économie florissante et défis sociaux à Annaba, Paroles de futurs harragas

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«Dites-leur que nous n’en pouvons plus, que nous sommes contraints de quitter nos maisons, nos quartiers et nos villes et risquer nos vies sur ces barques pour espérer trouver du travail là-bas, de l’autre côté, et se faire une petite place comme tout le monde», nous confie Hacène, un jeune de 25 ans entouré de 5 de ses copains à Sidi Salem (2 km à la sortie est du chef –lieu de wilaya de Annaba) haut lieu de la Harga qui a vu des centaines d’émigrants clandestins prendre la mer à partir de ses plages.

Ici dans cette petite bourgade de 10 000 habitants, le chômage fait des ravages parmi les jeunes, ils sont des centaines à déambuler dans les rues, à tuer le temps et à attendre qu’on veuille bien s’occuper d’eux. Certains ont versé dans le banditisme, d’autres dans le commerce illicite et bien d’autres préfèrent tenter leur chance de l’autre côté de la Méditerranée qui s’étale sous leurs yeux. Une industrie clandestine de barques de la mort a fait son apparition, des moins jeunes, pêcheurs de leur état et connaissant bien la mer se présentent comme passeurs et en ont fait leur métier. Pour 100 000 DA, on a sa place à bord du bateau et on est supposé être conduit à bon port de l’autre côté de la méditerranée sur l’Ile de la Sardaigne toute proche.

«Dites-leur, poursuit notre interlocuteur, que tous ces jeunes qui bravent le danger de la mer ne sachant pas s’ils peuvent traverser la Méditerranée que nous aimons notre pays que nous le portons dans nos cœurs mais que nous ne pouvons plus supporter de vivre dans ces conditions, tous mes amis que vous voyez ici sont chômeurs, ils n’ont ni connaissances, ni relations et ils n’ont pas pu décrocher un emploi malgré les diplômes et les qualifications qu’ils ont, ils ont traîné pendant des années avant de penser à la “harga”, la seule échappatoire possible, le seul débouché par lequel on s’engouffre. Nous savons tous ici que nous risquons notre vie mais on le fait quand même parce que nous croyons qu’il vaut mieux mourir en tentant d’améliorer son sort que de rester ici se morfondre et se lamenter sur sa situation. Vous savez c’est dur de demander chaque matin à son père ou à sa mère 100 DA pour se déplacer, prendre un café ou acheter des cigarettes, à la longue, on se sent inutile et vivant comme un parasite alors que les parents ont du mal à joindre les 2 bouts. Dites-leur que la jeunesse à Sidi Salem se meurt à petit feu et que cela ne peut plus durer. Un jour, il y aura une explosion, une explosion sociale qu’il sera très difficile de maîtriser parce que plus de 70 % de la population représente des jeunes. Nous ne voulons pas arriver à cela. Tout ce que nous demandons, c’est un emploi et un logement décent.

Dites-leur que nous attendons, que la mer ne nous prendra pas tous, il en restera beaucoup.»Ces propos pleins de désespoir et d’amertume en disent long sur l’état d’esprit d’une jeunesse abandonnée et délaissée, une jeunesse qui pourtant aime ce pays et le chérit jusqu’à le porter dans son cœur. Mais il faut dire aussi que cette jeunesse est blasée et échaudée par toutes les promesses faites par les uns et les autres et qui n’ont pas à ce jour été tenues.

M. R