Depuis deux ans, ce site inspiré du « Gorafi » parodie l’actualité et rencontre un beau succès populaire dans un pays où la liberté d’expression reste très encadrée.
Lesquelles choisir ? Il y a eu l’histoire de ce mari déçu qui décida de porter plainte contre sa femme après l’avoir découverte sans maquillage au lendemain de leur nuit de noces. Ou encore cette déclaration de l’émir du Qatar justifiant son refus d’accueillir des réfugiés syriens : « Nous avons assez d’esclaves comme ça ! » Des nouvelles qui ne sont pas passées inaperçues et ont été reprises par les médias à travers le monde. « Une sorte de consécration pour un site comme le nôtre », reconnaît Nazim Baya, qui s’en amuse encore. A 31 ans, ce jeune pharmacien algérois est le fondateur du site parodique El Manchar.
Inspiré du Gorafi français, le site Web publie de fausses nouvelles, souvent hilarantes, sur l’actualité internationale et algérienne. Avec sa liberté de ton et son ironie mordante, il s’est assuré un beau succès populaire. Son slogan : « Avec des scies, on refait le monde. »
Au départ, quelques blagues sur Facebook
L’aventure a commencé il y a deux ans par une page Facebook sur laquelle Nazim Baya postait de simples blagues. Peu à peu, l’envie lui vient de monter un journal satirique. Il lance un appel à contributions pour trouver des caricaturistes. Sans succès. Il décide alors de s’en tenir à des textes et reprend le nom d’un titre qui avait existé dans les années 1990 : El Manchar, un mot qui signifie à la fois « scie » et « médisance ».
« En Algérie, on aime beaucoup la satire, l’humour, mais il y a un vide dans ce domaine, c’est pour ça que le site a autant de succès », estime Nazim Baya. En moyenne, le site enregistre 20 000 à 30 000 visites par jour, et jusqu’à 100 000 certains jours de buzz exceptionnel. L’équipe compte sept rédacteurs : trois en Algérie, deux au Canada et deux en France, tous algériens, avec une moyenne d’âge de 25 ans. Certains sont des amis, d’autres des connaissances virtuelles
Le site est volontiers grinçant sur l’actualité internationale. Après le drame du pèlerinage à La Mecque, un article moque ainsi le mépris des autorités saoudiennes en mettant en scène le roi d’Arabie saoudite qui explique : « Pour des Africains, mourir loin d’Ebola et le ventre plein est une bénédiction. » S’agissant de l’Algérie, une prétendue étude mondiale sur le sommeil révèle que le pays « est le seul au monde où les cauchemars commencent au réveil »…
On est toujours du côté du peuple, on ne tape que sur les puissants, les riches.” Nazim Baya, fondateur de El Manchar
Sur ses motivations, Nazim Baya reste discret. Pas de grand discours sur la liberté d’expression pour ce jeune développeur Web. « Oui, j’ai des choses à dire, comme tout citoyen. Notre message, c’est qu’à travers l’humour on donne une certaine vision du monde et on a plus de chance d’être entendu. » Une ligne éditoriale ? « Un fil conducteur, répond Nazim Baya. On est toujours du côté du peuple, on ne tape que sur les puissants, les riches. »
Les auteurs n’épargnent pas les politiques algériens ni le système. Sans surprise, le président Bouteflika, très affaibli depuis son AVC de 2013, est une cible privilégiée. Ainsi cette photo du chef de l’Etat, assis dans un fauteuil roulant, le visage figé, les yeux écarquillés, sous le titre : « Abdelaziz Bouteflika sacré champion du monde du jeu 1-2-3 soleil. »
Là où le canular devient vraiment savoureux, c’est lorsqu’il est repris par des médias dits « sérieux ». La première fois, se souvient Nazim Baya, c’était à propos de l’ANSEJ, l’organisme algérien qui octroie des microcrédits aux jeunes pour monter leur projet (et s’offrir du même coup une certaine paix sociale). El Manchar publie un article expliquant que l’ANSEJ va désormais financer ceux qui veulent se marier. Plusieurs chaînes de télévision reprennent l’information. Dans un pays où le mariage est un investissement très lourd, le buzz est garanti.
Pas touche à la religion
En mai, alors qu’une étudiante algérienne a été empêchée de rentrer à l’université par un vigile au prétexte que sa jupe était trop courte, le site titre : « L’Algérie interdit le port de la minijupe. » La fausse information se répandra comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Une seule ligne rouge : la religion. « On ne peut pas en rire, c’est sacré. Je n’ai pas envie de heurter les gens et ça ne fait pas avancer le débat », explique le fondateur du site, précisant qu’ils ne se privent pas d’attaquer les religieux.
Dans un pays où la liberté d’expression est étroitement encadrée, El Manchar n’a jamais été inquiété pour son impertinence. « Nous n’avons jamais eu de souci, confirme Nazim Baya. Ils n’ont peut-être pas pris conscience de l’ampleur du phénomène. » Cumulées, les visites se chiffrent à 700 000 par mois. Le jeune pharmacien n’a pas vraiment de projet d’agrandissement. « On est des amuseurs », dit-il. Utiles pour l’Algérie ? « Il me semble que oui. Le rire c’est important dans une société. Salutaire. »