Egypte-Algérie, deux pays qui si détestent cordialement

Egypte-Algérie, deux pays qui si détestent cordialement

L’Algérie et l’Egypte s’affrontaient hier au Caire (2-0 pour l’Egypte) pour une place en Coupe du monde. Au-delà de l’enjeu sportif, la rencontre ravive les plaies d’une unité arabe bien entamée, selon le quotidien Al-Mustaqbal.

Le ministre des Affaires étrangères égyptien, Ahmed Aboul Gheith, a dû se résoudre à parler foot avec son homologue algérien Mourad Medelci. Il est plutôt habitué à aborder les questions économiques ou culturelles quand il est en déplacement à l’étranger, mais ce sujet a été ajouté à la dernière minute sur l’agenda de sa visite à Alger.

C’est une première pour un chef de la diplomatie égyptienne, pour qui le sport n’a jamais été un sujet de prédilection. Ce n’est pas qu’il se soit soudainement découvert une passion ou que son interlocuteur algérien lui ait communiqué un hypothétique intérêt pour la chose. Non, le foot s’est invité tout seul dans les relations entre Le Caire et Alger. Car, le 14 novembre, les équipes nationales s’affronteront dans un match décisif pour leur participation à la Coupe du monde de football, organisée en Afrique du Sud en 2010.

Or l’affaire ne se place pas uniquement sur le terrain sportif, mais s’est transformée en véritable casse-tête pour les relations bilatérales. Et il y a fort à parier qu’elle ne se terminera pas avec le coup de sifflet final. Les jeunes des deux pays se livrent quasiment la guerre par forums Internet interposés, s’abreuvant d’insultes et rivalisant de vers ridiculisant l’ennemi. Ces batailles électroniques sont allées jusqu’à des attaques personnelles.

Des hackers algériens ont infiltré des sites égyptiens pour y introduire des photos des joueurs de l’équipe adverse affublés de visages de chanteuses de variétés cairotes. Si quelqu’un avait imaginé cela il y a dix ans, personne ne l’aurait pris au sérieux. Les deux équipes se sont déjà affrontées des dizaines de fois, chacune ayant remporté des victoires et subi des défaites, généralement dans le respect de l’esprit sportif. Jamais ces rencontres n’avaient eu un tel impact sur la population ou de répercussions sur la politique.

En dix ans, les mentalités se sont-elles crispées au point de tacler des vérités historiques qu’on croyait inébranlables ? Le sentiment de l’unité arabe est-il donc si mal en point ? Ce spectacle navrant va-t-il s’étendre à l’ensemble des pays arabes ? Autant d’interrogations qui agitent aujourd’hui les intellectuels égyptiens. Pourquoi les Egyptiens se montrent-ils si fiévreux à l’approche du match ? Et pourquoi les Algériens font-ils autant preuve d’esprit tribal ? L’explication est simple : les habitants du Caire ont besoin d’une bonne nouvelle, quelque chose qui les fasse danser dans la rue jusqu’au petit matin, comme lors de la qualification de l’Egypte au Mondial en 1990. Ils attendent une vague d’enthousiasme qui balaierait frustrations et problèmes.

Les seuls moments qu’ils apprécient dans la vie de tous les jours sont ceux où ils discutent du ballon rond. Tous leurs espoirs reposent sur les épaules des joueurs. Jamais ils ne se sont autant intéressés aux entraînements, au point que le sélectionneur Hassan Shehata les organise dans la plus grande discrétion à Assouan, la province la plus reculée de l’extrême sud du pays. L’homme agit comme s’il était en train de préparer une bataille de blindés. Même attitude chez les Algériens, dont les entraînements sont entourés du secret le plus opaque.

Là encore, la population aspire à quelque chose de joyeux pour oublier la situation économique désastreuse et le terrorisme qui pointe son nez de temps à autre. Tout cela explique pourquoi les esprits sont surchauffés. Tout le monde semble avoir perdu ses nerfs, et on s’attend à des violences autour du stade.

Un jeu mérite-t-il une telle charge de haine réciproque ? Surtout que, il y a cinquante-trois ans, l’Egypte a aidé la résistance algérienne face au colonisateur français en lui fournissant des armes et en organisant sur son territoire des entraînements aux tactiques de guérilla.

C’est ce soutien inconditionnel du Caire qui avait poussé la France, en 1956, à se joindre aux Britanniques et aux Israéliens pour occuper le canal de Suez nationalisé par Nasser. Quand, six ans plus tard, l’Algérie obtient son indépendance, la première déclaration de son premier président, Ahmed Ben Bella, va à l’Egypte, pour la remercier d’avoir fait plus qu’aucun autre pays pour la libération du pays.

Si aujourd’hui un match de foot ébranle tant le sentiment arabe, cela veut dire qu’il était déjà bien entamé. Les vingt dernières années ont produit un repli sur soi dans toute la région. Les intellectuels égyptiens panarabistes restent bouche bée devant ce phénomène. Il ne leur reste que les yeux pour pleurer la belle idée de l’unité arabe.