La question de la taille et de la composition du corps électoral algérien a toujours fait l’objet de polémiques plus ou moins vives dont se fait régulièrement l’écho la presse algérienne, entre les partis politiques, principaux acteurs du champ politique en période électorale, et les services du ministère de l’Intérieur, responsables de l’organisation des consultations électorales.
Ces échanges souvent accusateurs qui prennent parfois l’allure de faux procès intentés par les premiers contre les seconds, ne reposent pourtant sur aucune analyse sérieuse de ce corps électoral, basée comme cela devrait être la règle sur une connaissance technique des données de base nécessaires à l’ouverture d’un débat serein sur cette question qui est, comme le souligne l’un des meilleurs constitutionnalistes français Georges Burdeau, «l’agent d’exercice par excellence de la souveraineté nationale». Pour aborder cette question, il nous faut d’abord nous référer à deux autres catégories et variables statistiques complémentaires porte-greffe de la première : la première d’ordre démographique qui est la population, dont le corps électoral est l’émanation statistique quasi-organique, et la seconde d’ordre historique et politique : Il s’agit du droit de vote qui régule et détermine au plan légal la taille réelle définitive du corps électoral.
La population
La population englobe tous les résidents indépendamment de leur statut légal. Pour l’ensemble de la période de référence qui nous intéresse, la population algérienne a enregistré une croissance annuelle moyenne de 2,4%. Cette population a connu au cours de cette période deux grandes phases et tendances d’évolution : une première phase ascendante allant de l’indépendance et culminant en 1982 avec le plus haut niveau de croissance naturelle (3,3%) et une deuxième phase descendante qui va jusqu’en 1999 qui connaît le taux de croissance le plus bas (1,4%). Sur toute cette période de 50 ans, le changement enregistré entre la première année de référence et la dernière est de 27%. Estimée au moment de l’indépendance (1962) à environ 11 209 845 habitants, la population totale algérienne résidente a aujourd’hui dépassé allègrement le cap des 36 millions d’habitants.
Le droit de vote et ses restrictions légales et politiques
Le droit de vote permet aux citoyens d’un État donné de voter pour exprimer leur volonté, à l’occasion d’un scrutin, et ainsi d’élire leurs représentants et leurs gouvernants ou de répondre à la question posée par un plébiscite ou un référendum. C’est un droit civique fondamental dans une démocratie. En général, le système électoral est passé par étapes d’un droit de vote essentiellement masculin au suffrage universel. Chaque pays a connu un rythme et des étapes différents. La désignation des représentants du peuple revêt en effet dans tous les pays une telle importance qu’elle justifie également que seuls des citoyens responsables puissent y participer. C’est au nom de ce sacro-saint principe et pour d’autres moins avouables que des exclusions du droit de vote ont longtemps été pratiquées par de nombreuses législations sur la base du sexe, de la propriété (pays anglo-saxons) religion et couleur de peau (États-Unis, Afrique du Sud) âge, handicapés mentaux, fonctions, notamment les militaires et les marins. Colonie de peuplement proche de la France, l’Algérie a été la colonie française qui a le plus souffert du régime discriminatoire et honteux de restriction du droit de vote pour des raisons politiques. Si pour l’ensemble des colonies françaises, c’est le 23 juin 1956, (veille des indépendances de ces pays) que la loi-cadre Defferre concrétisa cette citoyenneté «égale» entre «indigènes» et «Européens» en supprimant le système du «double collège», en Algérie «française », le collège unique n’a été institué que sous le gouvernement Félix Gaillard par la loi du 5 février 1958 relative aux élections en Algérie, suite à la loi-cadre sur l’Algérie adoptée le 31 janvier 1958. La suppression du collège unique fut définitivement confirmée pendant la période de pleins pouvoirs du gouvernement de Gaulle par le décret n° 58-569 du 3 juillet 1958.
Tableau 1 : Population algérienne et proportion du corps électoral (1962-2009)
Source : (*) Université de Sherbrooke, Perspectives monde (**) Journal Officiel de la République Algérienne.
Le corps électoral algérien
Le corps électoral ou électorat en général est constitué de l’ensemble des électeurs pouvant participer à une élection (locale, nationale, professionnelle, etc.), donc disposant du droit de vote pour cette élection. Dans notre pays, ces électeurs doivent être inscrits sur les listes électorales par une démarche volontaire. Une carte d’électeur est alors remise lors de l’inscription sur la liste électorale. En vertu de l’article 3 de la loi organique du 12 janvier 2012 relative au régime électoral, le corps électoral algérien est censé être composé de tous les Algériens et Algériennes «âgés de dixhuit (18) ans accomplis au jour du scrutin, jouissant de leurs droits civiques et politiques et n’étant dans aucun cas atteints d’incapacités prévues par la législation en vigueur» et qui ont accompli les formalités d’inscription «sur la liste électorale où se trouve leur domicile » (article 4 de la même loi). Les exclusions légales et l’interdiction d’inscription sur une liste électorale prononcées par l’article 5 de la loi organique relative au régime électoral portent sur les catégories suivantes :
– «Celui dont la conduite pendant la révolution de Libération nationale a été contraire aux intérêts de la patrie ;
– celui qui a été condamné pour crime et non réhabilité ;
– celui qui a été condamné pour délit à une peine d’emprisonnement lui interdisant l’exercice du droit électoral ;
– celui qui a été déclaré en faillite et qui n’a pas fait l’objet d’une réhabilitation ;
– Les internés et interdits.»
Quelques enseignements de l’analyse des tendances croisées d’évolution du corps électoral et de la population de 1962 à 2009
– Etant composé de la catégorie «active » de population ayant plus de 18 ans et plus inscrite sur les listes électorales, le corps électoral dont la proportion moyenne sur 50 ans par rapport à la population totale est de 55% devrait en principe connaître la même tendance dynamique d’évolution que celle de la population totale. Sans aller dans le détail que ne nous permettrait pas l’espace de la présente chronique, le tableau 2 montre que la courbe du corps électoral est d’une irrégularité pour le moins suspecte, notamment pour les périodes 1976,1991 et 2002, où elle présente des creux inexplicables sur le plan démographique, qui reste la seule dynamique alimentant ces courbes :
– De 1962 à 1991, le tableau n°1 nous montre que les courbes d’évolution du corps électoral sont complètement déconnectées des taux de croissance naturelle de la population dont elles devraient normalement refléter pour ne pas dire épouser les dynamiques ascendantes entre 1962 et 1982 (taux de fécondité en hausse) et descendant entre 1982 et 1999 (taux de fécondité en baisse continue). La tendance d’évolution «comprimée» ou «contenue» semble reprendre une certaine normalité en retrouvant sa liberté d’évolution entre 2002 et 2009 ;
– le tableau numéro 1 laisse apparaître enfin une «monstruosité» statistique en 1989 : le corps électoral publié par le journal officiel pour le référendum de la révision constitutionnelle de 1989 est amputé de son croît naturel au point qu’il apparaît inférieur à celui communiqué lors de l’élection organisée 4 ans plus tôt !… Ce chiffre ne retrouve sa cadence naturelle qu’en 1991 ! Chassez le naturel… il revient au galop, 4 ans plus tard seulement !
M. K.