Au lendemain de la publication par la Cimade d’une enquête accablante pour l’obtention des visas par les consulats de France, le ministère de l’Immigration a annoncé qu’à partir du 5 mars 2011, tous les refus de délivrer le sésame de voyage court séjour seront obligatoirement motivés. Cela, en vertu de l’application du code communautaire des visas (CCV) adopté le 13 juillet 2009 par l’Union européenne.
«Visa refusé» est le titre d’une intéressante enquête de 117 pages que vient de publier la Cimade, association catholique créée en 1939, dont la principale mission est de s’occuper de l’accueil et de l’accompagnement juridique et social des étrangers en France. Dans une première partie consacrée à «l’analyse des politiques publiques et des pratiques consulaires», la Cimade estime sans détour que «le constat est accablant» et note : «Entre l’impossibilité d’accéder au consulat, le flou complet des documents à produire, dont la liste inexistante ne cesse de changer, selon l’interlocuteur, l’argent qu’il faut verser et qui n’est pas remboursé même si la demande est refusée, le soupçon de corruption, les délais d’instruction extrêmement variables, les refus oraux sans explication ni motivation, les information erronées sur les voies de recours quand le demandeur a la chance d’obtenir une information, on ne sait plus à la fin ce qui apparaît le plus choquant : opacité des procédures et des décisions, coût élevé de la procédure pour tout candidat, recours des consulats à des opérateurs privés qui se substituent à l’administration, passe-droits hissés au rang d’arguments diplomatiques, vérifications répétées et outrancières des éléments fournis.»
Selon la Cimade, les droits fondamentaux sont bafoués par ces traitements et ont des conséquences. «Des dégâts sont faits quant à l’image de la France dans de nombreux pays» et, «quand la voie normale d’accès au territoire français est rendue inaccessible», une forme d’incitation au recours à l’immigration clandestine est engendrée. Dans la deuxième partie de son enquête, la Cimade rend compte des missions effectuées en 2009 dans six pays : Mali, Maroc, Sénégal, Ukraine, Turquie, Algérie.
En ce qui concerne l’Algérie, ce qui frappe en premier lieu, est le taux de visas refusés : «Le taux de refus, rapporte l’association, est extrêmement élevé et très nettement supérieur à la moyenne : environ 35% des visas demandés sont refusés, alors que le taux de refus moyen était de 9,6% en 2008 pour l’ensemble des consulats de France à l’étranger.»
Sa mission d’observation a enquêté entre les 12 et 23 octobre 2009 à Alger et Annaba, mais pas à Oran, indique la
Cimade : «Aujourd’hui, un peu plus de 200 000 demandes de visa sont traitées chaque année par ces trois consulats, soit près de 10% de la demande mondiale de visas pour la France.»
Pourquoi un tel taux de refus de visas aux Algériens ? Selon le consulat et l’ambassade de France à Alger, il s’explique par deux risques : le «risque médical», crainte que des personnes ne «veuillent venir en France uniquement pour se soigner et qu’elles grèvent ainsi le budget de la Sécurité sociale française; le «risque migratoire», c’est-à-dire une forme déguisée d’émigration clandestine. «La non-motivation de ces refus de visas provoque l’incompréhension des intéressés et, par voie de conséquence, du ressentiment envers la France», déduit la Cimade qui rapporte que pour les consulats français «un visa est une faveur, non un droit».
La Cimade relève encore les tracasseries que rencontrent certains commerçants algériens voyageant dans le cadre de leurs activités professionnelles et les problèmes que rencontrent les étudiants, dont certains considèrent les refus de visas par la voie «Campus-France» (qui accorde des visas aux bacheliers ayant au minimum la mention «assez bien») «comme une forme d’escroquerie». La question de recours suite à un visa refusé préoccupe aussi la Cimade : «A aucun moment, le demandeur n’est avisé de la possibilité d’exercer un recours contentieux.» D’autant qu’avec la procédure «Visas France», «le demandeur n’a aucun contact direct avec le consulat» et que «les Algériens, y compris les avocats, maîtrisent peu, voire pas du tout, le système de recours».
«En général, explique la Cimade, ils connaissent la possibilité d’exercer un recours gracieux, mais n’ont pas toujours connaissance de l’existence de la commission des recours à Nantes contre le refus de visa, et encore moins de la possibilité de saisir le Conseil d’Etat. L’information sur les possibilités de recours apparaît sur le site Internet du consulat d’Alger, mais seulement en allant dans la Foire aux questions.»
Après son regard critique, tout en insistant souvent sur les liens historiques entre l’Algérie et la France qui devraient être un facteur favorable à la délivrance de visas, la Cimade revient sur la tentative qui a échoué en 2009 sur la renégociation algéro-française pour un avenant aux accords du 27 décembre 1968.
«Il conviendra donc d’être vigilant sur une éventuelle reprise des négociations car cela pourrait avoir des conséquences sur la politique de délivrance des visas de la France en Algérie», conclut l’association œcuménique.