Interdiction aux grossistes de distribuer les produits fabriqués localement. Les producteurs locaux craignent d’être exposés à des pertes de parts de marché.
Les médicaments fabriqués localement risquent-ils de connaître de sérieux problèmes en matière de distribution ? En effet, les producteurs sont tenus d’approvisionner désormais directement les officines.
Une circulaire du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, datant du 29 mai dernier, exige des producteurs de créer leurs propres réseaux de distribution sans passer par les grossistes répartiteurs.
Lesquels auront désormais à distribuer uniquement les médicaments importés qui représentent quelque 80% du marché national. Les médicaments fabriqués localement, soit donc 20% du marché, seront ainsi défavorisés en raison de toutes les difficultés financières et organisationnelles que les producteurs et les pharmaciens d’officine auront à rencontrer.
Créer un réseau de distribution pour une gamme de 20 à 60 produits est une «aberration», estiment les producteurs nationaux. «Le premier distributeur national, opérant depuis plus de 15 ans, ne touche que 3000 officines.
Comment un producteur peut-il toucher 8000 officines installées sur le territoire national alors que ce n’est pas son métier, et qu’il doit le faire du jour au lendemain», soulignent unanimement les producteurs tout en affirmant que l’application de cette note entraînera obligatoirement des ruptures au niveau de milliers d’officines. «La moyenne de produits fabriqués localement, mis à part le groupe Saidal, ne dépasse pas une vingtaine pour certains fabricants.
Comment un producteur peut-il créer son réseau de distribution qui exige des investissements importants et un personnel qualifié pour une dizaine de produits. Combien de pharmaciens peut-il couvrir ?», s’interroge un fabricant qui estime qu’une telle décision est à l’encontre de la politique nationale du médicament prônée par les hautes autorités du pays, celle d’encourager la production locale.
Laquelle a connu un essor durant ces dernières années, souligne de son côté le porte-parole de l’Union nationale des opérateurs de la pharmacie (UNOP) grâce aux grossistes répartiteurs. «Un vecteur important dans la promotion du médicament fabriqué localement.
Le métier de distributeur est un métier à part entière, le producteur devrait se consacrer à son métier : élargir sa gamme de produits afin de réduire la facture à l’importation et assurer l’amélioration constante de la qualité.» Cette mesure, poursuit-il, prise sur la base d’un encouragement de la production nationale, va permettre aux producteurs nationaux de placer leurs produits au niveau des pharmacies directement.
Mais, «il aurait été judicieux d’autoriser les producteurs à faire de la vente directe aux officines, sans les limiter à leur seul réseau de distribution, afin de leur permettre d’avoir accès aux réseaux de distribution des grossistes répartiteurs», a-t-il souligné en déplorant l’absence de concertation avec les opérateurs.
En effet, si la problématique soulevée est réelle, la solution apportée risque de créer plus de difficultés aux producteurs nationaux qu’elle ne leur offrira de solution. Il signale que les produits importés pourront bénéficier du réseau de distribution de plus d’une centaine de distributeurs, tandis que le producteur national n’aura accès qu’à son seul réseau de distribution, ce qui le met en situation défavorable par rapport à ses concurrents importateurs.
Il signale que la production locale souffre déjà face à la force de promotion des multinationales et aux pratiques commerciales de certains laboratoires étrangers qui excellent dans la concurrence déloyale au vu et au su de tout le monde.
«Aucun producteur national ne peut accorder un an de crédit ni des unités gratuites, encore moins des remises allant de 50 à 150% pour les grossistes répartiteurs, ni pour les pharmaciens.
Si ces entreprises étrangères ont pu le faire durant des années, c’est parce qu’elles ont bénéficié de beaucoup d’avantages, en l’occurrence les prix d’enregistrement très élevés accordés par la direction de la pharmacie au ministère de la Santé. C’est à ce niveau-là que l’on doit agir», a-t-il déclaré.
«Une telle décision n’a pas d’impact négatif sur leur activité. Le grossiste va enregistrer effectivement une perte de 20% qui est insignifiante devant la distribution des produits importés qui, eux, représentent 80% de l’activité», nous confie un grossiste répartiteur. Il pense que les pharmaciens auront d’énormes difficultés à s’approvisionner auprès du producteur.
«Le pharmacien sera contraint de s’adresser à 15 ou à 20 producteurs pour des petites quantités (de 10 boîtes à un carton) au lieu d’avoir un seul opérateur chez qui il peut avoir toute sa liste de produits pour une seule facture au lieu d’une vingtaine et avec un délai de payement.» «A qui profite alors cette instruction ?», s’interroge un autre grossiste qui estime que le plus important est la disponibilité du médicament dans les officines et non qui va les distribuer.
Il est clair, a-t-il ajouté, que certains grossistes seront contraints de supprimer des postes de travail, puisque des marges seront réduites. Le médicament importé sera bien sûr favorisé. Pour le Syndicat national des pharmaciens d’officine (Snapo), l’instruction du Premier ministre est une décision «positive» et «permettra d’améliorer la disponibilité des médicaments fabriqués localement».
Le président du Snapo, M. Belambri, se félicite d’une telle instruction qui fait bénéficier au plan commercial le pharmacien qui pourra avoir des facilités de payement et des remises légales auprès des producteurs.
Exiger du producteur pour assurer la distribution ne peut qu’affaiblir la production locale qui a besoin de tous ses moyens financiers et humains pour se concentrer sur le développement de son outil industriel, estime le président de l’Ordre des pharmaciens d’Alger, M. Benbahmed.
Il considère que la distribution est un métier qui nécessite tout un savoir-faire et des investissements importants. «Ce qui nous inquiète est que le pharmacien risque de faire face à des tensions et des perturbations dans l’exercice officinal. Comme il faut s’attendre à des ruptures de ces produits.
Il n’y a aucun pays au monde où il est exigé au producteur d’être aussi distributeur», a-t-il ajouté en rappelant que durant les années 1990, avant la création du grossiste répartiteur, le pharmacien faisait la chaîne devant les usines de Saidal pour un carton de médicaments.
Va-t-on renouveler l’expérience 20 ans après, avec cette nouvelle instruction, sachant que la distribution assurée à l’époque par Digromed, entreprise de distribution pharmaceutique, avait montré ses limites ?
Djamila Kourta