Des dizaines de milliers d’Egyptiens ont prié vendredi sur la place Tahrir, dans le centre du Caire, pour la démission immédiate du président Hosni Moubarak, espérant rassembler à nouveau plus d’un million de manifestants à l’occasion de ce « jour du départ ». Après deux jours de bataille entre opposants et partisans de Moubarak pour en prendre le contrôle, cette place de la Libération, épicentre de la contestation qui ébranle l’Egypte depuis onze jours, a retrouvé l’atmosphère festive de mardi lors de la « marche d’un million » organisée par l’opposition.
L’armée y maintient l’ordre et les partisans de Hosni Moubarak ne se sont pas montrés. Des hélicoptères survolent les lieux et des ambulances se tiennent prêtes à intervenir. « Va-t-en! Va-t-en! », ont scandé les manifestants après s’être agenouillés pour la prière du vendredi et avoir entendu un imam déclarer: « Nous voulons le départ du chef de ce régime », et saluer « la révolution des jeunes ». Dans la foule, où laïques et religieux se côtoient, beaucoup ont joint leurs voix au cri de ralliement des musulmans « Allah Akbar » (Dieu est grand).
« Aujourd’hui, c’est le dernier jour, aujourd’hui c’est le dernier jour! », scandaient des protestataires sur fond de musique pop arabe. « Pour l’Egypte, cette journée est un jour de fête! » Une partie des manifestants ont monté la garde sur la place tout au long de la nuit, pendant que d’autres, sous des tentes ou sur l’herbe, dormaient, bien que l’armée et le vice-président Omar Souleimane aient appelé à l’arrêt des manifestations.
Le ministre de la Défense, Mohamed Hussein Tantaoui, venu sur les lieux, s’est entretenu avec des soldats à l’entrée nord de la place, près du Musée égyptien. Les militaires, en plus grand nombre que les jours précédents, ont entrepris de démolir les barricades que les manifestants d’opposition avaient érigées pour se protéger d’éventuelles nouvelles attaques de partisans de Moubarak. Les violents heurts entre pro- et anti-Moubarak mercredi et jeudi ont fait au moins 10 morts et plus de 800 blessés sur la place et dans les rues avoisinantes. Peu après le lever du jour, six camions militaires se sont approchés et les soldats ont entrepris de démanteler une barrière de plaques métalliques à l’extrémité nord de la place. « Des manifestants sont accourus pour contester ce que faisaient les soldats, mais un officier leur a dit ‘Nous sommes de votre côté, mais nous avons des ordres d’en haut pour dégager toutes les barricades’ », a raconté Omar el Mahdi, un manifestant de 28 ans qui est allé discuter avec les militaires. « Ça va permettre aux voyous d’arriver jusqu’ici sans entrave », a-t-il ajouté. Des barbelés ont été mis en place aux 12 points d’accès à la place, ont déclaré des manifestants. Sur le grand axe reliant Alexandrie au Caire, des partisans de Moubarak empêchaient vendredi les voitures d’entrer dans la capitale, afin de dissuader des anti-Moubarak de rejoindre les manifestations, a rapporté un témoin.
Le Secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, a appelé jeudi à la tenue d’une conférence globale pour le dialogue national entre toutes les forces politiques en Egypte. M. Moussa a indiqué, dans un communiqué, que la transition en Egypte a débuté avec la décision du président Moubarak de ne pas se représenter aux élections, et d’amender la Constitution d’où l’importance, selon lui, de parvenir à une entente nationale. Il a estimé que la persistance de la tension ne servait pas les intérêts de l’Egypte et entrainait davantage d’instabilité dans le pays et la région. Pour M. Moussa, les événements en cours constituent une « importante avancée » sur le plan politique en Egypte avec « des manifestations pacifiques qui ont permis aux jeunes d’exprimer leur colère face à des situations et une vision différente de l’avenir de l’Egypte ».
Notons par ailleurs qu’un rapport du BIT a estimé que le manque d’emplois décents constitue un des facteurs décisifs du soulèvement de la population en Egypte. Selon le secrétaire général du Bureau international du travail (BIT), Juan Somavia, depuis de nombreuses années, son organisme « dénonce l’ampleur du déficit de travail décent en Egypte et dans d’autres pays de la région, où le chômage, le sous-emploi et le travail informel demeurent parmi les plus élevés au monde ».
« L’incapacité à gérer efficacement cette situation, avec toutes ses répercussions en termes de pauvreté et d’inégalités de développement, ainsi que les entraves à l’exercice des libertés fondamentales, ont déclenché ce déferlement historique de revendications populaires », a-t-il poursuivi.
Il s’est félicité toutefois de la création d’une Fédération égyptienne des syndicats indépendants, alors que le pays avait jusqu’à présent « une législation restrictive » n’autorisant qu’une seule fédération syndicale.
R.I.