En Algérie, une course pour contenir la colère

En Algérie, une course pour contenir la colère

C’est une course de vitesse. L’Etat algérien distribue une partie du produit de la rente pétrolière pour contenir le mécontentement social, mais voit fondre presque aussitôt le résultat escompté sous l’effet de l’inflation. Avec, pour les autorités, cette hantise croissante de ne pas se laisser entraîner dans un “printemps arabe” qu’elles ne maîtriseraient pas. “A tout moment, le cas algérien peut éclater”, estime le sociologue Nourredine Hakiki, directeur du laboratoire du changement social à l’université Alger-II.

L’effort engagé par l’Etat dans le domaine économique et social “est une chance dont dispose encore l’Algérie au milieu d’un environnement économique international tendu et incertain”, a déclaré le premier ministre Ahmed Ouyahia, en inaugurant, jeudi 29 septembre, une conférence prévue sur deux jours entre l’Etat, le patronat et l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) – la deuxième du genre en à peine six mois. “Un environnement, a cependant reconnu M. Ouyahia, dont nous ne sommes ni isolés ni à l’abri.”

Après avoir augmenté les salaires de nombreuses catégories professionnelles, dans des proportions défiant toute concurrence, les autorités algériennes continuent de mettre l’accent sur le pouvoir d’achat. La réunion tripartite, qui a exclu tous les syndicats autonomes, pourtant de plus en plus audibles en Algérie, devrait aboutir au relèvement du salaire minimum fixé jusqu’ici à 1 500 dinars (150 euros au change officiel).

Cette mesure intervient après bien d’autres, comme “l’opération cartable” – la fourniture gratuite de matériel scolaire lancée à la rentrée, début septembre, pour venir en aide aux familles -, les plans d’aide à l’emploi, les programmes massifs de logement et la subvention de produits de grande consommation.

“La politique sociale n’est pas la charité”, dénonce l’ancien premier ministre Ahmed Benbitour, auteur d’une “Lettre programme à tous ceux qui ont à coeur de sauver l’Algérie”, et qui milite aujourd’hui pour un “changement négocié” de régime. Jusqu’ici, “la réponse du pouvoir, ajoute-t-il, a consisté à essayer d’améliorer l’efficacité de la répression sans violence, en désarmant les policiers, à vendre des réformes cosmétiques et à agrandir le cercle des courtisans en distribuant la rente “. “Cela fait gagner du temps, poursuit M. Benbitour, mais ne rien faire par rapport à la perte de la morale collective, à la pauvreté et à la corruption généralisée, c’est aller tout droit vers une explosion sociale.”

Le filet social mis en place par le pouvoir algérien a contenu la contestation qui n’a débouché sur aucun mouvement d’ampleur, même si, chaque jour, des émeutes sont signalées dans le pays. Mais il a un coût : 8,2 milliards de dinars de dépense publique inscrits dans la loi de finances complémentaire 2011, avec pour conséquence le creusement du déficit budgétaire, évalué à 33,9 % du produit intérieur brut (PIB). Les importations de produits alimentaires ont atteint un niveau record. Et l’inflation galope. Le coût du logement, hors programme social, s’est envolé, même pour les plus modestes. Selon le quotidien El Watan, le prix d’une “baraque” à Kerrouche, l’un des plus grands bidonvilles du pays à 40 kilomètres d’Alger, a doublé en quatre ans, passant de 150 000 à 300 000 dinars.

Entre août et septembre, les prix des fruits et légumes ont flambé. Classique après la période de ramadan, l’augmentation de certains produits alimentaires a atteint, cette année, une “ampleur inégalée”, selon Amir, un marchand de primeurs installé dans la Basse Casbah d’Alger. “Je ne sais pas ce qui se passe, mais avant, il y avait une différence entre les produits locaux et importés, maintenant c’est pareil”, ajoute-t-il en désignant sur son étal des poires locales à côté d’autres venues d’Argentine. Un peu plus loin, sur le marché du quartier de la place aux Martyrs, Leïla Habba, une mère de famille, scrute les étiquettes, un sac à la main. “Ça fait une différence tout de même, soupire-t-elle. En ce moment, je n’achète plus ni haricots ni salade.”

L’absence d’une opposition forte dans des pays où ont eu lieu des soulèvements, comme la Tunisie ou l’Egypte, a convaincu les autorités algériennes qu’elles n’étaient pas, elles non plus, à l’abri, mais qu’elles pouvaient utiliser la rente des hydrocarbures comme un rempart. La chute, en Libye, du régime du colonel Kadhafi, et ses implications régionales, est venue renforcer le sentiment de l’urgence. “Au sommet de l’Etat, c’est la panique générale, il donne, et l’Algérien ne veut plus, analyse Nourredine Hakiki. Il n’y a pas d’autre solution pour s’en sortir et échapper aux mouvements de violence que de mettre en place un processus démocratique, avec des élus choisis par les citoyens et capables de leur tenir un discours de vérité, mais la génération qui a accaparé le pouvoir depuis l’indépendance ne veut pas le comprendre.”

Isabelle Mandraud

(lemonde.fr)