ÉGYPTE : Il faut savoir finir une révolution

ÉGYPTE : Il faut savoir finir une révolution

On assiste aujourd’hui en Egypte à une reprise de la révolution de janvier dernier. Cette « révolution inachevée » veut se poursuivre. Le mouvement lancé par les jeunes de la place Tahrir s’apparentait à une remise en cause de ce qui s’est produit en 1952 et qui s’est concrétisé en 1954 quand Mohamed Néguib a été évincé par les militaires, incarné par Nasser. Les partis politiques de l’époque, Frères musulmans ou communistes, étaient proches de Néguib, qui cherchait à leur redonner vie et à renvoyer les militaires dans leurs casernes. Mais le projet nassérien a triomphé, avec notamment pour mot d’ordre : « A bas la liberté ! »

Le caractère antimilitaire de la révolution de janvier a été atténué par le fait que l’armée n’a pas réprimé les révolutionnaires mais a répondu, malgré le retard et la réticence, à leurs revendications. Cette attitude aurait pu servir de base à une formule de cohabitation à la turque prenant en compte les demandes et les intérêts de l’institution militaire. Mais l’armée a clairement sous-estimé la volonté des révolutionnaires et s’est montrée d’une ambition difficile à accepter.

Les militaires ont cru que les revendications visaient Hosni Moubarak, sa famille et les principaux symboles de la corruption mais que le régime pouvait rester en place, sans être fondamentalement remis en cause, même par les élections prévues dans quelques jours. Comme le montre l’exemple de l’Iran, l’un des pays qui organise le plus d’élections, celles-ci n’ont jamais ébranlé les fondements de la République islamique établie par l’ayatollah Khomeyni.

A la veille du scrutin, tous les indicateurs confirment une telle volonté : le peu d’empressement à juger l’ancien régime et à amorcer la transition en général, les procès militaires arbitraires contre des militants ou des blogueurs, un gouvernement civil ne pouvant exercer ses prérogatives et l’idée que le salut ne peut venir que des militaires. Ce « remède » ancien et bien connu prôné par la tyrannie vise à désespérer les gens face aux difficultés d’une transition afin de susciter l’attente populaire d’un sauveur assurant la sécurité et l’emploi.

L’une de ces difficultés concerne la relation entre musulmans et coptes et touche donc le tissu national égyptien. Pour couronner ces efforts, on a sorti le « document Selmi » [proposé par le vice-Premier ministre aux partis politiques à la veille des élections], imposant la primauté de la décision des militaires sur le pouvoir du futur Parlement – autrement dit sur la volonté du peuple – et la prépondérance des intérêts de l’armée sur les libertés publiques.

Ce qui se déroule aujourd’hui en Egypte est donc bien une confrontation entre une dynamique puissante lancée en janvier et qu’il est sans doute impossible de freiner et une tradition tyrannique, appuyée par des intérêts sectoriels, qui veut se perpétuer. Ce conflit montre bien et montrera encore que quelques jours ne suffisent pas pour mettre un terme à un héritage de plus de soixante ans.

Combien de jours et combien d’efforts faudra-t-il à l’Egypte pour accomplir sa révolution et opérer la rupture avec son passé ? Et combien de surprises l’attendent sur ce long chemin ?