El oued: futur eldorado du monde agricole vert, le Sud

El oued: futur eldorado du monde agricole vert, le Sud

A Oued Souf, la main de l’homme s’affaire à transformer des espaces désertiques en surfaces agricoles utiles. Preuve en est: au milieu des dunes du Grand Erg oriental le nombre de champs verts ne cesse d’augmenter depuis l’année 2000.

Dans la wilaya d’El Oued et plus précisément dans la commune de Reguida, les frères Thi, c’est leur nom, vont boucler ce mois de décembre vingt années passées dans la culture de la pomme de terre. En 1997, Ahmed l’aîné fait part à ses deux frères cadets de son projet de produire de la patate. Ils l’accompagnent dans ce pari fou que de tenter de dompter les dunes et livrer bataille aux dévastateurs vents de sable. Aujourd’hui les Thi qui se disent les premiers à avoir introduit la culture de la pomme de terre dans ce légendaire fleuve tari (oued Souf) depuis des siècles, n’en sont pas moins fiers d’être à l’origine du boum agricole que connaît leur wilaya depuis quelques années. Nous sommes allés les rencontrer lors de notre passage dans la région avec pour lieu de rendez-vous là où ils ont cueilli leur première récolte de tubercule.

A la rencontre des premiers champs ronds de pomme de terre

C’est le plus jeune des Thi, ils sont cinq frères exactement, qui est chargé de nous guider pour nous mener au point de rencontre. Sur la route que nous empruntons, le bitume est revêtu de sable. Plus nous avançons, plus nous nous apercevons vite que l’espace désertique s’est transformé en terre agricole utile. En effet, des champs en forme de ronds ne cessent de se multiplier de part et d’autre de notre route où jonchent sur un côté des câbles électriques, mais qui, par endroits, quittent la route pour enfin disparaître au milieu des dunes. Nous arrivons enfin et Ahmed de nous montrer du doigt l’espace où leur histoire avec la pomme de terre a commencé. «Après avoir dépensé toutes nos économies et s’être endettés jusqu’au cou, pour pouvoir équiper un champ (prix du forage, de l’adduction, du pivot et des câbles électriques) il faut environ 70 millions de centimes. Cela ne nous a nullement découragés convaincus que nous allions récolter le fruit de nos sacrifices», a tenu à nous faire savoir ce pionnier. «Par la suite et lors de notre première récolte, un ballet incessant de curieux venait se rendre compte si réellement nous avions réussi à produire de la pomme de terre sur un sol sablonneux. D’autres, ne cessaient de nous demander si le rendement sur notre parcelle de seulement un hectare, car les pivots d’arrosage sont conçus pour irriguer des champs qui ne dépassent pas les 100 mètres de diamètre, était satisfaisant? Certes, c’était notre première expérience et les 300 quintaux (q) récoltés n’en ont pas moins créé une véritable frénésie chez beaucoup de gens de notre village, car pressés eux aussi de vouloir se lancer dans la culture de la pomme de terre», nous a indiqué Ahmed. Depuis, nous a expliqué notre interlocuteur, les champs circulaires n’ont pas cessé de se multiplier, non seulement dans sa région, mais aussi un peu partout dans la wilaya d’El Oued. De nos jours, les frères Thi exploitent simultanément 20 champs, mais ils comptent faire plus, car leurs enfants ont grandi «et ils veulent eux aussi montrer qu’ils sont aussi capables de mieux faire sinon autant que leur père», nous ont renseigné les Thi. Cette soif de produire plus nous l’avons aussi rencontrée, au gré de notre passage dans la région, chez d’autres exploitants. Ce qui explique pourquoi les surfaces agricoles, quasi inexistantes en 1993 avec 200 ha cultivés, recouvrent aujourd’hui 33.000 ha. Selon la Chambre de l’agriculture de la wilaya d’El Oued, le nombre de producteurs dans ce type de spéculation est passé de 800 à près de 5000 entre 2004 et 2014. On a également appris de cette même source que la filière pomme de terre s’est si bien développée qu’en 2013, la wilaya est devenue la première région productrice de pomme de terre d’Algérie, avec 24% des 5 millions de tonnes récoltées dans le pays. Une véritable prouesse en la matière, car faut-il le faire remarquer, qu’en si peu d’années la production de pomme de terre dans cette wilaya a commencé par détrôner celle de la wilaya de Mostaganem et sa célèbre plaine du «Dahra» avec ses innombrables exploitations où l’on cultive uniquement de la pomme de terre à raison de deux et parfois même trois rotations par an.

De nombreux producteurs du tubercule du Nord du pays se sont installés à El Oued

Pis encore, à El Oued, sa production a égalé il y a deux ans celle de Aïn Defla et l’a dépassée cette année, selon la direction de la production végétale auprès du ministère de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche. C’est donc là une véritable performance si on tient compte du fait que Aïn Defla est la wilaya du pays qui détient le plus grand nombre d’hectares dédiés à la culture de la pomme de terre. En somme, tout le mérite revient à tous les agriculteurs versés dans la culture du tubercule qui, malgré des moyens dérisoires, ont pu à force de ténacité et de bravoure, ainsi qu’au prix de sacrifices vérifiés sur le plan matériel et financier, concrétiser leur aspiration. «C’est d’autant plus vrai qu’au prix de revient de l’équipement nécessaire pour un champ, comme indiqué ci-dessus, il faut ajouter 25 millions pour l’achat de quelque 50 q de semences, 16 millions étant destinés pour se procurer de la fiente de poulet et 5 millions aux engrais», nous ont précisé à l’unanimité des propriétaires de champs de pomme de terre de Reguiba. Ces derniers nous renseignent également que d’autres dépenses sont nécessaires pour rendre le champ rentable. «Il faut acheter des produits phytosanitaires, payer la facture d’électricité, payer les personnes qui ont planté les brise-vents», nous ont détaillé nos interlocuteurs. En somme, ces derniers ont, pour rendre fertile leur espace dunaire, dépensé sans compter sachant pertinemment que le retour d’investissement est assuré à court terme. Ce qui explique comme nous l’avons dit plus haut, toute la ténacité des producteurs de la pomme de terre. Il faut dire aussi qu’avec les rendements à l’hectare réalisés, cela rapporte aux propriétaire des champs des dividendes importants. Chose qui n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. En effet, de nombreux agriculteurs de la région de Aïn Defla sont venus grossir les rangs des producteurs de pomme de terre de la région.

L’un deux que nous avons rencontré sur son champ et à qui nous avons demandé la raison qui l’a poussé à venir cultiver de la pomme de terre dans cette région ne nous a pas caché que les rendements réalisés ici sont nettement supérieurs que ceux tirés des champs de Aïn Defla. «A partir de cette donne, je me suis vite décidé d’aller produire à El Oued et fort de mon expérience et de mon capital financier, je me suis vite mis à la tâche», nous a expliqué «El Telli» un sobriquet que lui ont donné ses voisins de Reguida et qui veut dire: le gars du Nord du pays. Ce dernier nous avouera: «Certes le travail est très pénible sans parler des kilomètres que je parcours chaque jour pour rejoindre mes champs et retourner en fin d’après-midi là où j’ai élu domicile, mais cela en vaut la peine car nous tirons d’assez bons bénéfices à chaque cueillette.» A propos de ses voisins producteurs comme lui qui sont tous des Soufis, «El Telli» dira: «Ils sont d’une ténacité légendaire car il leur arrive souvent de travailler sous une chaleur qui dépasse les 50° à l’ombre, notamment pour la campagne d’arrière-saison qui coïncide avec le mois d’août et de mener un dur combat avec les vents de sable fréquents dans la région.» Il faut en effet être vraiment tenace pour travailler dans des conditions aussi difficiles. Cette opiniâtreté n’en est pas moins quasi présente dans de nombreuses zones agricoles de cette wilaya. Elle (la ténacité) s’explique selon les gens de Reguiba à qui nous avons posé la question par le fait que les Soufis n’ont plus voulu se consacrer uniquement à la phoeniciculture, «mais faire pousser autre chose que des palmiers dattiers», nous ont-ils précisé. En effet, on a appris sur place que d’anciens fellahs, spécialisés dans la datte, se sont lancés en parallèle dans la culture de la pomme de terre. C’est le cas de Abdelkader Louassaâ, un agriculteur à la peau brunie par le soleil. «Dans ma famille, on a toujours cultivé les «ghout», ces palmeraies traditionnelles situées dans une crevasse d’où on puise l’eau de la nappe phréatique, raconte le vieil homme. Mais depuis quelques années, en plus de nos sept palmeraies, nous cultivons aussi la pomme de terre.» Un octogénaire nous fera remarquer: «Les palmeraies ne sont plus la seule occupation des fellahs du coin, car nombreux de ces derniers sont de plus en plus tentés par la culture de la pomme de terre dopés par les échos qui leur sont parvenus, leur apprenant que la culture du tubercule rapporte d’intéressants bénéfices.» Et de nous faire savoir également «même nos universitaires se sont mis à produire du tubercule».

Beaucoup d’universitaires de la région sont devenus des producteurs

C’est le cas de Ali qui possède une licence en histoire et de Madjid titulaire d’un master en lettres arabes. Ces derniers que nous a présentés le président de la Chambre de l’agriculture de la wilaya nous ont expliqué qu’«après avoir trop attendu un poste d’emploi, qui correspond à leurs diplômes, qui n’arrivait pas, ont décidé de devenir cultivateurs de pomme de terre comme beaucoup de jeunes de leur village». «Une mutation qui s’est réalisée grâce au soutien financier de nos parents qui nous ont avancé l’argent nécessaire pour louer quatre parcelles et les frais de campagne», nous a révélé Ali. De son côté, Madjid a tenu à nous dire: «C’est grâce aussi aux conseils prodigieux des cultivateurs de la région que nous nous sommes aguerris au métier.». En témoigne «les rendements que nous obtenons» nous a lancé avec fierté Ali. De son côté, Madjid nous a fait part de ses projets et non des moindres car non seulement il veut multiplier ses champs de pomme de terre, mais il vise aussi se lancer dans la culture de la tomate.

La culture de la tomate prend de l’ampleur

Contrairement aux frères Thi qui étaient les seuls à se lancer dans la culture de la pomme de terre dans cette wilaya et vite imités par des dizaines d’autres, nombreux sont les gens de cette région qui n’ont pas hésité un seul instant à adopter cette spéculation simultanément comme si on leur avait donné le feu vert au même moment. Depuis, la tomate est «devenue le bébé des agriculteurs, qui la cultivent depuis à peine cinq ans. Ce produit a évolué très rapidement, plus vite que la pomme de terre», nous a fait savoir un responsable local du secteur de l’agriculture. «Actuellement, les rendements atteints dans la culture de la tomate avoisinent 800 quintaux à l’hectare et son prix reste stable, autour de 30 dinars le kilo. Avec ces rendements élevés, il est certain qu’ El Oued va devenir dans peu de temps leader dans cette spéculation. Pour l’heure, du côté des cultivateurs de ce fruit le satisfecit est à son comble, mais risque de ne plus l’être car ces derniers craignent qu’ à court terme leur production ne trouve pas preneur par voie de conséquence d’une surproduction.Une inquiétude tout à fait légitime.

L’oléiculture intéresse aussi les autochtones

L’oléiculture est aussi sur le point de connaître son heure de gloire dans la vallée du Souf. Plus de deux million d’oliviers sont à la veille d’entrée en production en attendant celle de deux autres millions de plants car récemment plantés. De ce fait, la wilaya d’El-Oued est considérée comme étant une wilaya pilote pour ce qui concerne le programme national de développement de l’oléiculture. Un programme qui a de grandes chances de réussir dans cette contrée, car selon un expert oléicole rencontré par hasard au niveau de la Chambre de l’agriculture de cette wilaya, l’eau, le soleil et la qualité de la terre confèrent une qualité exceptionnelle pour l’olive, «ce qui n’est pas sans encourager les gens du pays à opter pour l’oléiculture dans la région» nous a-t-il indiqué. Ce dernier nous a aussi précisé que l’olivier soufi produit même cinq à sixfois plus d’olives que l’olivier kabyle.

Certes la pomme de terre comme la tomate sont devenues dans cette wilaya des cultures qui ont donné entière satisfaction à leur producteur. Créant ainsi une sorte d’émulation dans la région. Pour preuve, de nombreux exploitants agricoles que nous avons rencontrés nous ont informés qu’ils commencent à s’intéresser à d’autres cultures et aussi à l’élevage bovin laitier «pour peu que les banques jouent le jeu car c’est là toute la problématique», nous ont-ils lancés.

L’un deux nous fera remarquer: «Nos demandes de crédit quand elles ne sont pas refusées tardent à être exécutées. Ce qui nous décourage», et d’enchaîner «toute notre stratégie de développement tombe à l’eau». Et pourtant, les projets de nombreux investisseurs, dont nous avons pris connaissance,méritent un traitement de faveur tant ils (leurs projets) sont des plus porteurs. En somme, tout le pays aurait beaucoup à gagner en soutenant les porteurs de projets. Et ce n’est là qu’un début dès lors que dans cette contrée du pays l’agriculture est devenue désormais un véritable créneau, un domaine à part entière dans ce légendaire fleuve tari. Ce qui fait croire que les fellahs soufis peuvent relever le défi, celui de faire de leur région la plus grande productrice de produits maraîchers. Lesquels, faut-il le dire, ont de grandes chances de pénétrer les marchés extérieurs de par la qualité des légumes produits, mais faut-il encore que les opérateurs intéressés s’impliquent davantage dans cette démarche. Là, c’est une autre paire de manches.