Le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui aux côtés du président Morsi
La mise à la retraite d’office du maréchal Tantaoui, remettait d’une certaine manière les choses à l’endroit alors que d’aucuns estimaient que le duel à fleurets mouchetés semblait avoir été remporté par les militaires.
Le président égyptien, Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, a fait prendre à la politique égyptienne un virage à 180° en «mettant» à la retraite d’office le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui (76 ans) – inamovible ministre égyptien de la Défense depuis 20 ans – une fournée de hauts gradés de l’armée parmi lesquels le chef d’état-major, le général Sami Enan. Pour un coup d’éclat, c’en est un du fait même de l’effet de surprise qu’il a induit dans les milieux politiques et militaires égyptiens, régionaux et internationaux. Ainsi, l’intouchable et toute-puissante armée égyptienne a été sèchement renvoyée à ses casernes par un président déterminé à exercer les responsabilités que lui a confiées le peuple égyptien. Dans un communiqué de la présidence, le porte-parole du chef de l’Etat a déclaré: «Le maréchal Hussein Tantaoui est admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter de ce jour (dimanche, 12 août, Ndlr).» Il est remplacé aux postes de ministre de la Défense et de président du Csfa par le général Abdellatif al-Sissi, indiquait la même source. Le général Sidki Sohbi succède quant à lui, au général Sami Enan à la tête de l’état-major. Ce dernier, âgé de 64 ans, a longtemps été considéré comme très proche des Etats-Unis, qui financent en grande partie l’armée égyptienne. De fait, c’est là une première qui induit nombre de questionnements sur la détermination du président égyptien à rendre aux civils toutes leurs prérogatives et un pouvoir jusqu’ici exercé par la hiérarchie militaire dont les présidents – depuis la Révolution de 1952 et la destitution du roi Farouk II – étaient issus de ses rangs. De fait, l’attaque terroriste contre des gardes-frontières au Sinaï, le 5 août dernier, semble avoir donné un coup d’accélération aux événements, qui amenèrent le président Morsi à affirmer qu’il «allait reprendre le Sinaï en main».
En fait, c’est bien l’armée qu’il a repris en main… Cette détermination s’est déjà exprimée en vérité quelques jours après sa prise officielle de fonction, lorsque M.Morsi a rétabli dans ses prérogatives l’Assemblée nationale dont l’élection d’une partie de ses membres – issus de la mouvance islamique – a été annulée par un décret du Conseil d’Etat. Cette décision du Conseil d’Etat a été suivie le 17 juin par une «Déclaration constitutionnelle complémentaire» du Conseil suprême de l’armée (CSFA) qui redonnait de fait la haute main au CSFA (dont le maréchal Tantaoui en est le chef) sur le pouvoir législatif. En effet, en détenant le pouvoir législatif, les généraux, tout en dépouillant le président de ses prérogatives, gardaient un droit de veto sur toute nouvelle loi ou mesure budgétaire, se réservant aussi un droit de regard sur la rédaction de la future Constitution. La mise à la retraite d’office du maréchal Tantaoui, l’annulation de la «Déclaration» du 17 juin, remettaient d’une certaine manière les choses à l’endroit alors que d’aucuns estimaient que le duel à fleurets mouchetés, engagé entre le nouveau président et l’armée, semblait avoir tourné en faveur des militaires. Aussi, ce que certains commentateurs avaient estimé être un limogeage, est en fait un acte éminemment politique et marque [désormais] la frontière entre le pouvoir politique civil – le président Morsi est le premier civil égyptien élu à la tête de l’Etat depuis 1952 – et la hiérarchie militaire qui a régné sans partage sur l’Egypte pendant 60 ans. Ce qui en fait, constitue un tournant et remet définitivement (?) au pouvoir, les civils dans un pays qui a été tout au long de six décennies dirigé par les généraux dont le représentant atypique a encore été le président Hosni Moubarak qui dirigea le pays d’une main de fer durant 30 ans. Cette fermeté du président Morsi envers les militaires se veut un signal fort quant aux prérogatives politiques qui, désormais, seront du seul ressort du chef de l’Etat et de son gouvernement. Cette mise à la retraite de Tantaoui, qu’elle soit forcée ou en consultation avec l’intéressé – comme l’indiquait dimanche soir le général Mohamed al Assar, fraîchement promu vice-ministre de la Défense, lequel a expliqué que la décision du chef de l’Etat avait été prise après des consultations avec l’intéressé et le Conseil suprême des forces armées, qu’il présidait – n’en dénote pas moins que l’Egypte est en passe de tourner définitivement la page du pouvoir militaire qui régna si longtemps sur le pays. De fait, la nomination par le président Morsi du maréchal Tantaoui et du chef d’état-major Sami Anan – également mis à la retraite d’office – comme conseillers de la présidence nuance quelque peu l’aspect bras de fer que le retrait de la vie active de hauts dignitaires de l’armée et du renseignement égyptien pouvait laisser supposer. De fait, le président Morsi dans une déclaration télévisée, dimanche soir, expliquait: «Les décisions que j’ai prises aujourd’hui ne visaient pas certaines personnes et n’avaient pas non plus pour but de gêner les institutions, et ce n’était pas non plus mon but de restreindre les libertés» ajoutant que «je n’ai pas voulu envoyer des messages négatifs à propos de qui que ce soit, mais mon objectif était de servir cette nation et son peuple», tout en rendant toutefois hommage au travail des forces armées. En réalité, ces prises de décisions inédites en Egypte – où il n’était pas évident de contrarier l’armée et son tout-puissant chef, le maréchal Tantaoui – même si elles ne sont pas dirigées contre l’armée comme l’affirmait M.Morsi, n’en donnent pas moins un nouveau éclairage sur les relations que le nouveau pouvoir civil égyptien compte désormais instaurer avec l’armée, enjointe d’accomplir ses missions et responsabilités qui sont et demeurent celles de protéger le peuple et défendre la nation, l’exonérant ainsi de toute implication politique dans la marche de l’Etat. C’est là une première, non seulement en Egypte, mais dans l’ensemble des pays arabes où le véritable pouvoir est détenu par les généraux. De ce point de vue, l’expérience égyptienne sera suivie avec attention, car les décisions du chef de l’Etat égyptien, nonobstant sa qualité d’islamiste, ouvre une nouvelle ère de gouvernance de la vie publique et politique en Egypte plus en phase avec la réalité et son environnement. Notons que le président Morsi a nommé dans ce sillage, un vice-président Mahmoud Mekky, un ancien magistrat qui dénonça en 2005 la fraude électorale qui permit à Moubarak d’étrenner un énième mandat à la tête de l’Etat. Il est à relever que le poste de vice-président n’a plus été pourvu depuis 1981 et l’accession du vice-président… Hosni Moubarak à la magistrature suprême. En deux coups trois mouvements, Mohamed Morsi redonna à l’Egypte toute son aura. Si Révolution de «printemps» il y a, c’est maintenant qu’elle commence effectivement en Egypte avec le retour des militaires à leurs casernes.