«Il faut reconnaître dans la poésie arabe la mère et la maîtresse commune de l’espagnole et de la provençale. On aperçoit dans la poésie des troubadours les traces de cette filiation, et l’on y voit aucun vestige de la poésie grecque ou latine.» Pierre-Louis Ginguené
Une contribution sur des espaces de dissertation à l’infini, à savoir les Arabes, l’islam, les beurs, vient encore une fois nous angoisser. Tout est parti d’un article du Point du 5 avril. Dans le préambule de l’article nous lisons: «La langue arabe n’existe pas insiste l’écrivain, qui rêve d’une révolution par les langues dites «plébéiennes», qui sonnerait comme un autre printemps». Dans le corps du texte, quelques lapalissades sont annoncées, à savoir qu’il y a l’arabe classique et les parlers spécifiques à chaque région. Cependant, de la façon dont cela est présenté intentionnellement, on sent qu’il y a un vrai travail de sape de tout ce qui a trait à la langue arabe, aux Arabes, et à l’islam au niveau de ses fondations du fait que l’arabe est à la fois une langue profane et une langue liturgique.
Mais ce que cet auteur oublie de dire, est que la messe dans les églises d’Orient est «dite» en arabe et que la langue du Christ, l’araméen est la langue matrice des langues sémitiques telles que l’hébreu, et l’arabe. La dernière phrase du Christ sur la croix: «Ya Illahi, Ya Illahi, limasabactani» ce n’est pas du français ni ancien ni nouveau, encore moins de l’Occitan, du breton, de l’alsacien ou du corse aussi respectables que soient ces langues combattues par l’Etat jacobin. Ce n’est pas non plus de l’anglais, de l’italien ou de l’espagnol, toutes ces langues occidentales qui accaparent le Christ qui est un Moyen-Oriental. Par contre, cette douloureuse phrase du Christ est totalement compréhensible en arabe, cet arabe tant combattu de l’extérieur – c’est de bonne guerre- et l’intérieur.. Elle veut dire littéralement: «Ôh mon Dieu, ô Mon Dieu, pourquoi Tu m’as dépassé!». En clair, «Pourquoi Tu m’as abandonné!»
La haine de soi des intellectuels arabes
On l’aura compris dans la division internationale du travail chaque Intellectuel du Sud adoubé a pour objectif la démonétisation de son identité originelle, pour cela il met constamment en oeuvre la haine de soi, le résultat final est de détruire l’islam à partir de ses fondations. Ces intellectuels adoubés ont aussi une feuille de route qui est aussi d’être constamment dans le déni s’agissant de la faute de l’Occident concernant l’invasion coloniale. Ces intellectuels du Sud qu’on nous dit «éclairés» prôneraient d’après les porte-voix de la doxa occidentale, un islam dit des Lumières qui, fait injonction de lire le Coran avec les yeux de Voltaire, comme si Voltaire était un horizon indépassable. Ces intellectuels qui, à force de contorsions pour garder la tête hors de l’eau, inventent tout un tas de sujets démonétisant l’islam, les Arabes, les mélanodermes. Il est recommandé de ne pas toucher aux sujets qui fâchent concernant par exemple l’islam vu par les Français de différents bords et par le pouvoir, il ne leur est pas permis de faire des comparaisons. A titre d’exemple, il aurait été intellectuellement intéressant de savoir comment la France s’en sort avec ses «daridjas» toujours aussi vivaces, mais toujours aussi mal vues par l’Etat jacobin.
On peut comprendre qu’ils aient un avis, mais qu’ils se fourvoient dans plusieurs champs sans mesurer les implications de leurs assertions, c’est soit une preuve de naïveté, soit une preuve qu’ils adhèrent à cette vision de l’acharnement. Il vient du même coup de déclarer une guerre symbolique à tous ceux qui aiment cette langue et en sont la substance. L’auteur annonce des vérités connues. Ceci aurait pu être écrit sans porter préjudice à la langue et même si l’auteur parle de l’arabe comme d’une belle langue, ces affirmations qui l’honorent sont noyées dans un texte globalement à charge, ces phrases qui n’ont aucun écho sur la ligne du texte, ce qui a permis au journal de faire cette annonce: comme une certitude, la langue arabe n’existe pas. Et pourtant, elle existe!
Pour ma part, je suis sensible à cet argumentaire de Jaouad Mabrouki qui, académiquement, voire psychanalytiquement explique le dilemme de l’enfant marocain tiraillé entre sa langue maternelle et celle qu’il apprend à l’école. Nous l’écoutons: «Le Marocain subit en réalité une crise identitaire dès le premier jour où il met le pied à l’école. On lui excise sa langue maternelle pour lui greffer à la place une nouvelle langue de marque «arabe». Puis on le soumet à un formatage identitaire, en évacuant par un drain son identité dite «maternelle» et placer une perfusion intracrânienne d’un sérum dit «arabe». L’école marocaine a une longue expérience avec cette greffe de langue arabe et elle gère bien toutes les complications du rejet. (…) On fait alors de l’enfant marocain un citoyen possédant un double langage, un double visage, une double personnalité, une double identité (..) Quand il parle l’arabe avec les Marocains, on ne le comprend pas et quand il parle le «marocain» avec les Arabes, on ne le comprend pas! Durant sa vie intra-utérine, la mère de l’enfant lui parle en darija. Pendant l’accouchement, il entend la sage-femme qui l’invite à naître en hurlant la darija. À sa naissance, sa mère l’accueille dans ses bras et l’invite à téter en darija. L’enfant pleure en darija, exprime sa joie en darija, mange et boit en darija, toute la famille le porte dans les bras et l’embrasse en darija. (..) La darija, c’est lui, c’est son MOI, sans celui-ci, il n’existerait pas. (…) Dès son enfance, le Marocain souffre du syndrome de Cotard avec la négation de la darija, sa langue maternelle, et la négation de ses origines amazighes.» (1)
En fait, tous les pays sont passés par ce Rubicon, souvenons-nous, la France interdisait jusqu’au milieu du siècle dernier de parler breton ou corse dans la cour et l’enfant était puni s’il le faisait. C’est aussi une réalité en Algérie, l’imaginaire de l’enfant est un terrain de manoeuvre de deux conceptions de l’éducation ceux qui veulent que malgré son jeune âge l’enfant largue les amarres avec sa langue maternelle pour «s’enrichir» et ceux qui disent que la construction de l’imaginaire de l’enfant est un continuum milieu familial -école, et il ne faut pas qu’il y ait de rupture. Toute l’intelligence des dirigeants est de trouver le point d’équilibre entre la nécessité de garder la langue alma mater qui berçait l’imaginaire des Amazighs plus d’un millénaire avant l’avènement de l’islam
La beauté de la langue arabe dans l’absolu
On rapporte que Samaouel, poète juif anté-islamique auteur de la célèbre «lamiatou Samaouel» n’a pas voulu dévoiler un secret que lui avait confié Antar Ibn Cheddad mettant en péril de ce fait, la vie de son fils… Depuis l’expression «aoufa min Samaouel» «Plus fidèle – au serment- que Samaouel- a traversé les siècles. Quand on se rend compte de toute l’étendue des domaines que les savants musulmans écrivant en arabe embrassèrent dans leurs expérimentations scientifiques, leurs pensées et leurs écrits, on voit que sans les scientifiques musulmans utilisant l’arabe comme langue du savoir, la science et la philosophie européennes ne se seraient pas développées à l’époque comme elles l’ont fait. (…) Le monde occidental manifesta une réserve, voire une hostilité envers ces savoirs étrangers. Avant, à son tour, de se les approprier et de les enrichir.» (2).
S’agissant de la beauté de cette langue, l’illustre Jacques Berque explique dans «Les Arabes et nous» que la fonction de la langue pour les Arabes est différente, supérieure à celle qu’elle remplit pour les Occidentaux. Il donne un exemple: ainsi, en arabe, les mots se rapportant à l’écrit dérivent tous de la racine k.t.b.: Maktûb, maktab, maktaba, kâtib, kitâb. En français, ces mêmes mots sont: écrit, bureau, bibliothèque, secrétaire, livre. Les mots français sont tous les cinq arbitraires, mais les mots arabes sont, eux, «soudés par une transparente logique à une racine qui seule est arbitraire». «Alors que les langues européennes solidifient le mot, le figent, en quelque sorte, dans un rapport précis avec la chose, le mot arabe reste cramponné à ses origines. Il tire substance de ses quartiers de noblesse.» (3)
Comme autre argument pouvant justifier la richesse de la langue arabe, on sait qu’au Moyen âge la littérature européenne s’est enrichie d’un nouveau concept, l’amour courtois, mais sait-on qu’il doit beaucoup à l’ arabe Dans une conférence remarquable Ines Safi répondant à Alain Finkielkraut écrit: (…) Je voudrais dire à «notre» philosophe: la femme, la cuisine, la littérature de notre France bien-aimée, c’est aussi l’islam mal-aimé qui les a révolutionnées. Je vais me contenter d’évoquer ici l’amour courtois, qui célèbre en chants et poésies la femme, mise sur un piédestal par son dévoué. (…) Cet amour courtois a été bien nourri et sublimé en terre d’islam, fécondé par toutes les cultures que celui-ci a lui-même fécondées. Nous savons que les poètes arabes antéislamiques y excellaient, et que leur tradition s’est perpétuée et diversifiée après l’avènement de l’islam. La légende de Layla et Majnoun, remontant à l’ère anté-islamique, a été animée et habitée par la spiritualité de l’islam par un grand nombre d’érudits et poètes ésotériques, dans leurs contes et poèmes. Cette légende, dont la portée est universelle, a inspiré Roméo et Juliette, ou Le fou d’Elsa d’Aragon». (4)
Comme autre plaidoyer pour la langue arabe, à des années lumière de cette diabolisation d’une langue, il nous plaît de rapporter le travail magistral de Nadia Yafi directrice du département de langue arabe à l’Institut du Monde arabe et qui a rassemblé les actes du séminaire organisé le 13 décembre 2016 sous le thème «L’arabe, langue du monde». Louis Blin en parle: «(…) la rencontre a voulu souligner que loin de sa réputation en France de langue ‘communautaire », l’arabe est l’expression d’une culture de portée universelle, au coeur de la transmission des savoir à travers l’histoire, et, comme pour toutes les grandes langues vivantes, une langue d’avenir pour les jeunes. (…) L’école s’est adaptée à l’évolution démographique en introduisant des «Ali» ou des «Fatima» dans les manuels, mais elle persiste à négliger leur langue d’origine, demeurée exotique bien que locale.» (5)
Louis Blin fait le constat d’une ghettoïsation de la langue arabe: «(…) Les auteurs apportent des réponses à ce malaise identitaire en rappelant à bon escient quelques réalités d’hier et d’aujourd’hui, de nature à dépassionner un débat dans lequel le pays de Descartes semble parfois perdre la raison. De nos jours, la langue arabe voyage bien au-delà des frontières d’une région ou d’une religion. Des messes sont célébrées en arabe dans les églises d’Orient quand retentissent des sermons en français dans nos mosquées. La langue arabe occupe le deuxième rang par le nombre de pays où sa présence est attestée et elle est l’une des six langues officielles des Nations unies (…) La langue étant le sésame de la culture, ceux qui, à travers les siècles, se sont intéressés à la culture arabe en ont appris la langue: pas seulement les orientalistes européens auxquels on pense immédiatement, mais aussi, beaucoup plus nombreux, les lettrés persans, chinois, subsahariens et autres non arabophones qui ont oeuvré autant que les Arabes à la diffusion de cette langue et de sa culture, un peu comme les Indiens pour l’anglais de nos jours. Les nombreux apports de l’arabe au français devraient nous rappeler son impact sur la culture française (…) Rappeler qu’elle est une langue de civilisation dotée d’un génie propre, et non le véhicule d’une idéologie imaginée par certains. Le génie de la langue arabe réside dans sa morphologie qui lui permet une exceptionnelle souplesse dans la fabrication de néologismes, et favorise de ce fait l’intégration du changement. Une capacité d’adaptation qui fait écho à celle de l’homme arabe à s’accorder à la marche de l’histoire, sous le signe de la tolérance.» (5)
A l’autre bout du curseur, des scientifiques rendent justice à cette langue qui n’existe pas selon l’article paru sur le journal Le Point. Au moment où des scientifiques et non des moindres appellent à une revalorisation symbolique de l’arabe, d’autres supposés locuteurs de l’arabe, n’arrêtent pas de démonétiser cette langue, par une curieuse litanie compulsive de la haine de soi. Jean-Charles Coulon et Heidi Toelle écrivent: «Comment communiquer et créer des ponts quand on ne peut pas échanger ni se comprendre? Les auteurs de cette tribune dénoncent les conséquences du délaissement de l’enseignement de la langue arabe en France, l’une des langues les plus parlées au monde et appellent à un tournant politique. (…) Et ne parlons pas des spécialistes autoproclamé(e)s, bien implanté(e)s dans les médias, qui dénigrent du haut de leur ignorance le travail de chercheurs spécialistes à la compétence internationalement reconnue. (…)»(6)
Arabe, islam et dialogue euro-méditerranéen
On ne peut pas construire une identité, un récit national avec de l’exogène sur le déni de l’indigène. L’école donne actuellement, l’impression de tourner le dos à la société et de mépriser le patrimoine populaire qu’il soit arabe ou amazigh. Nous avons des spécificités dont il faut tenir compte car c’est une richesse qu’il faut cultiver sans extrémisme, sans tabous, sans militantisme. Il y va du vivre ensemble.
Il est vrai que la langue arabe – totem- a constitué dans les pays dits arabes, le fonds de commerce de politiciens sans épaisseur qui étouffent toute autre forme d’expression de langues et de parlers originels. Il ne faut pas la jeter aux orties et lui opposer la langue daridja, qui est aussi importante, complémentaire qui ne doit pas aussi être étouffée car il faut bien convenir, c’est un mélange savant de plusieurs langues qui ont été amalgamés pour créer les daridjas des terroirs. Mais s’il est déjà très difficile de faire de la langue arabe une langue scientifique, le combat serait autrement plus épique dans les langues originelles, mais tout doit être fait pour préserver l’apport culturel à un récit commun, sans s’enfermer dedans car le monde est de plus en plus ouvert et des apports allogènes sont les bienvenus.
La langue arabe comme toutes les langues est un vecteur culturel, il serait mal venu que des journaux qui n’ont rien à voir avec l’éthique journalistique diabolisent à longueur de colonnes tout ce qui vient de l’arabe, de la langue arabe et derrière tout cela l’islam dont les haut-parleurs d’une France chauvine, de loin plus présentable que les intellectuels communautaristes dont le graal est la défense d’un pays qui bafoue toutes les résolutions des Nations unies aidé en cela par ces intellectuels qui recrutent tout ceux qui vont dans le sens de leur vision; celle d’aseptiser aussi la France de sa dimension culturelle arabe, et brandir à tout bout de champ le grand remplacement. On peut comprendre que chacun choisit, essaie de faire sa pelote au Quartier Latin, d’avoir une visibilité, mais de grâce que cela ne se fasse pas au détriment d’une langue, d’une religion…