Le pouvoir a repris, mercredi 8 juillet, le contrôle des rues d’Urumqi (nord-ouest) où, la veille, des milliers de Chinois hans munis d’armes hétéroclites avaient défilé dans la capitale du Xinjiang, en promettant d’en découdre avec les musulmans ouïgours.
La reprise de contrôle est musclée : la grande métropole hérissée de gratte-ciels et de mosquées est parcourue par des colonnes de véhicules blindés et de camions des forces paramilitaires dont les hommes en treillis camouflés, casqués, fusils mitrailleurs à l’épaule, défilent sur les grandes artères en poussant des cris martiaux.
Dans le ciel nuageux, un hélicoptère bourdonne en survolant le centre-ville.
Après un temps de flottement, où les autorités ont semblé hésiter quant à la stratégie à adopter, le pouvoir affiche désormais sa volonté de ne pas laisser les bandes équipées de bâtons, de barres de fer, de clefs à molettes, de sabres et de couteaux organiser ce qui aurait pu dégénérer en un pogrom contre les Turcophones.
Ces derniers, qui représentent la majorité de la population du Xinjiang et qui sont réduits à l’état de minorité dans la capitale de la « Région autonome ouïgoure du Xinjiang », sont accusés par les Hans et Pékin d’avoir été les premiers à organiser une émeute intercommunautaire, dimanche.
Le bilan s’élève à près de 160 morts et plus d’un millier de blessés.
Ambiance de guerre
Au sortir d’une nuit de couvre-feu lors de laquelle les forces de sécurité se sont employées à boucler les quartiers ouïgours afin d’empêcher d’éventuels groupes armés d’y pénétrer, la ville s’est réveillée dans une ambiance de guerre. Un semblant de normalité a cependant été réinstauré, même si la plupart des commerces restent fermés.
« Nous sommes soulagés, nous avions très peur hier, je n’ai pas bougé d’ici », confie un Ouïgour d’un certain âge rencontré dans un hôpital, mercredi matin.
Un face-à-face tendu opposait cependant au même moment dans un autre quartier de la ville un groupe d’Ouïgours à la police.
Les plus pessimistes redoutent que les derniers événements ne creusent un peu plus le fossé intercommunautaire.
Même si les clivages sont plus compliqués qu’il n’y paraît.
Pour certains Ouïgours éduqués et sinophones d’Urumqi, les émeutiers de dimanche ne sont « que des paysans analphabètes émigrés récemment en ville depuis les districts pauvres du sud du Xinjiang et qui ruinent notre réputation, notre vie et les relations que nous avons tissées avec les Hans », comme l’affirme une vendeuse de poteries en gros dont la boutique jouxte un concessionnaire automobile incendié.
« Il faut respecter le gouvernement et les autorités », conclut une dame ouïgoure en fichu vert, qui préfère garder un prudent anonymat.
Mardi, la situation semble avoir dérapé brusquement : en début d’après-midi, alors que le calme semblait prévaloir depuis la matinée, des sortes de groupes d’autodéfense se sont formés au coin des rues.
Soudain, tous les Hans étaient armés, au minimum d’un manche à balai sans le balai; les jeunes comme les personnes âgées, les hommes comme les élégantes en robes d’été.
A l’angle de la Place du peuple, cœur du centre-ville, une trentaine d’hommes en chemises blanches, des employés de la banque Huaxia, se sont attroupés sur le trottoir.
« Nos familles sont innocentes et il faut que l’on se protège. Aujourd’hui, on dit que ça va exploser à nouveau comme dimanche. Ce n’est pas parce qu’ils [les Ouïgours] veulent défendre leurs droits de l’homme qu’il faut attaquer les nôtres ! », vociférait l’un d’eux.
Au fur et à mesure que les heures passaient, une foule de plus en plus nombreuse se formait, tournant autour de la place, hurlant des slogans, défiant la police.
Un jeune a proposé en hurlant à ses camarades de marcher vers le quartier ouïgour : « Allons tuer les meurtriers ! Vengeons-nous ! »
Dans une rue adjacente, des cris se sont élevés : des « miliciens » venaient de fracasser le pare-brise d’une petite voiture rouge.
Un Ouïgour était au volant. Il s’est enfui. Arrivés sur la place Nanmen, située non loin du quartier ouïgour, les protestataires criaient de nouveaux slogans, aux relents clairement nationalistes : « Vive l’unité du peuple han ! ».
Plus tard, des échauffourées éclateront aux abords du quartier ouïgour. Selon certains témoignages non recoupés, plusieurs Turcophones auraient été tués dans la soirée.
De nombreuses zones d’ombres subsistent
Les circonstances de l’émeute de dimanche restent par ailleurs confuses et de nombreuses zones d’ombres subsistent.
Aussi bien sur la violence ouïgoure à l’égard des Hans que sur la façon dont les forces de l’ordre ont répondu aux attaques des premiers.
Une touriste française, restée bloquée toute la nuit lors des troubles, raconte avoir entendu « tirer des coups de feu toute la nuit », ce qui fait penser que la répression policière a dû être très dure.
A l’Hôpital du peuple de la préfecture, situé en pleine zone d’habitation ouïgoure, nous avons pu obtenir les chiffres des blessés, des morts et de leurs origines ethniques.
Selon une source médicale qui a demandé à ne pas être nommément citée, 362 personnes ont été hospitalisées dimanche soir des suites de blessures reçues durant les affrontements.
Près de 234 étaient hans, 60 ouïgours, le reste appartenant à diverses autres petites minorités ethniques. Vingt-et-un patients sont morts par la suite, trois étaient des turcophones, dix-huit hans.
Ces proportions ne permettent cependant pas de déterminer si ce bilan est représentatif de manière plus globale car il y a beaucoup d’autres hôpitaux dans Urumqi.
Sur un lit du service des urgences, Liu Hongtao, chinois han originaire de la province centrale du Henan et âgé d’une trentaine d’années, a brièvement raconté son histoire : « J’étais en train d’attendre le bus 61. Je suis plombier, je rentrais du travail. Des Ouïgours m’ont agressé par derrière en me frappant du plat d’un sabre. J’ai couru, je perdais beaucoup de sang ».
Il montre les points de suture sur son cou, la plaie derrière le crâne, le pansement autour du pouce. Que va-t-il faire maintenant ? « Eh bien je vais pas rester longtemps dans le coin… »