Elie Baup «J’adore Ziani, mais la force de l’Algérie c’est son collectif»

Elie Baup «J’adore Ziani, mais la force de l’Algérie c’est son collectif»

«Au retour de la CAN, les joueurs sont souvent lessivés»

Champion de France en 1998 avec Bordeaux qui comptait dans son effectif un certain Ali Benarbia, longtemps entraîneur de l’AS Saint-Etienne, Elie Baup connaît le football africain en général et le football algérien sur le bout des doigts. Il a suivi, bien sûr, la CAN-2010 et a tiré des enseignements qu’il nous livre dans cet entretien.

Vous avez dû suivre les matchs de la phase finale de la Coupe d’Afrique des nations. Quelle appréciation faites-vous du tournoi ?

Comme de nombreux observateurs, j’ai été un peu déçu par le niveau affiché par certaines sélections dont on attendait beaucoup. Je parle surtout de la Côte d’Ivoire et du Cameroun qui, au vu de l’effectif qu’ils referment, se devaient d’aller loin dans la compétition. Malheureusement, on avait l’impression qu’ils valaient surtout par leurs individualités et non pas par leur collectif. Je pense que s’ils avaient été au mieux de leur forme, le niveau de la CAN aurait été encore meilleur.

A quoi incombez-vous leur défaillance ?

Peut-être que les joueurs sont arrivés à la CAN en étant saturés. Je ne sais pas trop. En tout cas, par expérience, je sais que tous les joueurs ayant joué à la CAN repartent dans leur club en étant cramés physiquement.

Comment expliquez-vous, dès lors, qu’un joueur comme Didier Drogba ait fait un début de saison époustouflant avec Chelsea, puis s’est montré plutôt discret durant la CAN, avant de redevenir conquérant une fois retourné à Chelsea ? Pensez-vous qu’au sein de la sélection de Côte d’Ivoire, il n’a pas ses repères ?

Je n’ai pas en ma possession toutes les données pour apporter une appréciation juste sur ce point. Ce que je sais, c’est que le football est un sport collectif et il n’est pas évident pour un joueur de trouver les mêmes conditions sportives qui lui permettent de s’exprimer aussi bien en club qu’en sélection. Il y a plusieurs paramètres qui entrent en considération. Si Drogba n’a pas pu faire montre de son réel potentiel, il doit bien y avoir des raisons.

Quelle appréciation faites-vous de la participation de l’Algérie, de retour à la CAN après en avoir été absente durant deux éditions ?

L’Algérie a confirmé son parcours en éliminatoires pour la Coupe du monde en faisant étalage d’un football alerte et offensif. Elle a agréablement surpris par son style de jeu où primaient le collectif et la discipline tactique. Contre la Côte d’Ivoire, elle a aussi montré de la maturité et une force mentale. C’est vrai qu’elle s’est loupée contre l’Egypte, mais cela n’enlève rien à son mérite.

Pensez-vous que le fait que son ossature soit composée de joueurs ayant été formés en France facilite l’assimilation des directives tactiques ?

Peut-être. Il est vrai que la majorité des joueurs algériens sont connus en France pour avoir évolué en Ligue 1. Personnellement, je les ai presque tous vu jouer et c’est vrai que le fait d’être issus de centres de formation confirmés est un atout. Pour moi, ce qui est bien dans le jeu de l’Algérie, c’est qu’il n’est pas inspiré de l’école française qui a été beaucoup influencée par l’école italienne. Les Algériens n’hésitent pas à aller de l’avant et ne font pas de calculs et c’est ce qui est beau. Donc, l’organisation tactique des Algériens n’a pas pour but de neutraliser le jeu, mais plutôt de construire des offensives.

Vous insistez sur la force collective de l’équipe d’Algérie, mais n’y a-t-il pas quand même des individualités que vous considérez comme étant l’assise de cette équipe ?

Il serait injuste de mettre en avant des joueurs en particulier dans une équipe qui joue en bloc. Bien sûr, j’apprécie particulièrement Ziani, que tout le monde connaît ici en France, et je pense qu’il influence le jeu de l’équipe, mais c’est réellement le collectif qui constitue le point fort de cette équipe.

Y a-t-il un joueur algérien que vous ne connaissez pas et que vous avez découvert durant cette CAN ?

Non, car je les connaissais tous. Peut-être le gardien de but, Chaouchi, dont j’avais entendu parler auparavant. Vous savez, les joueurs qu’on peut découvrir sont ceux qui évoluent dans le championnat d’Algérie, car les professionnels sont tous plus ou moins connus, et ce sont, en général, les gardiens de but qui suscitent la curiosité des observateurs.

Pensez-vous que le sacre de l’Egypte est mérité ?

En tout cas, l’Egypte a fait ce qu’il fallait pour remporter le trophée et cela se voyait qu’elle était l’équipe la plus volontaire. Après avoir été privée par l’Algérie de la Coupe du monde, elle avait des choses à prouver et c’est ce qui explique qu’elle en voulait un peu plus que les autres équipes. Ce qui est certain, c’est que c’est la sélection qui a montré le meilleur rendement collectif car on a bien vu qu’il n’y avait pas des individualités marquantes qui ont fait la décision, mais bien un collectif.

En affirmant que l’Egypte en voulait plus que les autres sélections, entendez-vous par là que les équipes qualifiées pour la Coupe du monde avaient déjà la tête au Mondial ?

Je ne le crois pas, car il s’agit d’équipes où il y a des joueurs professionnels qui savent que chaque match et chaque compétition sont à gagner. De plus, le Mondial était encore loin et cela aurait été une erreur de se projeter en juin en étant encore en début d’année. Donc, je ne pense pas que les joueurs qualifiés pour la Coupe du monde n’aient pas été motivés. C’est juste que, de par leur frustration, les Egyptiens étaient plus motivés que les autres.

Ne pensez-vous pas que c’est surtout le fait que la CAN survienne en milieu de saison qui constitue un problème ?

Honnêtement, je crois que le déroulement de la CAN en cette période est pénalisant pour tout le monde : les clubs, les joueurs et les sélections. Je me rappelle que lorsque j’étais entraîneur de l’AS Saint-Etienne, il y a eu une saison où j’avais des joueurs camerounais, ivoiriens et maliens dans l’équipe. Avant leur départ pour disputer la CAN, nous occupions la 5e place, et lorsqu’ils sont revenus, ils ont trouvé l’équipe en 10e position, car nous avions souffert de leur absence. De plus, ils sont revenus lessivés physiquement et il avait fallu du temps pour qu’ils retrouvent leur niveau. Donc, il y a un réel problème. Je pense que cette compétition devrait se tenir en fin de saison.

La Coupe du monde approche et beaucoup d’observateurs estiment qu’avec six représentants et une organisation au niveau local, l’Afrique a l’opportunité de voir l’un de ses représentants aller loin dans le tournoi.

Partagez-vous cet avis ?

Absolument. Je suis de ceux qui croient qu’une sélection africaine pourra arriver jusqu’aux quarts de finale au moins. Les équipes africaines ont acquis une expérience à même de leur permettre de forcer le destin et le fait que le Mondial se déroule en Afrique constituera une motivation supplémentaire. J’ai toujours en mémoire le Mondial-90 en Italie et les exploits de Roger Milla et de ses coéquipiers camerounais qui avaient fait trembler plus d’un. C’était un grand moment de Coupe du monde et je pense que les Africains pourront rééditer cet exploit et même plus.

Les observateurs estiment que la Côte d’Ivoire et le Cameroun sont les sélections capables de créer la surprise. Etes-vous d’accord ?

Pas tout à fait. Je pense que la surprise pourrait venir d’autres équipes, car il a été prouvé que les individualités, à elles seules, ne peuvent pas forcément faire la différence. De plus, c’est un tournoi relevé où ce seront les collectifs qui prendront le pas sur les individualités. Donc, la surprise viendra des équipes collectives.

Le Ghana, finaliste de la CAN, pourrait-il être la locomotive de l’Afrique avec les renforts de Essien, Muntari et Appiah ?

Ce n’est pas évident car, si les Ghanéens ont fait montre de beaucoup de talent et de spontanéité dans la construction offensive, ils ont péché au niveau de la défense, plus particulièrement la défense centrale qui a été fébrile. Maintenant si Essien, Muntari et Appiah peuvent apporter une stabilité défensive, ce sera bien, mais j’estime que cette équipe est encore trop jeune pour une compétition de l’envergure de la Coupe du monde.

Entretien réalisé par

Farid Aït Saâda

Baup parlera de l’Algérie ce soir sur Canal+

Elie Baup sera, ce soir, l’invité de l’émission Les Spécialistes Maghreb sur Canal+ Algérie. Il reviendra notamment sur le parcours de l’Algérie durant la CAN et sur le tirage au sort des éliminatoires de la CAN-2012 qui a placé les Algériens dans la même poule que le Maroc. L’émission sera diffusée à 19h05 puis rediffusée à 23h40.