Une semaine après les violentes émeutes qui ont ensanglanté Urumqi, la capitale du Xinjiang, des zones d’ombres subsistent, à tel point qu’il reste encore malaisé de reconstituer les événements.
Les envoyés spéciaux de la presse étrangère ont certes été autorisés à travailler dans des conditions exceptionnelles de liberté mais les versions officielles ne suffisent pas à faire toute la lumière sur le « dimanche noir » du 5 juillet.
D’autant que celles-ci sont contredites par celles de certains témoignages recueillis sur place et par les affirmations des organisations ouïgoures en exil à l’étranger.
Que s’est-il passé le 5 juillet ?

En fin de journée, une manifestation de plusieurs centaines d’étudiants se forme sur la Place du peuple, le coeur d’Urumqi, pour demander au gouvernement de mener une enquête afin de comprendre dans quelles conditions, le 26 juin, deux ouvriers d’ethnie ouïgoure ont été tués lors d’affrontements avec des Chinois hans dans une usine de jouets de la province de Canton (sud-est).
Ces bagarres avaient éclaté après que des membres des deux communautés se soient mutuellement accusés d’avoir violé, ou tenté de violer, une femme de leur ethnie respective.
La manifestation à Urumqi est dispersée dans des conditions discutées : la police s’est-elle montrée particulièrement brutale ?
C’est ce que disent nombre de Ouïgours, tandis que les autorités affirment avoir « convaincu » les étudiants de mettre fin à leur rassemblement. C’est ensuite que la situation a dégénéré.
Comment et pourquoi la manifestation a été décidée ?
D’après des témoignages, que Le Monde a recueillis le 8 juillet à l’université d’Urumqi – où tous nos interlocuteurs ont nié avoir participé à la manifestation du 5 juillet -, une lettre ouverte circulait sur Internet depuis plusieurs jours.
Selon un doctorant, ce document, adressé à Nur Bekri, le président de la région autonome ouïgoure du Xinjiang, demandait précisément au plus haut responsable turcophone de la région – le numéro un local, chef du Parti communiste, est un Chinois han – qu’une enquête soit diligentée sur l’affaire de Canton.
La lettre est restée sans réponse. Quelqu’un a alors eu l’idée du rassemblement « pacifique », comme le dit notre interlocuteur.
Selon des observateurs à Pékin, les autorités étaient parfaitement informées du fait que quelque chose allait se passer dimanche.
La colère exprimée par de nombreux internautes ouïgours annonçait des troubles.
Le zèle démontré par les responsables du ministère des affaires étrangères à l’égard de la presse étrangère prouve bien que les émeutes de dimanche n’ont sans doute pas totalement pris les autorités par surprise.
Le 6 juillet dans la soirée, soit moins de vingt-quatre heures après les affrontements, les journalistes arrivant à Urumqi disposaient déjà d’un hôtel avec lignes Internet spéciales, et des CD montrant les images de violence avaient été distribués aux journalistes.
Un parallèle avec le Tibet ?
Le déroulé des événements présente de curieuses similitudes avec les émeutes de Lhassa, au Tibet, le 14 mars 2008.
Ce jour-là, la police va mettre des heures à intervenir, laissant les « casseurs » tibétains s’en prendre aux Chinois hans.
Même scénario à Urumqi : des témoins hans et ouïgours habitant dans le quartier, autour de la rue Zhongwan, racontent aujourd’hui que les paramilitaires de la police armée populaire (PAP) ont mis six heures à arriver sur place.
Selon des témoignages recueillis par Associated Press, des émeutiers ouïgours s’étaient positionnés dans la grand-rue derrière un barrage de sacs de ciment et demandaient aux automobilistes s’ils étaient hans ou ouïgours. Les premiers étaient alors frappés ou leurs véhicules détruits.
Quelles sont les victimes ?
Le premier bilan fait état de 156 morts et 1 080 blessés, dès le lundi.
Ce bilan ne bouge pas jusqu’au dimanche 12 juillet.
Le gouvernement actualise alors les chiffres : 184 morts (137 sont des hans, 46 sont ouïgours, le dernier est un hui, une autre minorité musulmane de Chine) et 1 680 blessés.
Le 8 juillet, à l’hôpital du peuple d’Urumqi, un médecin nous avait donné un bilan aux semblables proportions.
Sous le sceau de l’anonymat, ce même médecin avait reconnu que beaucoup de Ouïgours avaient été blessés par balles.
Il s’avère donc que les premières victimes étaient bien des Hans attaqués par des Ouïgours et que nombre de ces derniers ont vraisemblablement été blessés ou tués par les balles de la police.
Le médecin a de plus ajouté que 32 personnes (24 Ouïgours et 8 Hans) avaient été hospitalisées le 7 juillet au soir, le jour où des milliers de Hans avaient défilé en ville pour prendre leur revanche.
Trois de ces blessés sont morts. Aucun bilan officiel n’a inclus ces chiffres.