardataires qui veulent rattraper ce qui reste sur le marché raflé largement déjà depuis une bonne semaine par les consommateurs toujours avides de remplir leurs couffins et leurs placards. Un approvisionnement digne des jours d’apocalypse, comme si rien n’allait subsister des produits alimentaires que l’on stocke sans raison apparente, n’était cette course effrénée contre la montre jusqu’à l’ultime minute de la rupture du jeûne. Dans la ville, ça dort encore. Ce n’est qu’à 9 heures, moment auquel le fonctionnaire est censé être au bureau, que la procession de véhicules se montre. Pour devenir infernale et les embouteillés s’accusent de vouloir pousser de l’aile pour grignoter sur le temps qui s’est écoulé sur les horaires de travail en ce mois de Ramadhan.
Premières bousculades, premiers retards. Le manque de sommeil se lit sur des visages blafards qui ont de la peine à épouser le nouveau rythme. Dans la ville, les éboueurs ne sont pas encore passés. Partout, aux abords des chaussées, sur les trottoirs, aux coins et recoins des ruelles, au seuil des cages d’escalier, autour des arbres, à l’entrée des maisons… des décharges publiques obstruent le passage aux piétons qui contournent ces amas nauséabonds déjà visités par chats de gouttière, chiens errants et autres rongeurs et dans lesquels fouinent des personnes à la recherche d’un reste encore solvable. Le regard du passant se détourne, un autre s’attarde compatissant… Quelques pas plus loin, des baguettes de pain entières jonchent le sol non loin des détritus ménagers. Dans la ville, pourtant, les bâtisses, comme programmé et promis, flambent neuves, fraîchement ravalées par les services de la wilaya. Mais le reste ne suit pas. A Djamaa Lihoud, ce quartier populaire à mi-chemin des grandes artères et de La Casbah, le vieil Alger a du mal à se débarrasser de ces amoncellements d’ordures qui encombrent la rue qui sépare les étals des fruits et légumes. A 19 heures, il n’y a aucune levée, même si les riverains affirment qu’il y a deux rotations des services d’hygiène par jour. En cette veille de Ramadhan, le camion à benne de la ville d’Alger a de quoi faire plusieurs passages…
Entre les voitures qui ont du mal à se frayer un chemin, les passants qui s’impatientent, en évitant les amas d’ordures, la tension monte d’un cran… Un autre stress, celui qui anime par les klaxons poussés à bout portant par les automobilistes qui rentrent de la plage. C’est le dernier jour avant un bon mois d’abstinence. De longues files de voitures empruntent à la queue leu leu l’autoroute Ouest, bondée à ne plus pouvoir. Même la bande d’arrêt d’urgence est prise d’assaut. Les caméras et les radars sont bafoués. Même les motards qui chassent les fraudeurs de cette ligne jaune remettent ça une fois dépassés ces petits barrages. Dans la ville et sa périphérie, les épiceries et les grandes surfaces sont touffues de monde.
On prend même à crédit. On passe commande de diouls industriels, de Hamoud Boualem, de sirop menthe, les plus prisés en ce mois de jeûne. Là, un automobiliste ralentit la circulation, il s’excuse juste pour la forme auprès des autres, prend à bras-le-corps des plateaux destinés au Kalb Ellouz. Ils sont acheminés au boulanger du coin qui, à l’occasion, renfloue sa caisse avec ce gâteau oriental. La reconversion est vite faite. En un mouvement de rideau. Même la zlabia se vend sur l’étalage des légumes et fruits. Quant au bouquet garni, il ne subsiste que son odeur. Et ce, même si dans la ville, il n’est point d’odeur du mois sacré qui, il y a quelques années seulement, s’annonçait bien avant son arrivée. Un parfum unique, repérable de loin, inconditionnel. Bon Ramadhan quand même !
Saliha Aouès