Qui va l’emporter de Mohamed Morsi, le Frère musulman, ou d’Ahmad Chafiq, général et ancien Premier ministre d’Hosni Moubarak ? Les deux candidats se proclament chacun vainqueur d’un duel qui oppose, en fait, depuis de longues années, les militaires et les islamistes.
Morsi tient la corde. Dès mardi, deux jours après le scrutin, pour faire pression sur le Conseil suprême des forces armées (la vingtaine d’officiers supérieurs détenteurs du pouvoir depuis le départ de Moubarak, en février 2011), ils ont annexé la place Tahrir. Ce haut lieu de la révolution égyptienne a vu affluer les islamistes barbus et les femmes voilées ou portant niqab. Samedi, ils étaient plusieurs dizaines de milliers. Rien à voir avec les immenses foules de jeunes laïcs, femmes en jeans et bourgeoises d’âge mûr, les cheveux au vent, qui l’occupaient l’an passé. Hier, les dizaines de milliers d’islamistes amenés par des cars de toute l’Égypte (les frais de transport se montant à 1,3 million d’euros) étaient pour beaucoup des gens modestes portant la gallabiya, la robe traditionnelle des hommes. Une autre Égypte, bien décidée à camper sur Tahrir jusqu’à ce que les résultats officiels proclament la victoire de leur cheikh.
Négociations
Mohamed Morsi, l’islamiste, patron de Liberté et Justice, le parti issu des Frères musulmans, n’a pas une réputation de radical. Il sait qu’il inquiète une moitié d’Égyptiens. Ceux, musulmans ou chrétiens, qui veulent un État laïque, démocratique et moderne. Pour les rassurer, en août dernier, les Frères musulmans, comme l’ensemble des partis, ont signé un texte, sorte de contrat politique moral, s’engageant à ne pas modifier l’article 2 de la Constitution qui fait de l’Égypte un « État civil ». C’est le mot à la mode dans le monde arabe pour ne pas dire « État laïque » qui reste tabou. Cet accord avait été mis au point par des personnalités de tous bords à l’initiative d’Ahmed Tayeb, grand imam d’El Azhar, chef de l’islam sunnite, une personnalité libérale et moderniste, bien décidée à restaurer un islam non fondamentaliste.
Ces derniers jours, Mohamed Morsi a donc reçu des responsables des partis laïques pour leur rappeler son engagement et ses promesses de nommer des femmes et des Coptes (les chrétiens d’Égypte, 8 à 10 % de la population) dans son gouvernement.
De son côté, le Conseil suprême des forces armées a reçu les différentes parties. D’une part, les formations laïques (ceux qui ont fait la révolution et sont les perdants de la bataille électorale), dontMohamed ElBaradei, le père spirituel du Printemps égyptien. D’autre part, le numéro deux de la Confrérie des Frères musulmans, Kheyrat el-Chater, homme d’affaires richissime, considéré comme la tête pensante de la confrérie et le mentor de Mohamed Morsi.
Les bruits courent sur le deal passé entre l’armée et les Frères musulmans. En est-il encore besoin alors que les militaires se sont emparés, ces deux dernières semaines, de la quasi-totalité des pouvoirs du pays ?