Cette tendance, qui a débuté au lendemain du fameux match historique d’Oumdormane, synonyme de qualification pour l’équipe nationale à la Coupe du monde 2010, est en train, deux ans après, de perdurer.
Plus, de prendre de l’ampleur. Cette tendance, c’est le ralliement massif des jeunes footballeurs algériens de France en faveur de l’équipe nationale d’Algérie.
Après Ryad Boudebouz, qui décidait au lendemain d’un Euro U19 avec les Bleuets où il a été la star, d’opter pour les Fennecs, alors qu’il était le grand espoir du football français et qu’une place chez les A, en bleu, l’attendait juste après la Coupe du monde ; Sofiane Feghouli, titulaire au FC Valence, troisième de Liga et autre grand espoir du football français, décida aussi de jouer pour les Fennecs d’Algérie au grand dam de la DTN de l’Hexagone, et, enfin, le jeune Mehdi Abeid, qui s’est prononcé pour l’Algérie dès sa signature au grand club anglais de Newcastle. Après ces deux stars, on annonce du côté de Dely Ibrahim l’arrivée imminente de Yacine Brahimi, le milieu titulaire de l’équipe de France espoir, et surtout Ishak Belfodil, l’attaquant de Parme, né en Algérie, et que la France avait naturalisé à seulement 16 ans, alors qu’il n’était pas encore majeur.
L’équipe de France n’a plus la cote
Pourquoi, alors qu’il y a seulement quelques années, l’équipe de France était assurée de récupérer les Franco-Algériens de «gros calibre», sortis tout jeunes, 16-18 ans à peine, de centres de formation où ils avaient été les leaders absolus alors que l’Algérie se contentait des binationaux qui avaient eu une éclosion plus lente ou ceux qui avaient dû passer par la voie parallèle pour arriver en professionnels sur le tard, ou encore un parcours chaotique au cours de leur jeune carrière, cette tendance s’est-elle inversée ? La réponse est simple et compliquée à la fois. Même si sur le plan de la carrière en club, de la rémunération, l’équipe de France avec ses 15000 euros, chaque fois que son nom figure sur la liste des convoqués, plus les primes de matchs en cas de victoire, ses infrastructures, ses assurances et ses moyens logistiques et médicaux colossaux restent au-dessus de ce qui se fait chez nous, bien que, depuis l’arrivée de Mohamed Raouraoua, l’équipe nationale ayant énormément progressé, il semble que l’équipe d’Algérie, grâce à d’autres arguments massues, ait réussi à convaincre ces jeunes qui ne rêvent aujourd’hui que de rejoindre la bande à Vahid Halilhodzic. Même si la fédération a su convaincre ces jeunes, le travail de Mohamed Raouraoua n’explique pas tout, la France a aussi perdu ces joueurs.
L’affaire des quotas et la rupture du pacte républicain
Ne dit-on pas toujours, pour expliquer la violence et le racisme dans les stades, que le football est à l’image de la société dans laquelle il se trouve. Aujourd’hui, le football français se trouve dans une société française où une crise économique sans précédent fait rage et où le musulman, symbolisé par l’image de «l’Arabe immigré», chez les couches les plus limitées intellectuellement de la société française, a été désigné par la classe politique hexagonale, incapable de donner du travail ou du logement à la population, comme le bouc émissaire parfait. Et le football, à travers l’équipe nationale, ne fait pas exception à la règle. Et la presse française, à travers le monopole exercé par le quotidien l’Equipe, se fait l’écho de toutes ces allusions nauséabondes en médiatisant certains faits, en les tronquant et en étouffant d’autres. Cela avait commencé par l’affaire scandaleuse des quotas, révélée par nos confrères de Médiapart, qui a été étouffée par le monde du football, la classe politique et la presse. S’en est suivie la première décision de Laurent Blanc, sélectionneur national, de supprimer les repas hallal en équipe de France, saluée par l’ensemble de la presse et des médias comme s’il s’agissait d’une victoire et, enfin, les continuelles interrogations des médias concernant l’implication des joueurs de l’équipe de France, s’interrogeant constamment sur des grandes radios comme RMC, sur le fait qu’ils ne chantent pas l’hymne national, alors que ce n’est pas une obligation, qu’ils ne sont pas patriotes et qu’ils ne sont que des racailles de banlieues attirés par l’argent. Après chaque match de l’équipe de France, on souligne le fait, avec un langage à peine plus soutenu, que certains joueurs, surtout ceux d’origine maghrébine ou assimilés (comme Ribéry), ou encore africaine, ne sont pas éduqués, que ce sont des voyous et des mauvais Français. Le dernier Euro en est l’illustration parfaite où certains joueurs ont été «lynchés» médiatiquement alors que la France a été éliminée en quarts de finale par le futur champion d’Europe, l’Espagne, ce qui n’a rien de déshonorant en soi. Tous ces facteurs ont brisé le ressort du «pacte républicain» qui régnait dans le football français et ont fait réfléchir les jeunes Franco-Algériens qui se disent que se faire traîner dans la boue, même pour 15000 euros par match, cela ne vaut pas le coup, quand on peut jouer avec respect de l’autre côté de la Méditerrannée.
La jurisprudence Nasri-Benzema a fait réfléchir
Karim Benzema est l’attaquant titulaire d’un des plus grands clubs du monde, le Real Madrid. Pourtant, il n’a pas la médiatisation qu’un joueur de son niveau devrait avoir, surtout à notre époque où le football est roi. Quasiment jamais invité dans des émissions de télévision, on montre ses buts sans s’extasier côté français et on le critique sur tous les plans, même sa façon de marcher avec «nonchalance» et on ne lui passe aucun problème familial en instruisant à charge, excès de vitesse ou autre erreur de jeunesse. On lui conteste même sa place d’attaquant vedette des Bleus au profit d’Olivier Giroud, qui, certes, a fait une grande saison, mais n’a pas l’expérience et le vécu de Benzema. Pour Samir Nasri, cela a été la même chose. Champion d’Angleterre avec Manchester City, avant l’Euro, la presse française qualifie carrément d’injustice sa présence dans les 23 pour l’Euro, et après son erreur de jeunesse et le fameux fermez vos … à la tribune de presse après son but contre l’Angleterre, on ne l’a plus lâché jusqu’à lui faire «péter un plomb» après l’élimination face à l’Espagne et son altercation avec un confrère de l’AFP. Le «casse-toi» du journaliste français a été gommé et on n’a retenu que les propos du joueur en soulignant sa mauvaise éducation. Résultat des courses : 3 matchs de suspension pour Nasri. En voyant cela, Belfodil, Brahimi et consorts n’ont pas envie de se faire tirer dessus à boulets rouges alors qu’ils mouillent le maillot d’une nation qui déjà les stigmatise et les traite de racailles, de cupides et s’attaque même à leurs parents en fustigeant leur éducation. Mais comme à chaque règle, il faut une exception. Certains joueurs comme Faouzi Ghoulam continuent de croire aux chimères «black, blanc, beur» nées au lendemain de la victoire de la France lors de la Coupe du monde 1998. Ghoulam, entraîné par Eric Mombaerts, le plus virulent concernant l’affaire des quotas, en équipe de France espoir, et qui déclarait après une sélection en match amical face à l’Islande, comme si rien ne s’était passé : «La France est le pays où je suis né, je lui dois tout. Pouvoir la représenter est un joli challenge. Je suis heureux de jouer en équipe nationale. La Marseillaise, le match en lui-même… ce sont vraiment des instants inoubliables. Et puis, c’est le niveau international. On apprend énormément dans ces matchs-là. Cela nous permet de nous juger par rapport aux joueurs de notre âge dans les autres pays.»
Hier, la génération Zidane, aujourd’hui la génération Ziani
Au lendemain de 1998, les jeunes joueurs d’origine algérienne nés en France, la génération des Meghni, Yebda, Anthar Yahia, etc. ont tous rêvé de Zidane et de son effigie sur l’arc de Triomphe, avenue des Champs-Elysées. Quatorze ans après, la nouvelle génération des «binationaux», celle des Feghouli, Boudebouz et Cadamuro, Abeid, comme les qualifie la FIFA, ne rêve que du Merreikh Stadium d’Oumdormane et des exploits de la bande à Karim Ziani drivée par Rabah Saadane. Cette génération est décomplexée par rapport à son origine algérienne et l’amour de son pays et n’hésite plus à dire non à une France qui leur montre à longueur de journaux télévisés qu’elle ne veut pas d’eux et de leurs semblables.
Ils veulent être adulés comme Feghouli, Soudani et Boudebouz
Dernier facteur qui a joué en faveur de l’Algérie, la ferveur par rapport au football, véritable sport roi. Aujourd’hui, grâce à internet et à la parabole, les joueurs peuvent voir la quasi-adoration des fous des Verts pour l’équipe nationale et ses joueurs. Ils voient l’accueil que les joueurs reçoivent à Alger et la médiatisation extrême dont ils font l’objet dans la presse nationale quel que soit leur club, alors qu’en France on ne fait que les stigmatiser. Les jeunes footballeurs veulent recevoir le même traitement que Sofiane Feghouli ou Ryad Boudebouz qui déclenchent des émeutes à chacune de leur apparition et veulent aussi le traitement de stars réservé aux footballeurs de l’équipe nationale par l’Algérie tout entière. Avec la nomination de Didier Deschamps sélectionneur de l’équipe de France, l’option de la continuité semble avoir été choisie par les instances du football français. Dans ces conditions, la première place de l’Algérie par rapport à la France concernant le choix définitif a de beaux jours devant elle.
M. B.