Au début de la révolution qui fit chuter Moubarak, les Frères musulmans ne savaient pas encore quelle position prendre de peur d’être encore victimes de tout retournement de situation.
Tantôt toléré, tantôt interdit, le mouvement des Frères musulmans, fondé en 1928 par Hassan El Banna en Egypte, a connu de toutes les situations, mais si l’on observe son histoire, on remarque que finalement cette organisation n’a été tolérée à chaque fois que pour des besoins spécifiques avant d’être rejetée. Son histoire est souvent marquée au feu et au sang, toujours trempée dans la violence.
C’est ainsi que juste après la participation des Frères musulmans à la guerre de 1948 en Palestine occupée, leur chef fondateur Hassan El Banna est assassiné par les services égyptiens un certain décembre 1949.
Nasser s’y est pris par deux fois d’ailleurs pour dissoudre l’organisation (1954) et l’interdire (1957) en jetant un grand nombre de ses militants dans les geôles égyptiennes.
Entre légalité et clandestinité…
Dans les années 1970, Sadate leur fit appel pour contrecarrer la montée et la menace des communistes. Il leur fit croire qu’il allait introduire la chariaâ dans la législation égyptienne avant de s’en séparer. Dans les années 1980, Hosni Moubarak lâcha du lest en reconnaissant le mouvement des Frères musulmans en tant qu’organisation religieuse, mais en prenant soin de bien lui interdire toute activité politique.
Néanmoins, ils arrivèrent à militer en tant que parti et, en 2005, à faire élire 88 députés sur un ensemble de 454 au Parlement égyptien, ce qui leur donnait la majorité relative dans cette institution, chose qui fit trembler Moubarak à plusieurs reprises et qui le poussa à manoeuvrer pour les éjecter, tout simplement, lors des élections de 2011.
Au début de la révolution qui fit chuter Moubarak, les Frères musulmans ne savaient pas encore quelle position prendre de peur d’être encore victimes de tout retournement de situation. C’est ainsi qu’ils annoncèrent qu’ils ne se présenteraient pas pour la présidence de la République. Promesse vite oubliée car dès que l’on se mettait à parler de la succession de Moubarak, ils avaient déjà leur candidat avant d’opter pour Morsi qui fut le premier président démocratiquement élu et qui fut aussi le premier à être renversé par les militaires depuis la prise du pouvoir par le mouvement des officiers libres de Nasser en 1952. Il est permis ici de penser que c’est après accord des Etats-Unis que les Frères musulmans ont présenté leur candidat sinon comment expliquer ce revirement à 360°?
De toute évidence, l’histoire du flirt entre les Frères musulmans et les Américains ne date pas d’hier. Certaines sources rapportent qu’«en 1953, Eisenhower reçut dans le bureau ovale une délégation incluant Saïd Ramadan des Frères musulmans, qui était le chef coordinateur d’organisations associées au Pakistan agissant pour la Ligue islamique mondiale»1, que les Américains utilisèrent le mouvement durant les années 1970 contre la montée du communisme et que même lors des dernières années, ils n’étaient pas loin derrière.
La phrase de Sissi «si les Américains veulent réellement que les Frères musulmans quittent la rue, ils le leur diraient» est, à ce sujet, révélatrice à plus d’un titre.
Le mouvement de Hassan El Banna n’a pas, non plus, les mains propres. C’est ainsi qu’on lui reproche, entre autres, l’assassinat en 1948 du Premier ministre égyptien, Mahmud Fahmi Nokrashi 2 et la complicité dans l’assassinat de Sadate par un groupe appartenant à la Gamaâ Islamiya avec laquelle le mouvement des Frères musulmans entretient des contacts.
…Mais plus dans la clandestinité que dans la légalité
Le mouvement des «Ikhwane» (les frères), comme on l’appelle aussi, a ainsi passé plus de temps dans la clandestinité que dans la légalité. Rompu au secret et à la discrétion, ce mouvement a développé un comportement de survie tout au long des années de son interdiction, c’est ce qui pourrait expliquer peut-être son inadaptation à la légalité et sa violence comportementale.
La question qui se pose actuellement est celle du devenir du mouvement de Hassan El Banna. Que vont faire les Frères musulmans après la destitution de Morsi et après l’assaut meurtrier lancé à leur encontre par les forces de l’ordre au Caire? Pour l’instant, comme pris par surprise, le mouvement semble ne pas trop savoir quoi faire. Est-ce dû au fait que bon nombre de ses responsables soient emprisonnés, ce qui laisserait le mouvement sans ordres jusqu’à présent, ou est-ce dû, plutôt, à cette inadaptation à la légalité? Quoi qu’il en soit, il ne fait pas de doute que si le mouvement continue à être acculé comme il l’a été jusqu’à présent par le régime en place, il y a tout lieu de craindre un retour vers la clandestinité que ses membres connaissent si bien et de laquelle ils pourront s’avérer extrêmement dangereux pour la stabilité de l’Egypte et sa sécurité.
De toute façon, vendredi dernier, aussi bien au Caire, que dans beaucoup d’autres villes comme Alexandrie, Suez, Fayoum, Ismaïlia, Hourghada, Damiette, Beni Soueif, etc., des marches ont eu lieu pour manifester contre l’assaut meurtrier et pour demander la libération de Morsi. En Egypte, la rue qui a évincé Moubarak et qui a renversé Morsi semble avoir tous les pouvoirs.
Les Frères musulmans et leurs alliés contre le coup d’Etat sont convaincus qu’en fin de compte, ils finiront par avoir raison de leurs adversaires. De l’autre côté, les militaires semblent déterminés à barrer la route à toutes les revendications visant à remettre en cause leur intervention dans la politique du pays.
Des dépêches signalent des échanges de coups de feu à l’arme automatique, ce qui, déjà, est un très mauvais signe pour les jours à venir. En plus, les télévisions étrangères ont montré, ici et là, des citoyens (dont la fonction n’est pas vérifiée) qui se sont mis de la partie pour empêcher les Frères musulmans de se rassembler, ce qui est encore plus grave car cela laisse craindre une division plus grande encore de la rue égyptienne, ce qui serait indiscutablement propice à un dangereux ticket pour une redoutable guerre civile.
Avant que le pays ne bascule dans le douloureux précipice de la guerre civile, il est impératif que la communauté internationale intervienne pour aider à mettre fin à ce qui se passe.
Les choses allant à une grande vitesse, demain, il sera peut-être trop tard.
Par ailleurs, il y a lieu de s’interroger sur la réaction des organisations politiques et apolitiques qui sont affiliées à ce mouvement, un peu partout dans les pays musulmans. On a vu, lors des derniers événements d’Egypte que de nom- breux partis avaient manifesté dans les pays musulmans leur mécontentement au coup d’Etat et à l’assaut des places Rabiaâ El Adawiya et Nahda. Comment vont réagir ces organisations qui n’ont jamais caché leur affiliation au mouvement égyptien? Réfléchiront-elles, en Algérie par exemple, à plusieurs fois avant de proposer des candidats pour la présidentielle de 2014, notamment le parti de Mokri? Ou bien chercheront-elles à mieux occuper le terrain que l’organisation mère du Caire?
Par ailleurs, et dans une période aussi cruciale que celle que traverse la Tunisie, on est en droit aussi de se demander quelle va être la réaction d’Ennahda et de Ghannouchi? Et quelle va être celle de leurs adversaires au vu de ce qui se passe en Egypte?