Au Caire, la place Tahrir s’est de nouveau embrasée. Les scènes filmées par les caméras du monde entier depuis le 18 novembre rappellent celles qui avaient eu lieu à partir du 28 janvier dernier et qui avaient déclenché la révolution ayant conduit au départ du pouvoir du président Moubarak. De son côté, le gouvernement égyptien a présenté, ce lundi 21 novembre au soir, sa démission au Conseil suprême des forces armées (CSFA) au pouvoir depuis le départ de M. Moubarak en février.
Certains des protestataires que l’on retrouve aujourd’hui place Tahrir affirment vouloir « mettre en marche une deuxième révolution ». Des analystes estiment pour leur part que la révolution du 25 janvier vient d’entrer dans sa deuxième phase.
Comme au début de l’année, les forces de l’ordre se retrouvent submergées par de jeunes militants très déterminés qui ne reculent pas devant les tirs de gaz lacrymogène et qui n’ont pas peur d’affronter les forces anti-émeutes à coups de pierres. Et comme au début de l’année, ils se retrouvent Place Tahrir, totalement désorganisés, sans leader et sans véritable stratégie.
Une cible commune : les militaires
Les jeunes révolutionnaires ont toutefois un objectif commun. Si hier ils réclamaient le départ du président Hosni Moubarak, aujourd’hui ils demandent celui des militaires. Ils réclament « la chute du maréchal Tantaoui », qui est à la tête du Conseil suprême des armées et dirige le pays depuis le retrait du président Moubarak. Il est aussi à la tête de l’ensemble des généraux qui commandent la transition politique.
Ces derniers mois, les dirigeants militaires n’ont pas tenu leur promesse en matière de respect des droits humains. Avec la répression de nombreuses manifestations pacifiques à travers le pays, la comparution de milliers de civils devant des tribunaux militaires et l’emprisonnement de bloggeurs, de militants, de journalistes, le maintien de la législation d’urgence, la confiance est totalement rompue.
L’avertissement des Frères musulmans
Les partis islamistes et salafistes se sont réunis en masse vendredi 18 novembre 2011 sur la place Tahrir pour des revendications similaires. Ce qui inquiète les Frères musulmans mais aussi les autres formations politiques de tendance libérale ou laïque est le fait que les militaires attendent l’élection d’un nouveau président pour lui remettre le pouvoir mais qu’en même temps ils ne fixent aucune date pour organiser ce scrutin présidentiel.
Autre sujet d’inquiétude: il n’existe pas non plus de garanties de non-ingérence du conseil militaire dans les futurs travaux du Parlement et de l’Assemblée constituante. Mais leur grande manifestation de vendredi était surtout une démonstration de force et un avertissement aux militaires car les Frères musulmans n’ont pas du tout intérêt à créer, pour le moment, le chaos dans le pays, une semaine avant le début du processus électoral.
Le désintérêt des jeunes révolutionnaires pour les élections
Les Frères musulmans, les salafistes, ou les membres du Wadj, qui représentent aujourd’hui la droite libérale ou encore les libéraux réunis au sein du Bloc des Egyptiens libres sont assurés de faire un plutôt bon score aux élections. Mais sortis de ces quatre plus importantes tendances politiques et de quelques candidats indépendants comme Mohamed el-Baradeï, l’ancien directeur général de l’AIEA, qui ont eu la maturité et les moyens financiers de se structurer et de mener une campagne électorale, les autres n’ont pas réussi à se constituer en tant que force politique. Après la chute du président Moubarak, les jeunes révolutionnaires se sont dispersés dans une centaine de collectifs désorganisés. Ils n’ont pas réussi à se regrouper et à présenter des candidats sous une seule et même bannière.
Les élections ne changeront donc rien pour eux. Ils ne seront pas davantage représentés demain qu’ils ne le sont aujourd’hui. Contrairement aux autres formations politiques, les jeunes révolutionnaires, eux, n’ont rien à perdre à poursuivre leurs affrontements place Tahrir, si ce n’est leurs idéaux qui les avaient déjà conduits à faire la révolution une première fois.
Des élections très incertaines
Dans ces circonstances, la plus grande incertitude pèse sur les élections qui doivent commencer ce lundi 28 novembre. Le scrutin pourra t-il être maintenu ? Cela dépendra de la capacité du Conseil suprême de l’armée à trouver un compromis avec les jeunes révolutionnaires pour ramener le calme dans les rues du Caire.
Mais, il y a également eu des heurts très violents dans les villes de Suez, d’Alexandrie, en Haute et Moyenne-Egypte. Les manifestants ont attaqué des postes de police, s’en sont aussi pris aux militaires. La situation est très instable dans l’ensemble du pays, qui fonctionne au ralenti depuis neuf mois. Les routes sont bloquées et l’activité économique est paralysée par des grèves et des manifestations qui se multiplient.
Autre facteur d’incertitude : si les militaires sont actuellement aux commandes de l’Egypte, paradoxalement, la police, les forces de l’ordre, ont rarement été aussi impuissantes sur le terrain. Le niveau général d’insécurité a fortement augmenté à travers le pays. Ce qui n’est jamais de très bon augure quand il s’agit d’organiser des élections.