La responsable du PT était, hier encore, adulée
Il ne faut pas être un fin observateur pour remarquer combien de flèches sont décochées ces jours-ci sur Louisa Hanoune.
Il suffit de ne pas être myope pour constater que la présidente de Parti des travailleurs essuie de véritables tirs groupés. Il n’est, en effet, nul besoin d’être dans les secrets des ombres pour comprendre que, quelque part, quelque chose de Hanoune dérange et que la gamme sur laquelle elle jouait n’est plus appréciée.
La responsable du PT était, hier encore, adulée. Elle était dans le giron du pouvoir qui aimait la recevoir avec tapis rouge, roses et fanfare, et ses parfums semblaient si appréciés là-haut qu’il était parfois difficile de voir la limite du fauteuil qu’elle s’est taillé entre l’opposition et la non-opposition qui, avec le temps, prit les contours d’un soutien inconditionnel. D’ailleurs, à un moment, il était devenu impossible aux plus rompus des analystes, en l’écoutant, de savoir si elle parlait de sa voix ou de celle d’autrui, tellement elle aurait été porte-parole du pouvoir que l’on n’aurait pas trouvé cela étonnant. La fausse cavalière, longuement applaudie pour deux faux trots vers El Mouradia, semble aujourd’hui dégager une odeur si repoussante qu’on lui tire dessus de toutes parts. Et avec tout ce qui tombe sous la main. Pourquoi donc?
Un personnage veut sortir de son rôle
Un personnage appartient à son auteur. Dans tout ce qu’il dit et dans tout ce qu’il fait. A celui auquel choît le rôle de ce personnage, il revient donc de ne pas s’écarter de la ligne tracée par la plume, le pinceau ou le focus de l’auteur. Certes, sur les planches du théâtre, certains «génies» s’écartent, de temps en temps, du texte de la réplique mais, même cela, qu’on appelle improvisation, doit se faire en conformité avec le désir de l’auteur. Par ailleurs, même les personnage ont une vie et une mort et lorsque l’auteur décide que le personnage disparaisse, ce dernier n’est même pas consulté. Il subit. Il disparaît. Un point c’est tout. Peut-il arriver, cependant, qu’un personnage se rebelle? Qu’il conteste la décision de son auteur? Avec ce qui se passe ces jours-ci sur la scène politique nationale, on a plutôt l’impression que oui!
En voulant continuer à jouer un rôle qui n’est plus nécessaire, Louisa Hanoune a fini par mettre en colère ceux qui l’ont faite ou plutôt ceux qui l’avaient inventée pour les besoins d’une époque. Son rôle était important et servait un objectif déterminé et il faut le reconnaître, elle l’a joué avec brio même. Cependant, dans le jeu, comme dans la réalité, il y a une fin à tout. Et, en bon acteur, il faut simplement accepter que tombe le rideau en fin de partie.
C’est malheureusement ce que Hanoune n’a pas voulu comprendre. Elle avait joué son rôle avec tellement de sincérité qu’elle avait fini par y croire vraiment.
Pourquoi Hanoune a-t-elle agi ainsi?
La limite entre la réalité et la fiction n’est plus visible pour celle qui était chargée de crier au loup avant la prise de toute grande décision. Elle l’a tellement fait, et même bien fait, que, aujourd’hui, sachant la prise de grandes décisions prochaines, elle s’est mise, toute seule, comme une grande, à crier au loup. Elle a commis en cela trois impairs.
Le premier, c’est de ne pas avoir tenu compte des désirs de ses auteurs. Une marionnette ne peut pas danser seule. Elle est toujours sujette aux mouvements décidés par ceux qui tirent les ficelles. Si, cependant, elle se met à bouger seule, elle peut être en total décalage par rapport au moment. Et c’est ce qui se passa exactement pour Hanoune. Le seconde erreur de Hanoune, c’est qu’elle a voulu se prévaloir d’une appartenance à d’autres auteurs que ceux qui l’avaient mise là. En politique, on ne peut pas renier, ni même se permettre d’oublier son géniteur comme on renie ou on oublie ses premières aventures sentimentales. Cela coûte toujours que de vouloir doubler ceux qui vous ont fait la promotion. A vrai dire, Hanoune s’est laissé séduire par d’autres acteurs de la scène politique. Certes, ceux-ci étaient forts à un moment, mais ils ont une durée de vie bien moins longue que ceux qui les ont faits eux-mêmes, tout comme ils ont fait Hanoune et bien d’autres encore.
Le troisième, c’est qu’en tentant de se démarquer de ceux qui l’ont inventée, Hanoune ne s’est pas rendu compte que son rôle a changé. En restant dans la peau du même personnage et en tenant le même discours qu’il y a vingt ans, elle rend difficile une transition déjà assez compliquée en soi, car aujourd’hui, il ne s’agit plus de crier au loup en regardant le bois, comme cela avait été le cas durant quelques décennies, mais de le faire en lorgnant le côté de la bergerie!!! Ainsi va la vie, ainsi va la vie!
Est-ce qu’elle ne veut pas se résigner à accepter la fin du rôle et du personnage qu’elle jouait? Est-ce parce qu’elle s’est mise au travers d’un chemin sur lequel elle n’aurait pas dû se trouver? Ou bien est-ce simplement la nécessité du moment qui fait qu’elle doive être lâchée car faisant partie d’une période révolue? Aurait-elle omis de tenir compte d’une certaine évolution du monde? Ou bien ne croyait-elle pas avec suffisamment de force que tout change dans cette vie? Que les idées qu’on défend changent, que le café qu’on aime change, que le goût du monde change et, surtout, que la colonne à laquelle on s’appuie aujourd’hui peut s’effriter demain et nous laisser sans appui? A toutes ces questions on pourrait répondre par l’affirmative mais, quelle que soit la réponse et quelle que soit la raison, Hanoune est bien la cible d’un large faisceau de tirs. En politique comme du reste, dans la vie au quotidien, les puissants du jour ne peuvent être éternels. Ils doivent un jour partir et avant même qu’ils soient partis, ils cèdent la place à plus fort. Tous les rôles quels qu’ils soient doivent toujours prendre fin. Or, il semble que Hanoune refuse la fin du personnage qui était sien sur cette scène politique nationale. Alors elle essuie réprimandes et vociférations de la part de ses inventeurs.
En continuant à faire l’autiste, Hanoune provoque d’autres tirs qui pourraient aller jusqu’à une action déstabilisatrice du PT qui finira, il n’y a pas de doute, par son éviction de ce parti. Sur l’autel du changement, d’autres avant elle ont été sacrifiés. On pense surtout à Belkhadem, à Soltani et à Touati. Quant à Ouyahia, c’est déjà un autre niveau de jeu.
Est-ce par conviction ou plutôt par confort qu’elle tente de résister à la marée dévastatrice qui sévit depuis quelque temps? Il ne fait pas de doute que dans ce qu’elle dit, il y a beaucoup de vrai. Nous l’avons souligné déjà (L’Expression du 12/05/2013), sauf que, en ce moment, ce qu’elle dit tout le monde ne veut pas en entendre parler. Pourquoi? C’est ce que Hanoune aurait dû et devrait comprendre.
Lorsqu’on est acteur, on joue le personnage comme le veut le réalisateur ou bien on ne joue pas. C’est simple. Lorsqu’on est un personnage, on existe comme le veut l’auteur ou on n’existe pas. C’est tout aussi simple. Vouloir être acteur et personnage et décider de jouer comme on veut, sans tenir compte de l’auteur et en faisant fi des orientations du réalisateur, c’est un peu compliqué. Un peu trop même, chez nous.
Et pourtant, elle tourne…
Il arrive parfois, lorsqu’on a l’impression de ne plus rien avoir à perdre, de s’accrocher à ses idées, à ses voeux, voire parfois à ses folies. Est-ce que Hanoune a cette impression que tout est derrière elle et que, maintenant, elle n’a rien à gagner et encore moins à perdre. Les années passées au Parlement ont-ils rempli suffisamment sa vie politique pour qu’elle ait décidé de rester fidèle à elle-même et à son rôle jusqu’à la fin? Cela signifierait dans ce cas qu’elle sait que la partie est finie et que le rideau va tomber!
E pur si muove!… Et pourtant… elle tourne!
Aujourd’hui Hanoune a bon dos. Il y a ceux qui lui reprochent de s’être attaquée à Benbitour, ceux qui ne lui pardonnent pas d’avoir parlé du stationnement des forces américaines en Espagne et ceux qui voient en elle un Don Quichotte à l’algérienne en 2013. Certains lui reprochent d’avoir été contre la grève des médecins, d’autres ont donné des raisons plus ou moins acceptables mais, de toutes façons, on trouve toujours des raisons pour punir celui qu’on veut punir.
En vérité, toutes ces excuses sont superflues car, on le sait bien, on aurait bien pu la laisser parler comme d’habitude, cela n’aurait rien changé, et à rien. Ce qui semble lui être reproché en réalité c’est surtout son soutien à un quatrième mandat pour Bouteflika et sa position en ce qui concerne la révision de la Constitution.
Sous prétexte du principe de la révocabilité, la présidente du PT a, sans cesse martelé son soutien à ce mandat de toutes les divergences. Elle sait, au fond, que la non-limitation des mandats n’a rien de démocratique et que, dans ce qu’elle a avancé comme argument de révocabilité par le peuple, il n’y a rien de sérieux, non plus.
Mais là n’est pas le fond du problème car,si tel était le véritable problème, et donc la cause réelle de sa descente en règle, alors pourquoi les autres chefs de parti qui ont, aux aussi soutenu ce quatrième mandat, n’ont pas été inquiétés? Pourquoi Ghoul et Amara Benyounès notamment, n’ont pas fait l’objet d’une campagne similaire que subit depuis quelque temps maintenant Louisa Hanoune? La question mérite d’être posée et les jours nous apporteront bien une réponse.
Il lui appartient, à Hanoune, en fouillant dans ses déclarations et ses prises de position, peut-être trouvera-t-elle les vraies raisons qui lui ont valu d’être repoussée soudain et sans état d’âme. Accusé d’hérésie pour avoir soutenu que la Terre tourne autour du Soleil, Galilée, longtemps respectable et respecté, a dû être descendu en lambeaux par les autorités jusqu’au jour où il reconnut avoir commis une erreur. «Moi, Galiléo, (…) j’ai été tenu pour hautement suspect d’hérésie, pour avoir professé et cru que le Soleil est le centre du monde, et est sans mouvement, et que la Terre n’est pas le centre, et se meut. J’abjure et maudis d’un coeur sincère et d’une foi non feinte mes erreurs.»
C’est ainsi qu’il évita le bûcher. Que devra donc dire Hanoune pour éviter le sien? Qu’il n’y a pas de danger qui guette le pays? Qu’il n’y a pas de danger en vue?
On attribue à Galilée d’avoir tout de même laissé filer entre les dents un certain «e pur si muove!» (et pourtant elle tourne). Que dira Hanoune alors? Et pourtant je chantais la même chanson? Et pourtant je jouais le même rôle? Difficile de savoir.