Egypte : la junte militaire dans la ligne de mire des manifestants

Egypte : la junte militaire dans la ligne de mire des manifestants

(Du Caire) Des dizaines de milliers de personnes sont de nouveau rassemblées sur la place Tahrir du Caire. Exaspérés, les déçus de la Révolution demandent aujourd’hui le départ du Conseil supérieur des forces armées assurant la transition démocratique.

Vacillant devant une tente où affluent les blessés, Kamel attend son tour pour se faire soigner. Sur son front perle une goutte de sang. Comme lui, ils sont nombreux sur la place Tahrir à porter des impacts de billes en métal et de balles en caoutchouc tirées par la police. D’autres arrivent, pris de convulsions après avoir été asphyxiés par les gaz lacrymogènes.

Les cris des médecins débordés fusent dans le ballet incessant des ambulances et du chant des milliers de manifestants : « Le Peuple veut la chute du maréchal ».

Un air déjà connu : il y a quelques mois, le même slogan demandait le départ de l’ex-raïs Hosni Moubarak. Aujourd’hui, le maréchal Hussein Tantaoui à la tête du Conseil supérieur des forces armées (CSFA), qui gouverne l’Egypte depuis neuf mois, est directement visé.

Une trentaine de morts

Près d’une trentaine de morts, des milliers de blessés : depuis quatre jours la répression s’intensifie et le mouvement de contestation ne cesse de s’amplifier dans le pays.

Tout est parti de Tahrir samedi dernier lorsqu’un simple sit-in de victimes de la révolte de février a vite été réprimé.

« Marre des belles histoires »

L’étincelle a aussi réveillé des doutes latents chez une frange de la population exaspérée : le Conseil militaire tout-puissant pourrait ne pas transmettre le pouvoir à une autorité civile comme cela avait été annoncé récemment. D’abord indigné, Ibrahim s’est rapidement révolté :

« Je n’ai pas supporté de voir le régime traiter les blessés de la Révolution de cette façon. Tantaoui est l’homme de Moubarak. Je me fous de l’annonce de la démission du gouvernement : on ne bougera pas tant qu’on aura pas obtenu celle du Conseil militaire. »

Son voisin renchérit : « Marre des belles histoires, on veut du concret, on ne veut pas se laisser gouverner comme des pantins pendant les élections et ensuite découvrir que l’armée gardera le contrôle sur tout. »

Les élections législatives censées débuter lundi prochain sont aujourd’hui sérieusement menacées.

« Qui va protéger l’Egypte de l’armée ? »

La foule compacte des manifestants fait face aux brigades de police aux abords de la place. A quelques encablures du ministère de l’Intérieur, les rues se sont transformées en champ de bataille. Casque de chantier sur la tête, lunettes de plongée et masques chirurgicaux solidement accrochés, les insurgés accourent vers le « front ».

« Si je n’y vais pas, qui va protéger l’Egypte de l’armée ? » s’étrangle Hagat, un gringalet d’une vingtaine d’années. L’institution militaire jusqu’ici garante de la stabilité a sérieusement écorné son image jusqu’à devenir un facteur d’instabilité :

« Ce sont des meurtriers, comment peuvent-ils rester au pouvoir ? » n’hésite pas à hurler Muhammad avant de tempérer :

« On adore l’armée égyptienne mais ces derniers temps nous en sommes venus à détester la junte militaire. »

« Je ne viens pas pour ma barbe mais pour l’Egypte »

La violence de la répression et les arrestations récentes de blogueurs critiques à l’égard du régime n’ont fait qu’entretenir un climat de méfiance. Un mythe est tombé : « Ils ont pris trop de pouvoir et on ne peut plus leur faire confiance », confie Wael.

Enchaîné au cordon protégeant les hôpitaux de fortune, le salafiste tient la main à un jeune libéral. Wael est présent sur la place depuis le début de la révolte, bien que les partis islamistes, les Frères musulmans et les salafistes, donnés grands vainqueurs du prochain scrutin, aient annoncé officiellement qu’ils ne participeraient pas au rassemblement.

« Il n’est pas question de religion aujourd’hui. Je ne viens pas pour la barbe que je porte mais pour l’Egypte. »

« On ne répètera pas la même erreur »

Malgré le flot des blessés et la violence des affrontements, certains arborent un large sourire. « C’est une deuxième révolution qui commence », entend-on de part et d’autre. Une révolution d’indépendants, les principaux partis politiques ayant accepté de négocier ce mardi midi avec l’armée en vue d’un probable gouvernement d’union nationale. « Eux aussi, nous ont laissés tomber », soupire Asmaa. La jeune femme en est convaincue :

« Aujourd’hui, il n’y a plus d’appartenance politique, il n’y a que la volonté de faire front contre la junte. »

Depuis ce mardi matin, l’appel à une manifestation massive à Tahrir par les mouvements révolutionnaires du 6 avril et de la coalition des jeunes révolutionnaire draine une foule grossissant de minute en minute dans l’attente du discours imminent du maréchal Tantaoui :

« Quoiqu’il arrive, on ne répètera pas la même erreur », affirme Islam, un jeune activiste :

« Cette place, on ne la quittera pas tant que nous ne serons pas assurés d’avoir un gouvernement réellement issu de la Révolution. »

Avec notre partenaire Rue89