Élections locales À Alger, les candidats s’affichent, les citoyens regardent… ailleurs

Élections locales À Alger, les candidats s’affichent, les citoyens regardent… ailleurs

Dans les différents quartiers de la capitale, les élections du 29 novembre prochain n’arrivent toujours pas à capter l’intérêt des électeurs.

Lundi matin, un ciel gris lâchait subrepticement quelques gouttes de pluie sur la ville de Baraki. Les gens vaquaient à leurs occupations, même si, de l’autre côté, d’autres tentaient de “savonner la planche” aux citoyens pour les convaincre de glisser un bulletin dans l’urne le 29 novembre prochain. Devant les panneaux d’affichage, quelques vieux scrutent les photos, les jeunes pressent le pas vers les cafés et le marché, les femmes, le regard au sol, s’empressent de quitter les lieux. Elles ne sont pas concernées par la politique, laisse-t-on dire.

“Ah bon, il y aura des élections ?” lâche Samir, détenteur d’un commerce sur le boulevard Mohamed-Bellarbi de Baraki. Une manière pour notre interlocuteur de dire tout son désintérêt pour un scrutin qui n’arrive toujours pas à capter les regards. En face de son magasin, une permanence électorale du Mouvement populaire algérien, le MPA d’Amara Benyounès. Banderoles accrochées à l’entrée de la salle, des panneaux en bois disputent la place aux emblèmes suspendus à l’intérieur, des posters ornent des surfaces entières sur des mûrs vétustes. “Même les médias alimentent ce désintérêt”, souligne un des permanenciers du MPA. Pour ce jeune, “il est inacceptable que des chaînes de télévision ne montrent qu’une seule facette”. Il faut, a-t-il expliqué, “donner la parole à tout le monde”.

Sur le même boulevard, même les Scouts musulmans algériens, SMA, s’impliquent. Des photos géantes du président Bouteflika accueillent les quelques curieux présents devant “le local”. À quelques mètres plus loin, le FLN de Belkhadem occupe une grande salle où les candidats et autres militants distribuent des dépliants et appellent les gens à voter “le numéro 22”. Les partis “se tirent la bourre”, disait le vieil adage. À Baraki, le traumatisme de la décennie noire refait surface à chaque rendez-vous électoral. “Je suis né ici et j’ai vu défiler des dizaines de maires et d’élus à l’APC, mais sans aucun changement”, réplique à notre question Imad, vendeur de cigarettes.

“Que des promesses avec ces gens”, a-t-il ajouté, avant de souligner qu’il n’a jamais voté de sa vie et que même s’il devait le faire, il glisserait “un bulletin blanc dans l’urne”.

“Nous avons trop souffert du terrorisme pour croire à toutes ces mascarades électorales”, a-t-il ajouté avec un air triste. Retour à la permanence du FLN. Quatre femmes nous accueillent avec leurs dépliants où la photo du SG est montrée comme “un porte-chance”. Zahia Haine, candidate du vieux parti, ne perd pas espoir de voir sa liste s’illustrer le 29 novembre au soir. “Je fais de la proximité”, a-t-elle souligné. Pour cette candidate, “il ne faut pas baisser les bras, la commune a besoin de gens sincères pour travailler”.

Candidats au “sang de navet”

Rares sont les candidats qui s’immiscent dans le débat. Hormis Zahia du FLN et le jeune du MPA, les autres ont préféré rester en rade de la discussion. “Ce qui les intéresse, c’est le strapontin communal”, profère comme une insulte Yacine à l’endroit de deux candidats d’un parti islamiste.

“Ils ont du sang de navet”, comme pour résumer leur “manque de courage” à affronter les citoyens. Les quelques jeunes qui se prêtent au débat s’interrogent, non sans ricaner, sur la nécessité de désigner encore des élus.

“Ils sont là durant cinq longues années. Ils profitent de la charité de l’État et laissent le citoyen affronter seul sa misère”, résume Ryad, avant d’ajouter que ce qui l’intéresse, “c’est le MCA, la JSK, l’USMA…”

“Parlez-moi de sport, c’est beaucoup plus intéressant que ces blablas électoraux”, a-t-il asséné.

“Mettre toutes voiles dehors”

Youcef, habitant à Birkhadem, ne s’est pas donné le temps nécessaire de voir toutes les affiches électorales accrochées aux panneaux jouxtant la mairie de la localité. “Je ne vais pas voter”, dit-il. Pour nous faire connaître ses raisons, Youcef nous invite à discuter avec les citoyens sur les réalisations du maire. À peine la discussion entamée avec lui, un rassemblement de citoyens se forme autour de nous. Le maire de Birkhadem est accusé de toutes les tares. Entre exclusion de citoyens de la localité et passe-droits, les griefs retenus par les citoyens contre leur maire sont incalculables. Des dizaines de personnes se pressent pour raconter “leurs mésaventures” avec le premier responsable de la commune. “Tous les maires sont des voleurs”, a déclaré un jeune fonctionnaire dans une APC algéroise. “Je suis victime du terrorisme et ce maire ne me reçoit même pas.” Énumérant d’autres problèmes, les citoyens rencontrés abondent tous dans le même sens. Ils mettent en avant les promesses non tenues, les passe-droits, la corruption et l’exclusion du citoyen dans la gestion des affaires de la commune. Cette situation a fait que les électeurs “tournent le dos” au vote.

Le poids des expériences passées

Naciba, commerçante et résidente à Birkhadem, va, quant à elle, à contre-courant.

“Ces gens qui vous disent qu’ils n’iront pas voter vous mentent.” Plus explicite, elle ajoutera qu’ils vont tous se rendre aux urnes le jour “J”. Avec un brin d’espoir mêlé à une incertitude, elle soulignera que “la commune a besoin d’élus sincères pour redonner espoir aux citoyens”. Où trouver ces gens sincères ? C’est la question à laquelle nos interlocuteurs répondent, unanimes, en disant que “le système a fait des élus de simples charognards”. Une affirmation lourde de sens qu’un autre jeune se charge d’expliciter en évoquant des malversations de la vente du foncier communal.

“Ils ont dilapidé le foncier de la commune. Des étrangers à la commune viennent s’installer pour assurer, lors des élections, la continuité à la même équipe.” Distribution de logements sociaux, étals au marché communal…, sont, entre autres, les sujets les plus souvent abordés lors des discussions. Nacer, fonctionnaire de l’APC, se plaint lui aussi : le maire “n’a pas voulu me réintégrer dans mon poste de travail, pourtant la justice le lui avait ordonné”. Cette situation me pousse, a-t-il dit, “à boycotter”.

Entre les boycotteurs qui se font un malin plaisir de descendre en flammes les candidats et les rares votants potentiels, la balance penche plutôt vers un boycott massif. “Certains partis commencent déjà à préparer la fraude”, jure-t-on. Nos interlocuteurs craignent des affrontements le jour du vote, si cette information venait à se confirmer.

“Un candidat qui se présente sous les couleurs d’un parti a été condamné à deux reprises par la justice”, informe Madani, avant qu’une vieille femme ajoute, toujours dans le même sens, qu’un autre parti “a présenté des illettrés”.

Sur place, deux candidats du FFS et une autre du MPA se disputent. Djamel, candidat du FFS, assure que la liste du parti d’Aït Ahmed représente les aspirations des citoyens. De son côté, Fouazia, candidate du MPA, jure que son “seul souci”, ce sont les jeunes. “Je me suis portée candidate pour essayer d’apporter un soutien à cette catégorie.” Cette catégorie qui, pour sa part, n’attend pas beaucoup de cette élection.

Quelles prérogatives pour les maires ?

Les élus locaux “n’ont aucun poids”. “Donc, à quoi servirait cette élection ?” se demande Khaled, décidé à boycotter car “le maire est réduit à gérer la misère”. Enseignant de son état, il souligne qu’il n’est pas de Birkhadem, mais qu’il est juste de passage. “Je pense sincèrement que voter, c’est participer à la ruine de ce pays.” Avec un accent d’opposant farouche, Khaled se remémore les années sombres du terrorisme où “l’État a lâché les citoyens en proie à une barbarie terroriste aveugle”.

Le réquisitoire de cet enseignant ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Il s’attaque aux partis “participationnistes”. Pour lui, “ce sont tous des opportunistes qui travaillent pour l’intérêt politique du pouvoir”, et le pouvoir de son côté “ferme les yeux sur les dépassements et la corruption”, en guise “de retour de l’ascenseur”.

Mêmes réactions dans beaucoup d’autres quartiers populaires d’Alger. Les citoyens ne se sentent pas concernés par une élection qui, déjà, donne un avant-goût sur une participation qui, au mieux, va frôler le fiasco.

M M