Aujourd’hui, la tradition solidement ancrée dans la région depuis plusieurs générations, a été tronquée, galvaudée. Au fil des ans, elle a perdu l’essentiel de sa signification. Pire, elle a été infiltrée par des éléments étrangers.
Depuis trois semaines, des étals affriolants de friandises diverses et abondantes ont fait leur apparition, comme chaque année à pareille époque, sur les trottoirs de certaines artères de la ville (principalement l’avenue du 1er-Novembre et les abords du marché), notamment.
L’évènement, ciblé et à fêter avec cette profusion de gourmandises, était Ras el aâm qui se limite, aujourd’hui, à l’achat et la consommation du “trêz” (l’ensemble des friandises dont on dispose pour l’occasion), la veille du 13e jour du calendrier grégorien (d’où, sans doute, l’appellation du mot “trèz”). Alors que, par le passé, le rituel de la célébration de Ras el Aam s’étalait sur trois jours (“lila h’chich” ou le premier soir avec la consommation d’un plat à base de plantes potagères variées”, “lila rich”, soit le deuxième soir, avec de la volaille” et “lila trèz”, le troisième, qui achève le rituel avec la distribution des friandises aux membres de la famille et des beignets pour accompagner le café de l’après-midi) – une manière de présager d’une année faste caractérisée par l’abondance et la variété. Aujourd’hui, la tradition solidement ancrée dans la région depuis plusieurs générations, a été tronquée, galvaudée. Au fil des ans, elle a perdu l’essentiel de sa signification. Pire, elle a été infiltrée par des éléments étrangers… Ainsi, on a vu, çà et là, des Pères Noël en peluche et aux sacro-saintes couleurs rouge/blanc, suspendus au-dessus des étals où figurent encore des Pères Noël et sabots en chocolat. Et pour agrémenter, décorer les stands, il n’est pas rare de voir un ou deux sapins en… plastique trôner de part et d’autre des étals. Le but est, de toute évidence, mercantile. Mais force est de constater que par ce mélange incongru de symboles, de codes, de dates, les traditions, en empruntant maladroitement à une civilisation ou une autre, sont vouées à leur oubli, leur perte. Durant l’époque coloniale, le Père Noël en chair et en os ou… en chocolat, comme les hottes ou les sabots, le sapin décoré de guirlandes, d’ampoules et d’étoiles scintillantes relevaient de la fête chrétienne qui restait confinée aux quartiers, aux demeures, à l’école, aux magasins français. Quand arrivait Raas el Aam, ou El Mouloud, les échoppes des autochtones (Arabes, Kabyles, Mozabites) exposaient les produits propres à nos fêtes et se paraient d’un décor fait de couleurs et d’odeurs typiques de chez nous, dans la fidélité de nos traditions séculaires musulmanes.
Il n’y avait pas d’intrusion d’un produit étranger à notre culture, à notre monde. Et chacun, adulte ou enfant, connaissait, dans le détail, le rituel particulier d’une fête ou celui du passage d’une année à l’autre – rituel qui ne souffrait aucune transgression. C’est ainsi que, d’une génération à une autre, les mêmes gestes ont été accomplis, les mêmes produits apparus, les mêmes chants spirituels – louanges à Dieu et au Prophète Mohamed (QSSL) – que, pratiquement, plus personne ne connaît, aujourd’hui. A l’heure du “copié-collé”, Ras el Aam, dépouillé, en perte de repères, a “piqué” des “éléments” à Noël…