Economie L’informel, cette sphère qui nous tient !

Economie L’informel, cette sphère qui nous tient !

Écrit par Meriem Kaci

L’Informel ? On en parle encore et encore. Au point que même de grands journaux étrangers, à l’exemple du quotidien parisien du soir, le « Monde », s’est intéressé au sujet dans sa livraison du 25 janvier dernier.

Il est vrai que le thème de «marché noir», autre terme utilisé pour désigner toute cette économie échappant au contrôle de l’Etat et du gouvernement, est très ancien et sature depuis une trentaine d’années au moins les colonnes et les émissions des médias algériens.

Il est vrai qu’il n’a jamais cessé de nourrir les commentaires et les analyses d’experts à l’occasion des nombreux colloques et séminaires organisés régulièrement par les organisations patronales, les acteurs associatifs de défense du consommateur notamment et le ministère du Commerce. Mais c’est le débat sur la lutte contre le « tout import » et le commerce extérieur, lancé à la faveur de la politique du gouvernement de maîtrise des achats à l’étranger, qui l’a, à nouveau et paradoxalement, propulsé sur le devant de l’actualité.

L’annonce, le 19 décembre 2017, par le ministre du Commerce, Mohamed Benmeradi, de l’interdiction d’importer plus de 900 produits finis, a, en effet, davantage accentué les interrogations sur les effets de cette interdiction sur le marché. Deux points de vue se détachent en particulier et s’opposent.

Le premier, généralement défendu par les officiels du gouvernement et des formations politiques de la majorité ou orientés à gauche, est que les restrictions à l’importation ou l’interdiction d’acheter des produits étrangers répond au constat que plusieurs d’entre eux ne sont pas indispensables, voire inutiles, et leur disparition du marché algérien de la consommation peut aider l’économie à retrouver l’équilibre qu’elle a gravement perdu depuis la chute des cours du baril durant l’été 2014.

Le second, exprimé souvent par des économistes aux obédiences différentes pourtant, est que la prohibition soudaine de centaines de produits de large consommation en Algérie n’est pas un «acte économique mais un réflexe de peur», selon l’expression de l’expert Abderrahmane Mebtoul à Reporters, et qu’il n’a de conséquence que de «créer la pénurie » et « relancer l’informel » aux proportions déjà alarmantes. Ferhat Aït Ali, lui, parle d’« informalisation » de filières entières et de « retour au cabas » en ce qui concerne plusieurs produits, comme c’est le cas déjà pour les cosmétiques.

Une étude réalisée récemment sous l’égide du Centre de recherche en étude appliquée pour le développement (Cread) confirme ce que tout le monde sait déjà. La taille de ce secteur est non seulement importante, mais elle a tendance à grossir au fur et à mesure que les pouvoirs publics ne parviennent pas à diversifier l’économie, relancer l’entreprise créatrice d’emploi, et à trouver des mécanismes de lutte qui ne s’attaquent pas uniquement à ce que l’économiste Chaïb Bounoua, directeur du Laboratoire de recherche sur l’économie informelle, les institutions et le développement ( LAREIID), qui collabore avec le Cread, appelle « l’informel de survie » et qui concerne les petits vendeurs à la sauvette qu’on voit partout dans les marchés et les espaces de vente contre lesquels le gouvernement mène, depuis 2010, une « campagne d’éradication » dont on a du mal à évaluer les résultats actuellement, sachant qu’un marché de l’informel «éradiqué », ce sont deux autres qui réapparaissent, selon un observateur.

Le déficit d’informations fiables concerne l’ensemble du dispositif économique dans le pays et il n’est pas rare de se retrouver dans la confusion face à des chiffres, soit trop vieux et dépassés, soit contradictoires d’une source à l’autre.

Des données à actualiser

Pour l’Office national des statistiques, (ONS), organe sérieux et fiable, mais dont les responsables se plaignent eux aussi de la difficulté de la collecte de l’information « à la source», près de 4 millions de personnes (3 921 000) sont présents dans le marché de l’emploi informel. Ces statistiques, les dernières en date probablement, datent de 2012. « En 2018, on n’a pas de données actualisées sur le sujet, mais en raison de la crise financière du pays, il doit être certainement plus important que par le passé », commente le chercheur Chaïb Bounoua dans l’entretien qu’il a accordé à Reporters. Le plus sûr est que la question sera à nouveau posée d’autant que le gouvernement Ouyahia, à la faveur de la loi de finances 2018 notamment, vient d’avancer l’idée que la lutte contre l’informel et l’argent non bancarisé et échappant à tout contrôle passerait par la finance islamique. Une activité dont on s’attend à ce qu’elle se généralise dans notre pays en raison de la présumée méfiance religieuse qu’ont beaucoup d’Algériens des produits bancaires et financiers classiques, synonymes d’illicites, selon eux. Là aussi, les experts divergent même s’ils sont en majorité dubitatifs quant au succès de cette finance « hallal » à débusquer l’argent massif qui se cache dans les matelas et les chaussettes, selon la formule humoristique populaire.

« Ce système attirera sûrement quelque argent caché ici et là, mais la collecte serait marginale par rapport à la masse monétaire globale qui circule en dehors du cadre officiel », affirme encore Chaïb Bounoua.