Émeutes communautaires du Sud algérien : la police a-t-elle choisi un camp ?

Émeutes communautaires du Sud algérien : la police a-t-elle choisi un camp ?

Depuis mardi, plusieurs quartiers de Ghardaïa, une ville située à 600 kilomètres au sud d’Alger, sont en proie à des affrontements entre des membres de la communauté arabe et des membres de la communauté berbère, les Mozabites.

Un conflit attisé par la diffusion de vidéos montrant des jeunes, appartenant à la communauté arabe, mener des attaques sous l’œil impassible des forces de l’ordre.

Les heurts entre membres des deux communautés ont éclaté le 24 décembre dans les quartiers de Souk et Hay El Moudjahidine, dans le centre-ville de Ghardaia, avant de s’étendre dès le lendemain à d’autres parties de la ville. Une dizaine de magasins situés dans le quartier de Theniet El-Makhzen et dans le centre ont été incendiés en marge des affrontements mercredi. Selon des sources hospitalières, entre mardi et jeudi, les violences ont fait plusieurs dizaines de blessés et huit arrestations selon la presse algérienne. Vendredi, les échauffourées se poursuivaient.

Les images qui nous ont été envoyées par notre Observateur parlent d’elles-mêmes. On y voit des groupes de jeunes gens appartenant à la communauté arabe – une information confirmée par différentes sources sur place – en train de jeter des pierres au camp d’en face, tandis qu’à leurs côtés les forces de l’ordre tirent dans la même direction des gaz lacrymogène (2’21’’). Le journal algérien « El Watan » rapporte par ailleurs plusieurs témoignages d’habitants qui relèvent que seuls des commerces de Mozabites ont été attaqués. Ces derniers ont d’ailleurs lancé une grève pour protester contre ces violences.

Si la cause de ces nouvelles émeutes n’est pas connue, Ghardaïa et ses environs sont régulièrement le théâtre de tensions entre les communautés arabe et mozabite. En 2008 à Berriane, une localité située à 40 kilomètres de Ghardaïa, des émeutes avaient fait deux morts et une trentaine de blessés.

À l’origine, Ghardaïa est peuplé de Mozabites. Les populations arabes nomades se sont progressivement installées dans la région il y a déjà plusieurs siècles.

CONTRIBUTEURS

Abderrahmane Semmar

« À l’école, on ne nous apprend rien sur la diversité culturelle de notre pays »

Abderrahmane Semmar, 25 ans, est journaliste et coadministrateur de la page Facebook des Envoyés spéciaux algériens. Il vit à Alger et est en contact avec plusieurs personnes sur place.

Les postes de policiers sont occupés par des Arabes car traditionnellement les Mozabites ne travaillent pas dans les métiers de l’État mais plutôt dans le secteur du commerce. Sur les images, j’imagine que l’attitude des policiers – qui n’est probablement le fait que d’une frange d’entre eux – est motivée par la solidarité arabe. La plupart sont originaires de la région et comptent parfois parmi les belligérants des membres de leur famille. Il y a aussi de leur part une forme d’incompréhension culturelle. À l’école, on ne nous apprend rien sur la diversité culturelle de notre pays. On en sort avec un modèle construit sur la pensée unique. Résultat, on ne connait pas l’autre et les idées arrêtées sont légion.

Les affrontements entre communautés, qui sont monnaie courante à Ghardaïa, s’expliquent en partie par le fait que le chômage contamine particulièrement cette région. Les Arabes ont longtemps vécu de l’agriculture saharienne qui a, ces dernières années, beaucoup pâti des constructions sauvages mais aussi de la sécheresse. Pour les jeunes générations qui abandonnent peu à peu ce secteur, les perspectives d’emploi sont très minces, cela génère beaucoup de frustration. Les Mozabites ont coutume quant à eux de vivre entre eux, ils ont leurs propres codes, leur propre organisation sociale, leurs propres réseaux. Toutefois, le monde des affaires n’est pas épargné par la crise et la solidarité ne fait pas tout. Eux aussi souffrent.

Il n’y a pas que les chiffres du chômage qui ont explosé, la croissance démographique aussi. Et cela concerne les deux communautés. À Ghardaïa, il y a un phénomène d’urbanisation anarchique, les gens vivent de plus en plus les uns sur les autres, il y a beaucoup de promiscuité, du coup les nerfs sont à vifs.  »

Interrogé lors d’une vague d’émeutes en mai 2013, le professeur Lagra Chegrouche expliquait que ces tensions avaient aussi un aspect confessionnel. Les Mozabites sont des ibadites, un rite musulman spécifique qui se distingue du sunnisme et du chiisme. Selon lui, la montée en puissance du salafisme parmi les populations arabes depuis le début des années 1990 a contribué à ce climat de tension.