Elections présidentielle en Algérie: Bouteflika victorieux grâce à cinq magouilles

Elections présidentielle en Algérie: Bouteflika victorieux grâce à cinq magouilles

Depuis plusieurs mois, la rue algérienne, les médias et -par prolongement- les réseaux sociaux se demandent si Abdelaziz Bouteflika va réellement se présenter pour un quatrième mandat présidentiel.

Aujourd’hui, alors qu’il ne fait quasiment plus aucun doute sur, non seulement la candidature de l’actuel président algérien, mais surtout sur sa « victoire » qui se dessine déjà grâce à la magouille, il convient d’analyser les dessous de cette mascarade annoncée et faire preuve de pédagogie pour déconstruire un système de fraude apparemment très bien huilé.



La première des magouilles réside dans la date choisie pour organiser le « premier tour » de cette élection: le 17 avril.

Ce choix montre, à lui seul, que le pouvoir algérien ne s’embarrasse même plus de la forme: en effet, le mandat en cours arrivera à son terme le 19 avril à 00h00. Or, en cas de second round -prévu le 1er mai- il y aura nécessairement une vacance de pouvoir d’une douzaine de jours. C’est dire que le régime a déjà décidé que son « poulain » sortira « victorieux », dès le premier tour, au soir du 17 avril.

L’article 132 de la Constitution algérienne a prévu que « les élections présidentielles ont lieu dans les trente (30) jours qui précèdent l’expiration du mandat du Président de la République ». Or, on ne peut affirmer que des élections présidentielles ont été organisées qu’à l’issue de la proclamation des résultats officiels qui vont permettre de connaître le « président élu ». Ces résultats sont définitifs soit, dès le premier tour, en cas de majorité absolue pour l’un des candidats, soit, au second tour qui permet de départager les deux premiers prétendants, en l’occurrence ceux qui, au premier tour, ont obtenu le plus grand nombre de voix, sans pour autant atteindre la nécessaire majorité absolue.

Par conséquent, si le pouvoir algérien a choisi d’organiser le premier tour de l’élection deux jours avant l’expiration du mandat du président sortant, c’est tout simplement parce que les jeux sont déjà faits. À l’évidence, il n’y aura pas de second round, car les barons du régime ne se permettront jamais de créer une vacance du pouvoir -ne serait-ce pour quelques heures- dans une situation aussi fragile qui, tous les jours, fait craindre aux observateurs la rupture des équilibres d’un régime qui gère, depuis plusieurs mois, ses contradictions internes.

Aussi, Bouteflika, et son clan, ont-ils décidé que l’autocrate ne devait pas s’encombrer -ne serait-ce pour orner la vitrine présentée aux visiteurs étrangers- d’un second tour qui donnerait à son concurrent une quelconque crédibilité ou un poids politique. Lors des précédentes « consultations », le pouvoir n’avait même pas jugé utile de préparer la nécessaire logistique pour organiser un second tour. Idem pour les élections annoncées. C’est dire…

La seconde magouille est liée à l’état de santé du président sortant.

Il est évident que celui-ci, même s’il est encore capable de prendre quelques décisions, certaines inspirées par son frère Saïd Bouteflika, n’a plus les capacités physiques et intellectuelles pour diriger un État avec toute la lucidité qu’exige la fonction, car, de l’avis de plusieurs médecins, même à travers les quelques images que le pouvoir a bien voulu diffuser, au cours de ces derniers mois, il semble évident que son système cognitif a été bel et bien atteint à la suite de l’AVC. C’est dire que cet état de santé qui le prive de parole, donc de discours, de déplacements, qui l’empêche de tenir régulièrement des Conseils des ministres, de remplir toutes ses obligations protocolaires lors de rencontres internationales et, qui l’empêchera de faire campagne, est en contradiction évidente avec la Constitution algérienne.

L’article 88 de celle-ci stipule: « Lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil Constitutionnel, se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement ».

Évidemment, le clan Bouteflika a pu aisément contourner la loi fondamentale puisque toutes les institutions (Conseil Constitutionnel, Sénat, Assemblée nationale, médias publics, Armée, etc.) ont été verrouillées et sont détenus par de dociles affidés du pouvoir. C’est ce qui a permis à la présidence d’entretenir l’illusion et de laisser croire que Bouteflika n’est pas dans « l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions ». L’on a organisé des Conseils des ministres expéditifs et des rencontres officielles avec des visiteurs bienveillants dans le seul but de rassurer la galerie et de faire taire les détracteurs.

La troisième magouille concerne la « mobilisation » des appareils politiques proches du régime ainsi que des organisations et autres associations, liés historiquement au pouvoir et qui sont toutes dirigées par la clientèle traditionnelle de celui-ci.

Des partis comme le FLN ou le RND, un syndicat comme l’UGTA, l’Union générale des travailleurs algériens, une association de femmes, comme l’UNFA et autres groupements « d’anciens combattants », ont tous reçu comme instruction d’appeler à la candidature de Bouteflika. En vérité, tout ceci ressemble davantage à un acte d’allégeance qu’à des élections présidentielles. Mais à travers de telles manœuvres, le pouvoir veut faire croire que le président sortant, bien que malade et affaibli, bien que comptable d’un bilan plus que discutable, serait adoubé par une « société civile » qui, en réalité, n’existe plus, sinon à travers celle préfabriquée par un « système » autocratique qui a créé le vide.

Et ce pouvoir veut tellement entretenir le vide que des partis, comme les démocrates du RCD ou les islamistes du MSP, ayant appelé au boycott, ont été déjà avertis qu’il leur sera formellement interdit de faire campagne autour de cette thématique qui, à l’évidence, gène le régime.

La quatrième magouille se trouve chez les lièvres.

Et ils sont nombreux. À ce jour, fait incroyable: 85 dossiers de candidatures ont été retirés du Conseil constitutionnel (rien que cela!). Si certains « postulants » sont fantaisistes, d’autres sont clairement soutenus par les détenteurs du pouvoir réel ou par l’un des pôles du régime, notamment l’Armée ou encore les « services » du fameux général Toufik.

Il est évident qu’au final il n’y aura que quatre à huit candidats qui seront retenus par le Conseil Constitutionnel. Ils serviront de « sparring-partner » à Bouteflika. Et ils seront certainement très bien récompensés.

Parmi eux, son ancien premier ministre Ali Benflis dont on ne sait si la candidature est motivée par une naïveté, un deal, un marchandage ou un manque de lucidité politique.

La cinquième magouille est probablement celle qui contient une petite inconnue: quel score va s’attribuer Abdelaziz Bouteflika?

Pour essayer de deviner, il faut revenir aux précédents résultats. En 1999, pour son premier mandat, Bouteflika avait exigé de l’administration et des « services » du général Toufik, un taux de près 74%, dès le premier tour. Cinq ans plus tard (en 2004), il s’est attribué 85% et pour le troisième mandat (en 2009), il s’est accordé un score brejnévien de 90%. Toujours au premier tour des « élections présidentielles ».

Devant cette courbe exponentielle qui laisse dire qu’il n’y aurait, en Algérie, en définitive, que 10% de la population qui rejetterait l’apprenti monarque, il ne serait pas étonnant de le voir « gagner » dès le 17 avril prochain avec un score qui va, très probablement varier, entre 80% et 95%.

Naturellement, quelques heures, sinon quelques minutes après la proclamation des résultats des « élections présidentielles » en Algérie, la France, l’Union Européenne et toutes les grandes démocraties ne manqueront pas de féliciter, comme d’habitude, leur « cher ami Bouteflika, grand bâtisseur d’une Algérie moderne et démocratique ».