L’abrogation du 87 bis, qui induira la hausse des salaires de centaines de milliers de travailleurs à partir de janvier prochain, constitue un retour à l’avant-ajustement structurel.
On le sait aujourd’hui, les injonctions du FMI sont à l’origine de la réduction des salaires des smicards via l’institution en 1997 de l’article 87 bis. Sa suppression prévue par la loi de finances 2015 a été tardive.
On a mis plus de dix ans pour y remédier en dépit de l’aisance financière des années 2000. Le tassement des salaires a donc longtemps duré. Mais en mettant fin à cette injustice sociale, on n’aura pas pour autant réglé le problème de la cohérence de la grille des salaires de la Fonction publique où le nivellement par le bas est consacré. En effet, la grande majorité des fonctionnaires touchent des salaires de misère. Un effet d’un système salarial et d’une économie guère orientée fondamentalement sur la productivité et la performance.
D’abord, l’abrogation du 87 bis ouvre un chantier, des négociations âpres pour redéfinir le SNMG, déterminer les primes et indemnités entre le gouvernement, l’UGTA et le patronat. Tous les chiffres étalés sur la presse sur le niveau de la hausse des salaires, son champ d’application et son impact financier restent des supputations. Tant qu’un accord global n’est pas trouvé entre les trois parties. L’automne 2015 sera donc une saison chaude en Algérie.
En ce sens, différents experts et plusieurs représentants du patronat appellent à une réflexion globale. En un mot, il convient de ne pas limiter le débat à uniquement une redéfinition du SNMG, à une hausse des salaires des travailleurs. Mais à une politique des ressources humaines qui placent la formation continue, le mérite, la compétence, la productivité au centre de l’évolution des carrières. L’Algérie récoltera les fruits de cette orientation par un meilleur niveau de croissance, un rythme soutenu d’investissements et une meilleure qualité de services.
On servirait alors dans notre pays des salaires décents à la grande majorité des travailleurs. Tout cela invite à repenser la grille des salaires de la Fonction publique en liant les rémunérations aux résultats individuels et collectifs à travers des objectifs de performance mesurables. Pour le secteur économique, les salaires, primes et indemnités devraient être le fruit de négociations entre l’employeur et le syndicat d’entreprise. Mais là également pour garantir l’essor des entreprises et partant du développement du pays, le calcul du salaire devrait être lié à la performance individuelle et à la réalisation des objectifs. L’évolution de carrière devrait être rapide pour favoriser l’émulation, la motivation et le sens de l’initiative. Au final, les pays et les entreprises qui appliquent ces politiques réalisent les meilleurs résultats.
L’Algérie, à l’exception de quelques grandes entreprises, une minorité de PME, et une partie des compagnies étrangères qui y sont implantées, est loin de ces pratiques de gestion performante des ressources humaines. La hausse des salaires induite par l’abrogation du 87 bis touchera à partir de janvier prochain une grande partie des fonctionnaires. L’UGTA estime l’augmentation entre 5 et 10%. Plus précisément, le relèvement des rémunérations ne concernera pas les hauts salaires. Elle bénéficiera aux fonctionnaires qui sont classés dans les basses catégories et qui touchent moins ou autour de 18 000 dinars.
En d’autres termes, l’augmentation des salaires de janvier prochain touchera les salariés sans qualifications professionnelles (femmes de ménage, appariteurs et autres simples agents). Ils sont au nombre de 500 000 dans la Fonction publique à toucher moins 18 000 dinars net par mois. Ils sont près d’ 1 million de fonctionnaires au total à bénéficier de la mesure dans un scénario minimaliste. Ils seront beaucoup moins nombreux à bénéficier de la mesure dans les entreprises publiques ou privées du secteur économique. Mais l’UGTA, pour ne pas ajouter de nouvelles incohérences dans la grille des salaires de la Fonction publique, veut pousser les pouvoirs publics à généraliser la hausse des salaires à des catégories supérieures pour éviter qu’un smicard et un travailleur dans une catégorie supérieure aient le même salaire. C’est ce qu’on appelle l’effet domino.
Appliqué aux tranches supérieures, ce principe pourrait justifier les 2 400 milliards de dinars ou les 4 à 5 milliards de dollars correspondant à l’impact financier d’une telle mesure estimée respectivement par l’UGTA et l’organisation patronale CGEA. Du coup, on pourrait parvenir à un chiffre de 2 millions de fonctionnaires touchés par la mesure. Mais le gouvernement pourra brandir comme argument pour s’y opposer le lourd impact financier que devra supporter le budget de l’État.
Ces questions feront l’objet sans doute l’objet d’âpres négociations entre le gouvernement, l’UGTA et le patronat lors de la prochaine tripartite prévue le 18 septembre prochain. Réunion qui portera essentiellement sur la redéfinition du SNMG. En ce sens, l’un des meilleurs spécialistes algériens du dossier salaires, l’ancien haut fonctionnaire de l’État, Rachid Hadj Lazib, contacté, souligne qu’ à ce stade personne ne peut dire aujourd’hui combien sera la hausse des salaires, combien de fonctionnaires seront touchés et quel sera de façon précise l’impact financier d’une telle mesure. Tout cela fera l’objet de négociations entre le gouvernement, l’UGTA et le patronat. Tant qu’un accord n’est pas encore trouvé entre les trois parties, on ne peut répondre aujourd’hui de manière précise à ces interrogations. Même topo pour l’effet domino.
Dans la foulée, l’ancien haut fonctionnaire relève une aberration. Le projet de texte de loi qui accompagne l’abrogation de l’article 87 bis stipule que les primes et indemnités seront fixées par voie réglementaire. Allusion notamment aux primes d’ancienneté, de nuisance, de travail posté. Si pour la Fonction publique, l’État est en droit de fixer le montant du SNMG et les primes et indemnités après négociations avec les représentants syndicaux et le patronat, en revanche, il est aberrant qu’il fixe les primes et indemnités pour le secteur économique. Depuis les réformes, l’État ne fixe plus les salaires du secteur économique, d’autant moins les primes et indemnités des entreprises publiques et privées.
Or, le projet de texte de loi laisse entendre que les primes et indemnités du secteur économique seront fixées par l’État. Insensé selon lui. Tout simplement parce que la détermination du salaire ainsi que les primes et indemnités dans le secteur économique relève de négociations entre l’employeur et le syndicat d’entreprise. Supposez qu’une entreprise soit en difficulté financière, pour éviter les licenciements ou empêcher sa fermeture, un accord peut être trouvé entre la direction et le syndicat d’entreprise pour réduire les salaires ou supprimer certaines primes afin de sauver la société. Dans la mouture actuelle du projet de loi, l’entreprise précitée n’a pas d’autre choix que de fermer ou de voir sa situation financière se détériorer.
K. R.
Le SNMG dans l’actuel code du travail
Le Salaire national minimum garanti (SNMG) applicable dans les secteurs d’activité est fixé par décret, après consultation des associations syndicales de travailleurs et d’employeurs les plus représentatives. Pour la détermination du SNMG, il est tenu compte de l’évolution de la productivité moyenne nationale enregistrée, de l’indice des prix à la consommation, de la conjonction économique générale. Art. 87 bis : le salaire national minimum garanti, prévu à l’article 87, comprend le salaire de base, les indemnités et primes de toute nature à l’exclusion des indemnités versées au titre de remboursement de frais engagés par le travailleur.
Y. S.