La police, secouée par un mouvement sans précédent, a décidé de ne plus obéir aux ordres, ayant le sentiment d’être instrumentalisée par le pouvoir.
«Nous suspendons notre travail sine die car nous refusons d’assumer la responsabilité des erreurs du gouvernement qui veut nous impliquer dans le conflit politique», affirme, Hassan Mostafa, un colonel de police à Port-Saïd. «Toute la société est contre nous, elle considère les manifestants (tués dans les heurts) comme des martyrs, alors que nous n’avons même pas le droit de nous défendre», ajoute-t-il.
Accusés d’usage excessif de la force par l’opposition et les jeunes manifestants hostiles au président islamiste Mohamed Morsi et aux Frères musulmans, les policiers se sentent détestés par leurs concitoyens alors qu’ils assurent respecter simplement les consignes. Dans le journal Al-Chorouk, le général Hefni Abdel Tawab, du QG de la police à Alexandrie, explique que les policiers «font les frais de conflits politiques, alors qu’ils risquent des poursuites judiciaires (si des manifestants meurent) ou d’être tués» dans les heurts. Les policiers veulent une loi établissant clairement leurs pouvoirs et leurs devoirs, et réclament des armes pour faire face aux manifestations violentes qui se multiplient depuis novembre. «Nous poursuivrons notre grève jusqu’à ce que le gouvernement accepte nos revendications, à savoir éloigner la police de la politique (…) et limoger le ministre de l’Intérieur», a répliqué pour sa part le colonel Mohamed Fawzi, du QG de la police au Caire, dans le journal Al-Chorouk. Le mouvement a débuté il y a plusieurs semaines par des manifestations isolées, mais depuis jeudi, des milliers de policiers se sont mis en grève à travers le pays. Ces derniers jours, la contestation s’est étendue aux Forces de la sécurité centrale (FSC, forces anti-émeutes). A Ismaïliya, sur le canal de Suez, ces derniers ont refusé de se rendre dans la ville voisine de Port-Saïd, où les heurts entre policiers et manifestants ont fait une cinquantaine de morts, dont trois policiers, depuis fin janvier. M. Morsi a dû faire appel à l’armée pour assurer la sécurité à Port-Saïd. Il s’agit du premier mouvement de contestation de cette ampleur au sein des FSC depuis 1986. Depuis des décennies déjà, la police est mal vue par une bonne partie de la population. Et malgré la chute de Hosni Moubarak, qui s’appuyait sur un appareil policier brutal et tentaculaire, elle est toujours considérée comme un instrument de répression. Selon les organisations locales de défense des droits de l’Homme, plus de 70 manifestants ont été tués depuis novembre 2012.
R. I. / Agences
Le ministère de l’Intérieur dans la tourmente
Hier, le ministre de l’Intérieur a estimé que les grévistes étaient une minorité au sein de la police. «Ce sont nous qui sommes visés par des jets de pierres, par des balles réelles (…) cela met trop de pression sur les officiers», a-t-il souligné. «La police est attaquée toute la journée dans les médias. Pourquoi ces rumeurs ? Pourquoi les attaques ?», a-t-il poursuivi, dénonçant des informations faisant état de tortures sur les détenus et accusant la police d’ouvrir le feu sur les manifestants. «Cela est faux». Il a aussi défendu les policiers, affirmant que ces derniers n’avaient pas «effectué un seul tir» sur des manifestants depuis le début du soulèvement populaire de 2011. Pour certains commentateurs, cette grève est une réelle menace. «Le ministère de l’Intérieur est sur le point de s’effondrer (..) et je ne vois d’autre solution qu’une élection présidentielle anticipée», a affirmé Abdel Rahmane Youssef, un éditorialiste islamiste modéré, dans Al-Chorouq.