L’épreuve de force semble connaître enfin un répit. Dans les rues du Caire, de nouveau embouteillées, le retour à la normale laisse espérer un dénouement heureux d’une crise qui n’a que trop duré.
Fait significatif : l’abandon, « pour raison de sécurité » des manifestations de « la semaine du départ du coup d’état », annoncées en grande pompe par les islamistes qui ont vu leurs capacités de mobilisation diminuer de jour en jour. Lors de l’évacuation de la mosquée El Fatah, quelques groupes seulement ont bravé le couvre-feu pour défiler dans la soirée d’hier.
Décapité et affaibli par la vague d’arrestations qui a touché les principaux dirigeants accusés d’« incitation au meurtre » et qui s’est étendue aux manifestants (1.004 interpellations et 385 arrestations lors de l’évacuation de la mosquée d’El Fatah), le mouvement islamiste a été laminé par la terrible répression déclenchée par le gouvernement intérimaire, décidé d’en finir avec la défiance islamiste. Le Premier ministre, Hazem El-Beblaoui, a même évoqué la dissolution du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), en voie de perdre également sa tribune d’expression privilégiée.
Le ministère des Biens religieux a annoncé que les mosquées ne seraient désormais ouvertes que pour les prières, pour éviter les rassemblements dans ces lieux de culte. L’étau se resserre autour du camp islamiste rêvant il y a peu de la marche du « millionième ». Fini le cauchemar aux conséquences dramatiques : les 691 victimes de la guerre fratricide du « mercredi noir » du démantèlement des deux camps de la désobéissance et du « vendredi de la colère » ? Les deux Egypte qui se font face expriment la longue déchirure induite par des visions antagoniques. Face aux islamistes criant à l’injustice après la destitution de Morsi et revendiquant le retour à la « légalité constitutionnelle », le pouvoir de transition se prévaut de la légitimité populaire pour stopper la dérive dictatoriale du régime de Morsi incapable de tenir les promesses de changement démocratique et socio-économique.
Dans ce contexte, le gouvernement de Beblawi crie à l’envi combattre le « terrorisme ». Bien au-delà de l’alibi des manifestations pacifiques, les nombreuses attaques contre des postes de police et des institutions de l’Etat, la guerre de représailles menée contre les coptes et les églises dans un souci évident d’entraîner une dérive confessionnelle, la multiplication des attentats quasi quotidiennement au Sinaï, les tirs des combattants du minaret d’El- Fatah contre les forces de l’ordre, et les routes de province coupées mettent à mal le statut de victimisation des Frères musulmans honnis par une majorité de la population et par la presse dénonçant unanimement le « complot des Frères ».
La thèse de « l’Egypte en combat contre le terrorisme », accréditée par l’Arabie saoudite, des pays du Golfe, et la passivité bienveillante de l’OCI que l’on ne peut suspecter d’une quelconque adversité contre l’islamisme politique, est ainsi privilégiée pour la remise en ordre du processus politique inscrit dans la feuille de route prônant des élections générales au début de l’année 2014 et la réconciliation avec les islamistes qui « n’ont pas du sang sur les mains ». Le ministre des Affaires étrangères, « déçu » par le traitement européen partiel qui ne prend pas en compte « la violence commise par l’autre côté », a rassuré sur la volonté de l’Egypte de poursuivre « sur la voie de la démocratie » et l’engagement de faire participer les Frères musulmans dans le processus politique « aussitôt le calme et l’ordre restaurés ».
Mais la ligne rouge a été aussitôt tracée par le chef de l’armée égyptienne, le général Abdel Fattah al-Sissi, qui a déclaré, lors d’une réunion avec les principaux chefs militaires et de la police, que « quiconque imagine que la violence fera plier l’Etat et les Egyptiens doit revoir sa position, nous ne resterons jamais silencieux face à la destruction du pays ». Cette position marque indéniablement le refus des « ingérences » exprimées par la communauté internationale dénonçant « l’usage excessif de la violence ».
A la veille de la rencontre des 28 de l’Europe, le « message fort de fermeté » a été ainsi livré par le président français, François Hollande, et le Premier ministre britannique, David Cameron, alors que le même jour (dimanche), la chancelière allemande, Angela Merkel, et François Hollande ont demandé « une concertation urgente au niveau européen » sur la crise égyptienne. Prête à « réexaminer » ses relations avec l’Egypte, l’Union européenne menace le gouvernement des foudres de la guerre. Ses dirigeants, en les personnes d’Herman Van Rompuy et Jose Manuel Barroso, ont tenu, dans un long réquisitoire, les autorités de transition pour responsables de la fin de la violence et édicté les conditions du « rétablissement du dialogue politique et le retour au processus démocratique ». Des conditionnalités dures à accepter.
Larbi Chaabouni