La jeunesse égyptienne défie le pouvoir militaire et exige un gouvernement civil
A la veille des premières législatives depuis le départ de Hosni Moubarak, aucune issue n’était en vue pour sortir de l’impasse politique actuelle qui s’est exacerbée avec la nomination de Kamal el Ganzouri pour diriger le gouvernement
Le pouvoir militaire contesté en Egypte a averti hier qu’il ne tolérerait aucune pression avant de nouvelles manifestations prévues sur l’emblématique place Tahrir au Caire pour le pousser à hâter la transition vers une autorité civile. A la veille des premières législatives depuis le départ de Hosni Moubarak, considérées comme une étape cruciale dans la transition, aucune issue n’était en vue pour sortir de l’impasse politique actuelle qui s’est exacerbée avec la nomination vendredi de Kamal el Ganzouri pour diriger le gouvernement.
Le chef de l’armée, le maréchal Hussein Tantaoui, a laissé entendre qu’il ne renoncerait pas à M.Ganzouri, un septuagénaire ayant servi sous l’ex-régime, en dépit d’un appel du pied lancé par une figure de l’opposition, Mohamed El Baradei, pour diriger un gouvernement de «salut national». «Nous sommes confrontés à d’énormes défis auxquels nous allons faire face et nous ne permettrons pas à un quelconque individu ou une quelconque partie de faire pression sur les forces armées», a déclaré le maréchal Tantaoui, qui dirige le pays depuis la chute du régime Moubarak en février. Il a en outre affirmé devant les journalistes avoir demandé à MM. El Baradei et Amr Moussa, l’ancien chef de la Ligue arabe, de soutenir M. Ganzouri. Le chef militaire a expliqué avoir reçu à «leur demande» samedi MM. El Baradei et Moussa, dont les noms circulent pour diriger un éventuel gouvernement de «salut national», et leur avoir demandé «de soutenir le gouvernement Ganzouri» qui n’a toujours pas été formé. Le maréchal Tantaoui a rencontré d’autres personnalités politiques mais plusieurs «présidentiables» ont refusé de participer aux tractations, a-t-on appris auprès de leurs services. Mais les Frères musulmans, force politique la mieux organisée du pays, ont clairement fait savoir que ce poste devrait être confié à l’un des leurs s’ils venaient à remporter les législatives qui débutent aujourd’hui.
«Le futur Parlement est supposé représenter le peuple. Le Conseil militaire doit charger le parti qui remporte la majorité des voix de former le gouvernement», a affirmé leur porte-parole, Mahmoud Ghozlane. Sur la place Tahrir, des milliers de personnes ont commencé à se rassembler en fin de matinée d’hier en vue de participer à la manifestation contre le pouvoir militaire, à l’appel de la Coalition de la jeunesse de la révolution. Après la mort d’un manifestant samedi, les heurts ont cessé place Tahrir, épicentre d’affrontements qui ont fait 42 morts en Egypte en une semaine. «J’étais contre Mohamed El Baradei, mais en se disant prêt à renoncer à sa campagne, il a prouvé qu’il n’était pas égoïste. Lui aussi est vieux, mais il a l’esprit jeune, pas comme Ganzouri», dit Sarah Fares, 19 ans, étudiante en droit. «Les Frères musulmans ont un agenda politique, c’est pour ça qu’ils veulent le maintien des élections. Le sang des révolutionnaires n’a pas encore séché à Tahrir et on devrait participer aux élections? Moi, je n’irai pas voter», renchérit Moustapha, un autre manifestant. Depuis vendredi, des contre-manifestations de soutien à l’armée ont parallèlement eu lieu au Caire rassemblant des dizaines de milliers d’Egyptiens. Ces rassemblement rivaux font redouter que le scrutin législatif soit émaillé de violences. «Nous craignons que ces divergences se transforment en divisions et de là en guerre entre des groupes qui étaient il y a quelques mois un seul bloc appelant à la chute du régime», met en garde le quotidien gouvernemental Al-Akhbar. La campagne pour les législatives s’est terminée dans les gouvernorats appelés aux urnes aujourd’hui, notamment Le Caire et Alexandrie. Quelque 40 millions d’électeurs sur 82 millions d’Egyptiens sont appelés à élire 498 membres de l’Assemblée du peuple (chambre des députés) sur plusieurs étapes, jusqu’au 10 janvier. Dix autres seront nommés par le maréchal Tantaoui. L’Egypte est découpée en 27 gouvernorats divisés en trois groupes, qui voteront successivement, sur deux tours. Sur le plan diplomatique, le ministre français de l’Intérieur Claude Guéant a estimé que les autorités égyptiennes devraient faire «autrement l’ordre public et il est temps qu’elles passent le pouvoir aux civils». Washington avait dès vendredi exhorté les autorités égyptiennes à transférer le pouvoir à un gouvernement de civils.