L’Egypte était, depuis hier, suspendue à la bataille de Rabaa el Adawiya.
Le gouvernement transitoire, fixant un ultimatum de 48 heures qui a pris fin, hier, pour l’évacuation des campements « très prochainement », réussira-t-il à mettre fin à la contestation islamiste ? Le ministre de l’Intérieur a promis une intervention « dans le cadre de la loi » et « le moins de pertes possible », tout en appelant les protestataires à quitter les lieux d’eux-mêmes « pour éviter que le sang coule ». Une intervention des forces de l’ordre est ainsi envisagée avec toutes les conséquences que la situation précaire et proche du chaos pourrait impliquer.
Assistera-t-on à une escalade à haut risque ? Les tensions restent vives. Au lendemain des violences qui ont fait, tôt le samedi, 72 morts et 400 blessés, les affrontements ont repris de plus belle. A Port Saïd, des batailles rangées ont opposé, hier, les deux camps irréductibles qui comptent dans leurs rangs 15 autres blessés. Au Sinaï, 10 « terroristes » ont été tués et 10 autres ont été capturés en 48 heures par les forces de l’ordre.
Face à la violence endémique (300 morts en un mois), des voix discordantes se font désormais entendre pour dénoncer la dérive sanglante et surtout alerter sur le péril montant de la guerre civile. C’est parmi les alliés des autorités de transition, soutenant alors le renversement de Morsi, que fusent les premières critiques condamnant la mort des manifestants. C’est le cas de cheïkh Ahmed El Tayeb, imam d’El Azhar, réclamant une « enquête d’urgence ».
L’opposant Mohamed Baradeï, appelant à « travailler dur pour la fin de l’impasse de manière pacifique », a déclaré son indignation et dénoncé le « recours excessif à la force ». Il a été suivi par le Front du salut national qui a néanmoins stigmatisé la provocation islamiste. Dans le camp de la seconde révolution » du 30 juin, seul le mouvement Tamaroud est resté fidèle à la démarche des autorités de transition déterminées, quoi qu’il en coûte, de relever le défi islamiste et de remettre sur les rails le processus révolutionnaire confisqué par les Frères musulmans œuvrant sans relâche à une islamisation rampante de l’Etat à travers la mainmise assurée sur les institutions confiées aux mains peu expertes de leurs membres accusés d’incompétence. Ainsi, le feuilleton du ministre du Tourisme, impliqué dans les attentats de Louxor, du système judiciaire et des gouverneurs chassés manu militari par les populations locales.
Le système Morsi a favorisé la polarisation extrême de l’Egypte dressée en camps antagoniques. Il a été victime de la lame de fond qui a disqualifié la gouvernance islamiste de tendance liberticide et dictatoriale qui n’a rien à envier à l’ère dynastique de Moubarak. Moins qu’un « coup d’Etat », elle répond à la demande populaire, initiée par les 22 millions de signataires de la pétition de défiance et matérialisée par 33 millions de manifestants mobilisés pour permettre le retour à une vraie transition démocratique que le pouvoir éphémère de Morsi, plombé par une incapacité chronique de satisfaire aux moindres promesses de changement, n’a pu réaliser. Telle est l’équation égyptienne.
La page Morsi, lâché par Washington, est donc définitivement tournée. Il reste, alors par delà les inquiétudes exprimées par le secrétaire d’Etat John Kerry sur l’« explosion de la violence » et le rappel à l’ordre sur l’« obligation morale et légale de respecter le droit de manifester de manière pacifique », les exigences incontournables de la transition indissociable du retour au dialogue et au respect du pluralisme. « La violence fait reculer le processus de réconciliation et de démocratisation en Egypte, mais a aussi un impact négatif sur la stabilité de la région », a souligné le secrétaire d’Etat américain qui entend encourager le régime intérimaire à favoriser le plus rapidement possible le passage au stade de la construction démocratique. Tout à refaire ? « On vit un processus révolutionnaire qui va prendre au moins une dizaine d’années », prédit Karim Emile Bitar, spécialiste du monde arabe à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
Larbi Chaabouni