Rien qu’à Constantine, elles étaient plus de 110 en 2012, plus de 80 l’année dernière et elles seront une cinquantaine cette année. Leur mariage est souvent un compromis pour sauver… l’honneur des adultes. Il peut, aussi, être un choix librement consenti par elles, leurs parents, voire leurs tuteurs. Sans la dérogation d’un juge, elles ne seront liées que par une Fatiha, lue dans la semi-clandestinité, et qui reste la seule preuve d’une union qui n’a de trace sur aucun registre d’état civil. Officiellement, elles ne seront affranchies du célibat qu’une fois l’âge adulte atteint. Liberté revient sur ce phénomène de société qui n’a jamais cessé de faire parler de lui.
En Algérie, surtout au Sud et, principalement, dans certaines communautés de nomades, le mariage des mineures fait partie des us et coutumes en faisant l’unanimité autour de lui. Ailleurs, dans le Nord, la société reste partagée sur la question. En fait, ce n’est pas ce type de mariage en lui-même qui est décrié, mais les privations et les séquelles qu’il peut laisser sur la jeune mariée. À la lecture des cinq cas que nous avons retenus pour nos lecteurs, nous sommes tentés de dire que, culturellement, notre société n’est pas fondamentalement opposée au mariage des mineures. Mais le phénomène est si complexe que nous laissons le soin au lecteur de se faire sa propre idée. Notre premier cas remonte aux débuts des années 1990, en pleine tourmente sécuritaire.
Un fait divers, qui a failli tourner au drame, a alimenté la chronique estivale de tout le massif de Collo, dans cette partie du Nord-Est algérien. Deux tourtereaux ont fini par commettre l’irréparable aux yeux de la société. La voix sage, mais surtout autoritaire du patriarche du douar, a fini par imposer le deal à même de sauver l’honneur de la famille de Salima, appelons-la ainsi, et d’éviter à Ahmed d’y passer. À l’époque, Ahmed et Salima n’avaient que 18 et 16 ans. Sans aucune cérémonie, un semblant de mariage a vite été expédié la semaine qui suivra la découverte de l’aventure des deux enfants. Une union qui ne sera régularisée à l’état civil que 6 ans plus tard, quand il a fallu scolariser leur premier enfant, Habiba.
Au cœur de notre deuxième cas, Nawel, appelons-la ainsi. Elle habite Constantine, la troisième ville d’Algérie. Après une scolarité moyenne, elle a eu son bac, il y a de cela trois années. D’une pierre deux coups, sa tante paternelle se pointe le jour même de l’annonce des résultats pour la féliciter et demander sa main pour son fils. Si ce dernier est d’un niveau d’instruction limité et est classé au bas de l’organigramme chez son employeur, la notoriété de ce dernier, une importante société nationale, est un gage de sécurité.
Nawel, face à l’argumentaire de sa mère, finira par fréquenter, dès octobre, non pas la fac, mais les couturières de la cité pour préparer, en urgence, son trousseau. En fait, Nawel est la quatrième et avant-dernière d’une famille de 5 enfants dont les aînées sont toutes des filles non mariées. Chez cette famille, il n’est pas question que la cadette connaisse le même sort que ses sœurs aînées. À la fin du printemps, au mois de mai, Nawel et son cousin étaient déjà mariés par la Fatiha, un rituel accompli par un oncle réputé pour avoir appris par cœur le Coran. Cette union sera officialisée à l’automne suivant devant l’officier de l’état civil puis devant l’imam de la mosquée. Pour le troisième cas, restons à Constantine. Selon un ex-magistrat ayant exercé dans la ville, l’année 2011-2012 a été celle de l’explosion des mariages en général, et des mineures en particulier.
Le relogement des habitants des bidonvilles a été une aubaine pour un commerce des plus lucratifs. Des mariages express étaient organisés entre les enfants des familles du même bidonville. Après les adultes, on passe aux mineurs présentant, avec chaque cas, des arguments aux juges pour qu’ils accordent leur dérogation. Avec ces mariages massifs, pour reprendre l’expression de notre magistrat, on a pu recenser 4 à 5 familles par taudis, soit l’affectation d’au moins 4 logements par gourbi. C’est dans ces conditions que Souad, une ex-habitante d’un bidonville de la ville, a été mariée à son cousin, Fouad. Aujourd’hui, ils n’ont pas encore atteint 19 ans, mais ils ont un logement à la nouvelle ville et une fille qui commence à marcher.
Notre dernier et cinquième cas a pour théâtre la ville côtière et industrielle de Skikda. Nabila a 15 ans quand son papa, un pâtissier qui l’adore, selon ses propres amis, l’a mariée à un autre pâtissier installé dans une autre ville. La famille de Nabila est aisée et elle ne manquait de rien. Juste que les études, à l’image de tous les siens, n’étaient pas son sujet favori. “C’est l’âge tata”, est la réponse de Nabila à une voisine venue la sonder la veille de ses noces.
En fait, le mariage est ici une sorte de prestige par lequel la femme mineure essaie de surclasser ses camarades de classe, ses voisines et ses proches.
Chaque année, plus d’un millier d’Algériennes, n’ayant pas encore atteint l’âge légal pour convoler en justes noces, sont mariées à des hommes, souvent beaucoup plus âgés qu’elles, et ont des enfants dans des unions semi-clandestines pour les unes, et “parrainées” par des juges pour les autres.
Les chiffres régressent d’année en année mais cela ne doit pas nous faire oublier que nous sommes en 2014, à l’ère des NTIC. Le sujet reste tabou, mais cela ne doit pas être une raison pour l’escamoter ni un prétexte, pour les activistes des droits des enfants, à la capitulation.
Marier une fillette à son violeur restera, au final, un acte de lâcheté de toute la société, car terminer le reste de sa vie entre quatre murs avec son propre bourreau n’est peut-être pas la seule solution à proposer.
M. K.