Pour la première fois dans l’histoire tendue qui prévaut depuis longtemps entre les Etats-Unis et les tenants arabes de ce qu’il est convenu d’appeler « l’islam politique », treize Frères musulmans ont été spécialement invités, le 4 juin, pour assister, à l’université du Caire, à l’allocution de Barack Obama.
Dans la capitale égyptienne, où les médias gouvernementaux ont pratiquement passé l’information sous silence, de mauvais esprits prétendent que cette invitation américaine est la raison pour laquelle Hosni Moubarak, mécontent, n’était présent ni à l’aéroport pour recevoir son hôte américain ni dans la salle où le discours fut prononcé. D’autres avancent l’état de santé du raïs octogénaire.
Depuis vingt-huit ans qu’il est au pouvoir, le président égyptien n’a jamais cessé de réprimer la confrérie – légale dans la plupart des pays arabes où elle a essaimé – mais à qui, en Egypte, il est interdit, comme à tant d’autres, de constituer un parti politique.
Les Frères musulmans représentent, il est vrai, la seule force véritablement organisée et populaire d’opposition à la « dictature molle » exercée par le régime sur ses 80 millions de citoyens.
Suite aux fortes pressions faites – brièvement – par l’administration Bush en faveur de la démocratisation du régime, les Frères, se présentant comme « candidats indépendants », ont remporté, en 2005, 88 des 444 sièges de l’Assemblée nationale.
Ce sont 12 députés de ce groupe qui ont été invités, le 4 juin, à entendre M. Obama. S’il y avait des élections véritablement libres et honnêtes en Egypte, estiment les meilleurs chercheurs locaux sur le phénomène, la confrérie obtiendrait « entre 30 % et 40% des voix ».
Auteur d’une somme publiée cette année en français sur le sujet (Les Frères musulmans, des origines à nos jours, aux éditions Karthala), Amr Elshobaki estime cependant que l’esquisse de dialogue qui se dessine entre la confrérie et la nouvelle administration américaine « ne peut être qu’informelle ».
Selon cet expert, qui dirige le département des études arabo-européennes du centre de recherches politiques et stratégiques al-Ahram, « le mouvement ne prendra pas le risque de mécontenter le pouvoir en franchissant cette ligne rouge ».
« Ses dirigeants savent bien que la gestion de la relation égypto-américaine est réservée au raïs et à son entourage », ajoute-t-il.
Dans son discret bureau d’un immeuble du centre-ville, Mohammed Assayed Ahmad Habib, professeur de géologie et numéro deux d’un mouvement qui compte au moins 100 000 adhérents payants, ne nous dit pas autre chose.
Il « dément avec force » l’information parue récemment dans un journal cairote selon laquelle « l’administration Obama a rencontré, il y a quelques mois à Washington, des représentants égyptiens de la confrérie ».
Agé de 67 ans et plusieurs fois emprisonné pour ses idées dans des procès à huis clos organisés par des tribunaux militaires (5 ans en 1995, 15 mois supplémentaires dès mai 2001), le distingué professeur, lunettes cerclées et costume-cravate, insiste : « Une rencontre avec les Américains n’est pas taboue, mais elle devrait être publique et agréée par le ministère égyptien des affaires étrangères. »
Le premier « vice-guide » des Frères musulmans rappelle que « 121 Frères, dont 13 ont été arrêtés trois semaines avant l’arrivée d’Obama », sont actuellement emprisonnés. Après les élections de 2005, plus de 3 000 l’avaient été pour des périodes diverses.
Quarante-huit heures après le discours de M. Obama, la confrérie a publié un communiqué type langue de bois, signé de son guide officiel – le docteur Mohamed Mahdy Akhef, âgé de 81 ans -, dans lequel elle affirme n’avoir « rien détecté de nouveau » dans l’allocution présidentielle.
Le discours, est-il précisé, visait « à améliorer l’image des Etats-Unis » dans le monde musulman. M. Obama « continue, comme ses prédécesseurs, de soutenir Israël (…).
Il ne soutient pas les groupes palestiniens de résistance dans leur juste et légitime combat contre l’occupation ». Notamment le Hamas, qui est en quelque sorte la filiale palestinienne de la confrérie.
« Ou ils n’ont rien compris, dit un chercheur, ou ils se sont prudemment abstenus de relever les ouvertures patentes du président américain pour ne pas inquiéter le régime et attirer ses foudres… »
En privé, de fait, le numéro deux du mouvement se montre plus ouvert. « Bien sûr qu’il y a des éléments positifs dans ce discours, déclare-t-il au Monde.
L’offre appuyée de réconciliation avec le monde islamique, l’absence d’arrogance, l’usage d’un ton chaleureux à l’endroit des musulmans, la fin annoncée du pseudo « clash des civilisations », la promesse de ne pas intervenir dans les affaires intérieures d’autres pays.
Impossible de s’opposer à tout cela. » Pour le reste, il faut voir. « Barack Hussein Obama n’est qu’un individu dans un système qui comprend des structures et des lobbies, celui des marchands d’armes, celui du sionisme. La politique n’est pas déterminée par des discours mais par des actes. Nous les attendons. »