En Algérie, le secteur de l’énergie roule pour lui-même

En Algérie, le secteur de l’énergie roule pour lui-même

Malgré leur poids dans le PIB et les recettes extérieures de l’Algérie, les hydrocarbures n’ont pas d’impact sur le fonctionnement de l’économie.

Les incertitudes sur l’avenir des gisements en cours d’exploitation poussent à investir davantage dans l’exploration, ce qui provoque une situation inédite : le secteur de l’énergie consomme une part grandissante de la rente qu’il procure.

Les chiffres donnent le vertige. Les investissements du secteur de l’énergie devraient dépasser les 100 milliards de dollars à l’horizon 2017, mais leur impact sur l’économie reste marginal. Ce qui crée un véritable malaise, avec cette impression que le monde des hydrocarbures est totalement déconnecté du reste de l’économie algérienne. Le secteur de l’énergie n’arrive pas à provoquer l’effet d’entrainement attendu, alors que l’un des objectifs fixés au secteur, depuis quatre décennies, est précisément de favoriser l’émergence d’une économie non dépendante des hydrocarbures. Avec une tendance qui devient inquiétante: le secteur de l’énergie est le premier consommateur de la rente qu’il génère.

Comme dans une surenchère verbale, les dirigeants évoquent des chiffres de plus en plus élevés. Depuis que le président Abdelaziz Bouteflika avait annoncé le chiffre de 285 milliards de dollars d’investissements dans le pays pour la période 2010-2014, c’est devenu une sorte de mode, pour savoir à qui revient le palme du chiffre le plus impressionnant.

Trois hommes se partagent le privilège de jongler avec ces chiffres. Le ministre de l’Energie, Youcef Yousfi, a donné les grandes lignes de cette évolution, même s’il a toujours soigneusement évité d’utiliser des propos alarmants. Mais la réalité est désormais connue : les gisements algériens ont entamé leur déclin ; Hassi-R’mel, pour le gaz, et Hassi-Messaoud, pour le pétrole, peinent à se maintenir, et un incident comme celui de Tiguentourine, provoque une baisse de la production. L’Algérie n’a visiblement pas une marge très élevée. Elle doit donc consentir un effort énorme dans la prospection, en vue de renouveler ses réserves, et augmenter une production dont une partie de plus en plus importante est désormais consacrée à la consommation interne, au détriment des exportations.

Le PDG de Sonatrach, M. Abdelhamid Zerguine, a de son côté annoncé 68 milliards de dollars d’investissements entre 2012 et 2016, avant de réviser ces estimations à la hausse, pour parler de 80 milliards de dollars. Ceci représente une moyenne de 16 milliards de dollars par an. Malgré les difficultés à maintenir ce rythme d’investissements, M. Zerguine persiste, et annonce 15 milliards de dollars pour 2013. Pour le seul raffinage –l’Algérie importe pour trois milliards de dollars de carburants-, les investissements devraient atteindre 14 milliards de dollars dans les années à venir. Le patron de Sonatrach a pris soin de préciser, à plusieurs reprises, que ce niveau d’investissement ne dépendra pas des prix des hydrocarbures. Pour lui, Sonatrach a une feuille de route, et s’y accrochera, indépendamment du marché de l’énergie.

EQUIPEMENTS COUTEUX

Sonelgaz, autre géant, du secteur, affiche des ambitions de même grandeur. Son PDG, Noureddine Boutarfa, promet 80 milliards de dollars d’investissements à l’horizon 2030, dont 30 milliards pour la période allant jusqu’à 2017. Objectif : mettre à niveau le système de production et de distribution, après le sous-investissement de l’ère Chakib Khelil, et accompagner une demande qui devrait doubler à l’horizon 2017. A cela s’ajoute des ambitions dans les énergies renouvelables, ambitions affichées, mais qui relèvent plus de l’intention que des projets.

Les investissements cumulés de Sonatrach et Sonelgaz devraient ainsi atteindre 22 milliards de dollars par an. Ceci représente, en valeur, la moitié des crédits à l’investissement consentis par les banques algériennes durant l’année 2012. Le montant, très élevé, s’explique par le coût des équipements, à très forte valeur capitalistique dans le domaine de l’énergie. De plus, il s’agit souvent de contrats signés avec des multinationales, à l’exemple de ceux conclus avec l’italien ENI, le canadien SNC Lavalin ou l’américain Anadarko. L’italien ENI a remporté, à lui seul, des contrats pour 11 milliards de dollars. Les commandes de cinq raffineries nouvelles, ainsi que la rénovation de celles déjà existantes, tout comme l’entretien et l’élargissement de complexes gaziers, dépendent totalement de compagnies étrangères, avec des coûts onéreux.

Mais au final, l’argent engagé a un impact extrêmement limité sur l’économie algérienne. A l’exception du coût de l’énergie, maintenu à un niveau très bas, à coups de subventions, pour tirer les coûts de production de l’industrie vers le bas, il y a peu d’impact sur le tissu industriel du pays. Les subventions de l’énergie s’élèvent à dix milliards de dollars par an, selon une étude de l’ONU. Sans cette aide, la croissance de l’économie algérienne, 2.46% en 2012, aurait été nulle, estime un économiste.

DECROCHAGE INQUIETANT

Mais pour le reste, il n’y a pas de vraie connexion entre le secteur l’énergie et l’industrie. L’Algérie ne compte même pas de projets d’envergure dans le domaine de la pétrochimie. Ce qui inquiète les économistes, comme Amor Khelif, qui note ce «décrochage» entre le secteur de l’énergie et le reste de l’économie. Ultime ironie de cette déconnexion, le secteur de l’énergie n’arrive même pas à encourager les énergies renouvelables. Bien au contraire, la politique des prix en vigueur «décourage les investissements dans le solaire», alors que le pays pourrait devenir un des plus grands laboratoires du monde, en raison des potentialités disponibles. Mais l’énergie solaire reste quatre à six fois plus chère que les énergies traditionnelles, selon un technicien travaillant pour une entreprise qui installe des panneaux solaires. «Non seulement le secteur de l’énergie n’encourage pas le reste de l’économie, mais il a tendance à en étouffer certains», dit-il, désabusé.

Un autre spécialiste a noté, de son côté que Sonatrach a investi 40 milliards de dollars entre 2008 et 2011. Malgré cet effort, le résultat est surprenant, car la production d’hydrocarbures a baissé en 2012, selon les bilans rendus publics. A quoi ont servi ces investissements ? Ultime paradoxe, le secteur des hydrocarbures a peu d’impact sur l’emploi. La directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a parfaitement résumé ce dernier point, en soulignant que les hydrocarbures fournissent 98% des recettes d’exportations, 40% du PIB mais seulement deux pour cent de l’emploi.