Egypte, Contestation,Le risque de l’essoufflement

Egypte, Contestation,Le risque de l’essoufflement

La place Ettahrir ne désemplit pas. Les milliers de manifestants continuent d’y passer leurs journées et leurs nuits, décidés à aller jusqu’au bout de leurs revendications. Mais jusqu’où iront-ils, sachant que non loin de là, leurs compatriotes reprennent leurs occupations quotidiennes et qu’au sommet de l’Etat, un dialogue politique est entamé avec le régime, celui-là même dont ils réclament le départ immédiat ?

La place Tahrir, énorme rond-point du centre du Caire, est aujourd’hui occupée en permanence par des milliers de manifestants dans une ambiance de kermesse. Mais l’euphorie du début a vite cédé le pas à la panique après des heurts, des évasions massives de prison, des pillages puis des confrontations meurtrières entre pro et anti-Moubarak.

Au moins 300 personnes ont été tuées depuis le début de la contestation selon un bilan non confirmé de l’ONU.

Beaucoup d’Egyptiens ont alors commencé à se demander s’il n’était pas temps de mettre un terme aux manifestations. «Sur le plan émotionnel, ce sont les montagnes russes.

Un jour nous sommes euphoriques, le suivant déprimés», explique Chérif Saleh, 42 ans, qui comme la majorité des hommes a dû rejoindre le comité populaire d’autodéfense de son quartier pour protéger sa maison des rôdeurs, après la disparition de la police des rues du pays. «Au début, j’étais prêt à accepter un compromis, mais je me suis ensuite rendu compte que c’était la fatigue qui parlait», confie-t-il à l’AFP. Les manifestations du 25 janvier ont rassemblé des activistes politiques mais aussi des citoyens ordinaires qui ont mis fin à leur mutisme pour exprimer publiquement leur ras-le-bol du régime du président Moubarak.

Mais au troisième jour de la contestation, la police s’est soudain évaporée après des affrontements meurtriers entre opposants et forces de l’ordre, laissant les habitants livrés à eux-mêmes. Des coups de feu ponctuaient les nuits et un couvre-feu a été imposé, tandis que l’armée a été sollicitée pour maintenir l’ordre. «Après toutes les violences, nous voulions seulement que les choses reviennent à la normale», explique Chériha Taher, une mère de deux enfants qui a fait le plein de nourriture dès les premiers jours de la crise et a peur de quitter son domicile.

«Nous étions préoccupés pour nos familles, le vandalisme était terrifiant. Un temps, des personnes ont pensé qu’il fallait que tout cela cesse, qu’il fallait accepter les concessions (du pouvoir) et revenir à une vie normale», ajoute M. Saleh. Le niveau d’anxiété est monté d’un cran vendredi à l’occasion de ce qui a été baptisé le «jour du départ»: un appel à des manifestations monstres au Caire et à Alexandrie, deuxième ville du pays, ce qui a fait craindre de nouveaux affrontements sanglants entre pro et anti Moubarak. «Mais lorsqu’au fur et à mesure de la journée nous avons constaté qu’il n’y avait que des incidents mineurs, il y a eu un sentiment de soulagement.

Plusieurs d’entre nous se sont dit que nous étions allés trop loin pour reculer», relate Ibrahim Chawki, 37 ans, un cadre dans une société de télécoms. «Le mur de la peur a été brisé. Il n’est plus possible de revenir en arrière», assure Zeinab Moubarak, une productrice de télévision habitant au Caire.

14e jour de mobilisation

Des milliers d’Egyptiens ont passé la nuit d’hier (dimanche à lundi) sur la place Tahrir au Caire, au 14e jour de la contestation anti-Moubarak et au lendemain d’une amorce de dialogue inédit entre les Frères musulmans et le pouvoir, aux résultats jugés insuffisants par la confrérie.

Des hommes inconnus ont par ailleurs tiré ce lundi matin quatre roquettes sur une caserne de police dans la ville égyptienne de Rafah, située à la frontière de Gaza, faisant un blessé, a indiqué une source sécuritaire. Il n’était pas possible de savoir dans l’immédiat qui avait commis cette attaque ou si elle était liée au mouvement de contestation sans précédent contre le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis près de 30 ans. Hier, les groupes de jeunes à l’origine de la contestation ont annoncé la formation d’une coalition et assuré qu’ils ne quitteraient pas la place Tahrir, symbole de la révolte au Caire, tant que le président n’aurait pas démissionné.

La vie reprend son cours

Au Caire, la mégalopole de 20 millions d’habitants, la vie reprenait doucement son cours, de nombreux commerces et banques ouvrant à nouveau leurs portes, et la circulation sur les routes et ponts étant rétablie.

Ceci alors que les Frères musulmans, première force d’opposition mais bête noire du régime, se sont joints hier à un dialogue politique national, avec d’autres groupes d’opposition, pour chercher une issue à la crise provoquée par les manifestations incessantes depuis le 25 janvier. C’était la première fois en un demi-siècle que le pouvoir et les Frères musulmans discutaient publiquement.

Les participants à ce «dialogue national» se sont mis d’accord sur «une transition pacifique du pouvoir basée sur la Constitution», a annoncé le porte-parole du gouvernement, Magdi Radi. Mais les Frères musulmans ont aussitôt dénoncé l’insuffisance des réformes proposées. «Ce communiqué est insuffisant», a déclaré Mohamed Mursi, haut responsable des Frères musulmans.