Le mouvement Tamarrod (rébellion en arabe) a lancé un ultimatum au président égyptien M. Morsi à l’issue de la journée de mobilisation à laquelle il avait appelé à l’occasion du premier anniversaire de sa prise de fonctions.
«Nous donnons à Mohamed Morsi jusqu’à mardi 2 juillet à 17H00 (15H00 GMT) (demain) pour quitter le pouvoir et permettre aux institutions étatiques de préparer une élection présidentielle anticipée», affirme un communiqué de Tamarrod publié sur son site internet. En cas de refus, «mardi 17H00 sera le début d’une campagne de désobéissance civile totale». Avec le soutien de nombreuses personnalités et de mouvements de l’opposition laïque, libérale ou de gauche, l’appel de Tamarrod a fait déferler une véritable marée humaine. Le mouvement appelle désormais l’armée, la police et l’appareil judiciaire à «se positionner clairement du côté de la volonté populaire représentée par (ces) foules». Des centaines d’Egyptiens étaient toujours sur l’emblématique place Tahrir ce matin au Caire où la veille la foule conspuait le chef d’Etat aux cris de «Le peuple veut la chute du régime», reprenant ainsi le slogan déjà scandé en janvier 2011 par les protestataires à l’adresse du pouvoir autoritaire de Hosni Moubarak. Ces cortèges -d’une ampleur sans précédent- ont lancé «La révolution du 30 juin», affirmait ce matin le quotidien indépendant Al-Masry al-Youm, tandis qu’al-Tahrir titrait: «Vive le peuple.»
Tôt ce matin des manifestants occupaient et pillaient le siège des Frères musulmans, attaqué dans la nuit après des heurts meurtriers. Le bâtiment, dans le quartier du Moqattam situé dans l’est du Caire, a été envahi et mis à sac par des assaillants après avoir été en partie incendié durant la nuit. Certains jetaient des objets par les fenêtres, tandis que d’autres emportaient des casques, des gilets pare-balles, des postes de télévision, des meubles et des documents. Des témoins ont affirmé qu’aucun membre de la confrérie ne se trouvait à l’intérieur car ils avaient été conduits hors du bâtiment avant l’attaque. Aux abords de l’immeuble, des manifestants scandaient des slogans hostiles au président Morsi et aux Frères musulmans sur fond de musique patriotique.
Dans une Egypte profondément divisée entre ses adversaires qui dénoncent une dérive autoritaire du pouvoir destinée à instaurer un régime idéologiquement et politiquement dominé par les islamistes et ses partisans pour qu’il puise sa légitimité des urnes, M. Morsi a une nouvelle fois appelé dimanche soir au dialogue. Une offre aussitôt rejetée par Tamarrod qui ne voit «pas d’autre alternative que la fin pacifique du pouvoir des Frères musulmans et de leur représentant, Mohamed Morsi».
R. I. / Agences
Dernier bilan : six personnes tuées
Six personnes ont été tuées hier dimanche dans les heurts entre partisans et adversaires du président islamiste égyptien. Une personne a été tuée à Beni Suef et quatre autres dans la province d’Assiout, au sud du Caire, au cours d’affrontements qui ont aussi fait des dizaines de blessés aux abords de locaux des Frères musulmans, selon les services de sécurité. Des manifestants ont attaqué dans la soirée le siège cairote du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), vitrine politique des Frères musulmans. Des images diffusées par la télévision ont montré l’immeuble en feu attaqué par des dizaines de personnes qui lançaient des pierres et des cocktails molotov. Des partisans de la puissante confrérie ont répliqué par des tirs de chevrotine, a constaté un journaliste de l’AFP. Un homme de 26 ans a été tué d’un tir dans la tête, et plusieurs dizaines d’autres personnes blessées, selon une source médicale, dans ces heurts très violents qui se sont poursuivis tard dans la nuit. Plus tard dans la nuit, des tirs à l’arme automatique ont été entendus aux abords du bâtiment.
Les médias prennent position
Après un an d’une présidence mouvementée, déjà marquée par plusieurs crises, M. Morsi vit son «Jour du jugement», ont titré ce matin certains journaux. «Vive le peuple», titrait le quotidien indépendant Al-Tahrir, tandis qu’Al-Masry al-Youm évoquait «La révolution du 30 juin».
25 000 islamistes près du palais présidentiel
Non loin du palais présidentiel, des militants islamistes campent depuis vendredi dans le quartier de Nasr City pour défendre la «légitimité» du premier chef de l’Etat égyptien librement élu. Ils étaient 25 000 hier soir, selon l’armée.
«La plus grande manifestation de l’histoire de l’Egypte»
L’armée estime à «plusieurs millions» le nombre de manifestants anti-Morsi descendus dans la rue, a déclaré une source militaire. Il s’agit «de la plus grande manifestation de l’histoire de l’Egypte», a ajouté cette source sous couvert de l’anonymat. Les cortèges, d’une ampleur sans précédent depuis la révolte qui fit chuter Hosni Moubarak début 2011, ont défilé en scandant «dégage» et «le peuple veut la chute du régime». Sur la place Tahrir, site emblématique de la révolte contre Hosni Moubarak, la foule a afflué en brandissant des cartons rouges à l’adresse du président. «Je suis ici parce que Morsi, pour qui j’ai voté, m’a trahi et n’a pas tenu ses promesses. L’Egypte va être libérée une nouvelle fois à partir de Tahrir», affirmait Mohammed Samir, venu de Mansourah, dans le delta du Nil, pour manifester dans la capitale. Des manifestations anti-Morsi ont aussi eu lieu à Alexandrie (nord), deuxième ville du pays, à Menouf et Mahallah, dans le delta du Nil, ainsi qu’à Port-Saïd et Suez, sur le canal du même nom, ou encore dans la ville natale de M. Morsi, Zagazig, au nord-est du Caire.
Et l’armée ?
Un des principaux dirigeants de l’opposition égyptienne a appelé l’armée à intervenir si le président Mohamed Morsi refuse de partir comme le demandent les manifestants. «Les forces armées doivent agir, car elles ont toujours été aux côtés du peuple», qui «a exprimé sa volonté», hier, de voir partir le président islamiste, a déclaré Hamdeen Sabbahi, candidat de la gauche nationaliste à la présidentielle de 2012, à laquelle il était arrivé en troisième position. «Les Egyptiens font confiance aux forces armées», et leur chef, le général Abdel Fattah al-Sissi, a lui même déclaré récemment «qu’il respectait la volonté du peuple», a-t-il ajouté. «Le peuple se demande où sont les forces armées, et attend du général Sissi qu’il tienne ce qu’il a dit», a poursuivi M. Sabbahi. Le responsable de l’opposition a estimé que la meilleure issue à la crise serait que M. Morsi parte de lui même, sinon «il faudra qu’il soit obligé de se plier à la volonté populaire», a-t-il dit. Le général Sissi, ministre de la Défense, avait averti il y a une semaine que l’armée pourrait intervenir en cas de troubles graves menaçant la stabilité du pays. «Les forces armées ont le devoir d’intervenir pour empêcher l’Egypte de plonger dans un tunnel sombre de conflit et de troubles», avait-il déclaré, sans toutefois dire s’il visait le pouvoir ou ses opposants. Il avait ajouté qu’il était «du devoir national et moral de l’armée d’intervenir (…) pour empêcher les violences confessionnelles ou l’effondrement des institutions de l’Etat».