Le Forum des chefs d’entreprise (FCE) a déclaré le 15 octobre 2012 que le secteur productif en Algérie est sinistré.
C’est la moindre des évidences que de dire que le secteur productif est proche de zéro en Algérie.
Le ministère de la Promotion de l’Investissement prépare une rencontre pour la fin de l’année 2012 les assises nationales sur les PMI-PME en vue selon les organisateurs d’élaborer une stratégie industrielle. Cela n’est pas nouveau puisque différents canevas ont été élaborés entre 2000-2011 sans résultats probants assistant à un dépérissement du tissu industriel qui représente en 2012 moins de 5% du produit intérieur brut.
Des changements perpétuels de cadre juridique, facteurs de méfiance
Depuis l’indépendance politique à nos jours, l’économie algérienne a connu différentes formes d’organisation des entreprises publiques. Avant 1965, la forme d’autogestion était privilégiée. De 1965 à 1980, nous avons de grandes sociétés nationales et de 1980 à 1988, nous assistons à une première restructuration découpant les grandes sociétés nationales. Avec la crise de 1986 qui a vu le cours du pétrole s’effondrer, des réformes timides sont entamées en 1988 : l’Etat crée 8 fonds de participation qui étaient chargés de gérer les portefeuilles de l’Etat. Comme conséquence de la cessation de paiement en 1994 (avec le rééchelonnement), en 1996, l’Etat crée 11 holdings en plus des 5 régionaux avec un Conseil national des privatisations ; en 2000, nous assistons à leur fusion en 5 mega holdings et la suppression du Conseil national des privatisations ; en 2001, nouvelle organisation et l’on crée 28 sociétés de gestion des participations de l’Etat (SGP) Lors de différents Conseils de gouvernements tenus durant toute l’année 2007, une nouvelle organisation est proposée par le ministère de la Promotion de l’Investissement, (les deux grandes sociétés hydrocarbures Sonatrach et Sonelgaz, régies par des lois spécifiques n’étant pas concernées), articulée autour de quatre grands segments : des sociétés de développement économique qui relèvent de la gestion exclusive de l’Etat gestionnaire ; des sociétés de promotion et de développement en favorisant le partenariat avec le secteur privé international et national ; des sociétés de participation de l’Etat appelées à être privatisées à terme ; et enfin, une société chargée de la liquidation des entreprises structurellement déficitaires. Courant février 2008, cette proposition d’organisation, qui n’a pas fait l’unanimité au sein du gouvernement et certainement au niveau de différentes sphères du pouvoir, est abandonnée. Le 27 mars 2010 le ministère de la promotion de l’investissement de l’époque, en reconnaissant l’échec dans l’attrait de l’investissement direct étranger, avait affirmé que le secteur industriel public devrait être réorganisé, les Sociétés de gestion de participation (SGP) devant être progressivement dissoutes et remplacées par des groupes industriels avec des zones intégrées avec des expériences pilotes dans 5 wilayas-pilotes, à savoir Annaba, Bordj Bou-Arréridj, Sétif, Oran et Blida mais ne précisant pas si ces groupes relevaient de son département ministériel ou si l’on revenait à l’ancienne organisation administrative des années 1970 de tutelle de chaque département ministériel. Et en ce mois d’octobre 2012, l’organisation du secteur industriel reste toujours floue. Tout au plus on peut affirmer que le processus de privatisation, en tant que facteur de restructuration de l’économie, n’existant pas d’économie de marché spécifique, comme moyen de croissance est bloqué. Encore que depuis la loi de finances complémentaire 2009, de nouvelles dispositions sont mis en place limitant le privé international qui doit s’associer à un partenaire algérien (49/51%).
Certes, l’Etat algérien est souverain mais doit respecter ses accords internationaux et surtout le droit international s’il veut éviter de s’isoler des nouvelles mutations mondiales et les litiges avec les investisseurs étrangers. Comme il serait souhaitable d’avoir des critères moins idéologiques évitant le juridisme mais économiques, en dehors des secteurs stratégiques, comme une balance technologique, managériale et financière positive au profit de l’Algérie et éviter de diaboliser tant le secteur d’Etat qui s’insère dans le cadre de la compétition que le secteur privé productif en leur permettant des alliances stratégiques avec les groupes étrangers qui apportent uns avoir faire. Car les changements d’organisation périodiques démobilisent les cadres du secteur économique public, les investisseurs locaux et étrangers montrant clairement la dominance de la démarche bureaucratique au détriment de la démarche opérationnelle économique assistant plutôt au souci de dépenses monétaires, aux réalisations physiques sans se préoccuper de la bonne gestion,( coûts/qualité) des impacts économiques et sociaux, donc à un gaspillage des ressources financières et à un renforcement de la dynamique rentière. Cela n’est que le reflet des ambiguïtés dans la gestion des capitaux marchands de l’Etat expliquées par la faiblesse de visibilité et de cohérence de la politique économique et sociale, tout étant tiré par la dépense publique , existant peu d’entreprises tant publiques que privées performantes, dépense permise grâce aux cours élevé des hydrocarbures, instabilité juridique qui décourage tout investisseur sérieux.
Peut-on, en cette ère de re-mondialisation, parler de stratégie industrielle ?
En ce début du XXIème siècle, l’on assiste à l’évolution d’une accumulation passée se fondant sur une vision purement matérielle, caractérisée par des organisations hiérarchiques rigides, à un nouveau mode d’accumulation fondé sur la maîtrise des connaissances et des nouvelles technologiques et des organisations souples en réseaux comme une toile d’araignée à travers le monde avec des chaînes mondiales segmentées de production où l’investissement, en avantages comparatifs, se réalisant au sein de sous-segments de ces chaînes. Or, l’organisation des entreprises algériennes privées (plus de 90% sont de types familiales) et publiques se fondent sur des organisations managériales totalement dépassées. L’Office national des statistiques (ONS) dans son dernier recensement met en relief de l’implantation sur le territoire national de 990.496 entités dont plus de 934. 200 entités économiques. Ils révèlent la «prédominance» du secteur commercial et le caractère « tertiaire de l’économie nationale ». Selon la même source on dénombre 934.250 entités économiques, représentant plus de 94% du total et le reste (56.246), soit 6% sont des entités administratives. Le tissu économique national est fortement dominé par les personnes physiques à 95% (888.794) alors que les personnes morales (entreprises) représentent seulement 5%, soit 45.456 entités, « ce résultat étant révélateur d’une économie basée essentiellement sur des micros entités ». L’assainissement des entreprises publiques a coûté au Trésor public des plus de 50 milliards de dollars entre 1991/2012 alors que dans leur majorité, environ 70%, pour un effectif ne dépassant pas 180.000 pour le secteur à la case de départ, selon les rapports officiels, les banques publiques étant malades de leurs clients, (les entreprises publiques). Ce qui explique également, couplé avec l’inefficacité des dépenses publiques, que ce n’est pas une question de finances mais renvoie à l’urgence d’un réajustement de la politique économique et sociale algérienne.
En cette ère de mondialisation, il me semble erroné de parler de stratégie industrielle, ce qui supposerait une autonomie totale de la décision économique. Il est plus juste d’imaginer des stratégies d’entreprises comme moyen d’adaptation à ce monde en perpétuel changement et turbulent. L’environnement devient de plus en plus incertain d’où l’importance des prévisions et du management stratégique, donc de la maîtrise de l’information qui devient non plus le quatrième pouvoir mais le pouvoir lui-même. On le constate quotidiennement avec cette crise financière et à travers les fluctuations boursières au niveau du marché mondial, l’Algérie, étant une économie totalement extravertie (les réserves de devises étant fonction du cours du Brent et du cours du dollar pour les exportations à plus de 98% et important 70% des besoins des entreprises et des ménages. Par ailleurs, en cette période de crise, avec la diminution de la demande au niveau mondial et fait de l’étroitesse du marché algérien, (d’où l’importance de l’intégration du Maghreb pont entre l’Europe et l’Afrique), il est faux d’affirmer que cela pourrait attirer les investissements étrangers créateurs de valeur ajoutée à moyen terme qui, face à la crise de liquidités bancaires, seront plus attirés par des projets rentables à court terme ou par les exportations en direction de l’Algérie. Et ce, tant qu’existent des réserves de change qui clôtureront à plus de 200 milliards de dollars fin 2012 dont 86% placées à l’étranger inclus le prêt au FMI de 5 milliards de dollars sous forme de DTS. Le prêt des 5 milliards de dollars par l’Algérie, ayant une économie artificielle, provenant d’une ressource éphémère, les hydrocarbures, constitue plus un acte symbolique et de solidarité envers les institutions internationales, ne pouvant en aucune manière influencer les décisions de cette institution contrairement aux pays émergents qui ont une économie productive concurrentielle avec un rendement presque nul, négatif tenant compte de l’inflation mondiale, tant pour le FMI que pour les autres placements puisque au 18 septembre 2012, le taux d’intérêt des DTS était de 0,08 %, et pour les taux de change des banques centrales, le taux d’intérêt de la FED (dollar) varie entre 0-0,25%, l’euro à 0,75%, le yen un taux proche à 0,1% et celui de la livre sterling de 0,5%.
Lever les contraintes d’environnement à l’entreprise
La base de tout acte d’investissement repose sur la confiance, comme le taux d’abstention ou bulletins nuls reflétant le divorce Etat-citoyens, et l’importance de la sphère informelle qui draine plus de 40% de la masse monétaire en circulation, contrôlant 65% des produits de première nécessité, est le produit des dysfonctionnements des appareils de l’Etat et du poids de la bureaucratie, décourageant l’investissement à moyen terme. Les contraintes d’environnement (bureaucratie et corruption posant la problématique de la gouvernance, qui bloque l’investissement créateur à plus de 50%, le système financier sclérosé dont 90% des prêts relèvent des banques publiques, l’absence d’un marché foncier libre, un marché de travail et une main d’œuvre adaptée posant la problématique de la valorisation du savoir) font fuir les investissements porteurs, tant plus facile d’importer que de produire localement. Sans lever ces contraintes que subissent les entrepreneurs locaux, comment attirer tant les investisseurs étrangers que notre diaspora notamment les 300.000 cadres dirigeants et chefs d’entreprises algériens établis à l’étranger, selon l’Association internationale de la diaspora algérienne (AIDA) (environ 80% vivant actuellement en France). Cette situation paradoxale d’un Etat riche mais d’une population qui s ‘appauvrit en majorité, le tampon social éphémère étant les transferts sociaux (14 milliards d’euros en 2012) et la sphère informelle représentant employant 50% de la population active, n’explique t-elle pas que 83% du tissu économique selon la dernière enquête de l’ONS est constituée de petits commerçants et de personnes individuelles activant dans les services à très faible valeur ajoutée ? Les différentes dispositions au niveau de l’ANSEJ, l’ANDI et autres organismes de soutien à l’emploi favorisent telles des entreprise fiables à terme ? Comment mettre en place un nouveau modèle de consommation énergétique face à l’épuisement des ressources en hydrocarbures (pétrole dans 15 ans et gaz conventionnel dans 25 ans) tenant compte des exportations prévues et de la forte consommation intérieure) ? L’Algérie peut-elle s’isoler des nouvelles mutations mondiales ? Quels impacts aura le dégrèvement tarifaire reportée à 2020, c’est à dire demain dans le cadre des accords de libre échange avec l’Europe et quelles incidences l’adhésion future avec l’organisation mondiale du commerce sur la mise en place d’un tissu productif compétitif selon le couple coût-qualité dans le cadre es valeurs internationales ? Autant de questions stratégiques qu’il convient de solutionner selon une démarche cohérente.
En résumé, évitons les réunionites pour les réunionites inutiles sans s‘attaquer à l’essentiel du blocage du processus d’accumulation en Algérie. Force est de reconnaître que l’Algérie souffre non pas de faiblesse de moyens financiers mais de blocage structurel qui implique l’approfondissement de la réforme globale n’étant depuis 1986 ni dans une économie de marché ni dans une économie administrée. Cela explique t les difficultés de la régulation globale du fait de cette interminable transition d’où l’importance également des réformes politiques qui doivent se coupler aux réformes économiques. Cette situation perdurera certainement jusqu’aux élections présidentielles d’avril 2014, les réformes structurelles entrainant d’importantes recompositions au niveau du pouvoir et des ajustements sociaux douloureux nécessaires mais différés.
Docteur Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités expert international