Les islamistes n’ont pas tenté d’étendre l’étendard vert sur la bourrasque de contestations qui a emporté le président tunisien Ben Ali et la révolte qui ferraille sans relâche en Égypte pour déboulonner le «Raïs» Moubarak. Agissent-ils par prudence tactique ou sont-ils en plein dans le crépuscule des affaiblis ?
-Que ce soit en Tunisie ou en Égypte, on ne peut pas soupçonner les mouvements islamistes, notamment les radicaux d’entre eux, de connivence avec le pouvoir d’un Ben Ali aujourd’hui déchu ou d’un Moubarak qui n’est toujours pas tiré d’affaire. Même si, au pays des pharaons, les Frères musulmans ont consenti à quelques flirts avec le régime de Moubarak, intégrés qu’ils sont dans le jeu électoral. Les Frères musulmans égyptiens siègent au Parlement mais ne jouent pas aux courtisans de Moubarak comme le fait le MSP en Algérie avec le président Bouteflika. Les récipiendaires doctrinaires de Hassan El Bana font le dos rond et composent, faute de pouvoir faire et agir autrement. L’appareil répressif érigé par le président Moubarak tout au long de ses trois décennies de règne ininterrompu en fait aussi des cibles, de choix, par conjonctures. En Tunisie, le parti Ennahda de Rachid Ghanouchi est moins gâté – si tant est que le terme sied – que le mouvement des Frères musulmans en Égypte. Son leader, condamné à la perpétuité, a dû subir un long exil de 20 ans. Aussi, s’il y a quelqu’un qui ne pouvait qu’applaudir la chute de Ben Ali, son clan et son régime, c’est bien Rachid Ghanouchi. Dimanche, il a foulé le sol de sa Tunisie natale. Il doit une fière chandelle au peuple tunisien qui s’est affranchi de la peur pour accomplir et réussir sa révolution. Un peuple qui s’est aussi émancipé de l’islamisme, vivant sa laïcité sans remords ni hésitation. Rachid Ghanouchi semble avoir compris cela. Aussi s’est-il interdit de mêler l’odeur fade de la récupération politicienne aux belles senteurs du jasmin que la révolution a déversées sur la Tunisie. Rachid Ghanouchi n’est pas rentré d’exil l’arme affûtée pour une conquête du pouvoir.
Non qu’il ne veuille pas prendre sa revanche sur l’infortune politique que les contingences lui avaient réservée. Il opère comme par prudence politique. Déjà, dans l’avion qui le ramenait de Grande-Bretagne en Tunisie, il a manqué de peu de s’excuser d’avoir été un islamiste radical. A la presse qui l’a accompagné dans son retour d’exil, il a affirmé qu’il ne prône pas l’instauration de la Charia comme système de gouvernance. Il a dû aussi jurer toute sa foi qu’il n’est pas candidat à l’élection présidentielle prochaine.
Il ne faut pas lire ce profil bas affiché par Ghanouchi comme un renoncement à la politique. Bien au contraire. Il rêverait certainement toujours d’une prise de pouvoir, seulement il ne veut pas se précipiter vers l’inconnu, surpris assurément qu’il est par l’aboutissement inattendu de la révolution du Jasmin. Une révolution dans laquelle son parti et ses partisans n’ont pas pointé en acteurs prépondérants. Ghanouchi est contraint de faire l’épreuve de l’embuscade. En Égypte, le mouvement des Frères musulmans, pris visiblement de court par la révolte qui a éclaté dans l’ampleur qu’on lui connaît, est demeuré plusieurs jours comme groggy. Ce n’est que vendredi qu’il a osé intégrer l’arène de la contestation… et de la manière des plus timorées qui soient. Ce qui est remarquable aussi chez les Frères musulmans d’Égypte, c’est qu’ils ne jouent pas aux fiers à bras. Ni ils osent quelques bravades face aux forces de l’ordre, ni ils ne font montre de prétention à détourner la révolte des rues du Caire, de Suez et d’Alexandrie à leur profit partisan. C’est El-Baradei et non le leader des Frères musulmans qui est proposé pour le rôle d’interface, de négociateur, entre l’opposition et le pouvoir.
Les Frères musulmans d’Égypte ne font, en fait, que subir le magnétisme que la révolte a répandu. Ils n’ont aucune emprise sur la dynamique de changement qui anime la scène égyptienne. Leur infortune est similaire à celle que connaissent ici les résidus de l’ex-FIS. Ali Benhadj a beau se proposer pour quelque rôle dans la gronde de la société algérienne, il se voit à chaque fois rabroué par une rue qui n’a cure des sémantiques politiques vieilles de 20 ans. Pour la génération Facebook, Ali Benhadj n’est qu’un tag animé mais sans percussion dans l’univers politique national.
S. A. I.