Dans son rapport sur les perspectives économiques mondiales, publié à l’occasion de la tenue de son assemblée annuelle prévue du 9 au 12 octobre à Tokyo (Japon), le Fonds monétaire international estime que l’Algérie a réalisé un taux de croissance de 2,5% en 2011, réaliserait, pour l’année 2012, « environ 2,6% », un taux révisé à la baisse puisque cette même institution, dans un rapport d’avril dernier, tablait sur une croissance du PIB de 3,1%, ces taux étant largement inférieurs aux données gouvernementales, couvrant à peine le taux de croissance de la population active.
L’institution présidée par Christine Lagarde (ici avec K. Djoudi) a rendu un rapport contradictoire sur l’Algérie.
Quant à l’inflation, le FMI estime qu’elle devrait passer de 8,4% en 2012 à 5% en 2013, contre 4,5% en 2011 et le taux de chômage de 10 % Tout en soulignant que tous els rapports du FMI se fondent sur les donnée officielles des gouvernants, corrigées parfois par des tests de cohérence, je voudrai mettre en relief les limites de ce rapport se rapportant au calcul du taux de croissance, du taux de chômage et du taux d’inflation.
Le taux de chômage réel est-il de 10% ?
Selon les documents officiels, entre 1999/2009 la création d’emplois a été de 3,5 millions d’emplois durant dont 54.8% dans le secteur de l’agriculture, le commerce, les services et le BTPH, le reste dans le secteur de l’administration, de l’industrie de l’artisanat et dans d’autres secteurs. Pour le Ministère du travail, le taux de chômageserait passé de 29% en 2000 à 23,7% en 2003, de 17,7% en 2004, de 15,3% en 2005 à 12% en 2008, 11% moyenne 2009-2010 et à moins de 10 pour cent en 2012, taux repris par le FMI. Qu’en est-il de la réalité. Au 1er janvier 2012 selon l’ONS, la population résidente totale de l’Algérie a franchi les 37 millions d’habitants (37,1).Le bilan démographique de l’année 2011 révèle que le volume de naissances vivantes a dépassé la barre des 900 000, seuil jamais atteint auparavant, et selon le FMI, la population active est passée de 11.203.000 en 2010 contre 10.911.000 en 2009 soit une augmentation annuelle de 292.000. Il faut donc créer environ 300 000 emplois par an, ce chiffre sous estimant d’ailleurs la population active féminine. Il est utile d’analyser le rapport sur le chômage en Algérie mené par Kangni Kpodar, responsable du département Afrique au sein de l’administration du FMI publié fin 2008 toujours d’actualité qui a tenté de diagnostiquer le « cas algérien ». M. Kpodar émet des doutes sur l’efficience des différents mécanismes de création d’emploi (Ansej, contrat pré-emploi, les emplois salariés d’initiative locale…) mis en place par le gouvernement algérien. Selon cet économiste, ces programmes ont créé certes des millions d’emplois mais la majorité était des postes provisoires et souvent non rentables et que l’informel alimente de façon soutenue le marché du travail algérien.
Cette analyse est corroborée par le rapport officiel de l’ONS 2012, pour qui 50% de la population active algérienne active l’informel surtout le petit commerce et les services qui d’ailleurs toujours selon cette enquête représente 83% du tissu économique algérien démontrant la tertiairisation de l’économie alimentée par la rente des hydrocarbures. En plus il faut compter les sureffectifs des administrations et des entreprises publiques et sans cette dépense publique fonction du prix du pétrole, qui demeure le moteur principal de la création d ‘emplois, le taux de chômage serait supérieur à 30% touchant paradoxalement les plus diplômés sachant que dans cinq ans l’université accueillera 2 millions d’étudiants contre 1,3 million d’étudiants aujourd’hui. Donc toute étude sur l’emploi doit élucider des facteurs fondamentaux : est-ce les emplois rentes fictifs, ou est ce qu’ils contribuent à la création de valeur ? Est ce que les emplois précaires dominants (3 à 6 mois pour un jeune parfois universitaire à 6000 dinars par mois) et sont-ils un signe d’amélioration de la situation sociale ? Or, fait contradictoire, le FMI annonce des taux de croissance de 2,5 et 2,6% entre 2011 et 2012 à peine de quoi couvrir la croissance de la population active mais annonce une baisse du taux de chômage. Or, un taux de croissance, tiré par les secteurs productifs, selon l’avis unanime des organismes internationaux, entre 7/8% sur plusieurs années cumulées, est une condition sine qua non pour atténuer à terme les tensions sociales, la pression sur le marché du travail le fait des jeunes qui représentent 50% de la population active. Il existe une loi économique universelle : le taux d’emploi est fonction du taux de croissance et des structures des taux de productivité. Et comment avec un si faible taux de croissance pourra-t-on créer 3 millions d’emplois entre 2010/2014 et améliorer le pouvoir d’achat des Algériens. D’autant plus, que l’on assiste au dépérissement du tissu productif, en raison des contraintes de l’environnement des affaires (bureaucratie et corruption notamment) produit de la logique rentière, l’industrie représente à peine selon l’officiel 5% du produit intérieur brut (PIB).
Pas de corrélation entre la dépense publique et le taux de croissance
Un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente, un taux de croissance élevé à la période T1, en référence à un taux de croissance faible en référence à la période TO donne globalement un taux de croissance faible. Selon les institutions, le rapport du FMI 2011, le produit intérieur brut l’Algérie est de 158,97 milliards en 2010, 183,4 milliards de dollars en 2011 avec une prévision de 188,6 milliards de dollars en 2012. Or, il y a lieu de souligner la faiblesse de la production et de la productivité du fait que 97/98% des exportations sont le résultat des hydrocarbures à l’état brut et semi brut, les 2.3% hors hydrocarbures fluctuant depuis plus de 20 ans pour un montant dérisoire entre 900 millions de dollars et 1,5 milliard de dollars. Ces 2/3% sont constitués en majorité de produits semi finis, issus eux-mêmes des hydrocarbures et déchets ferreux et non ferreux. C’est que plus de 90% du tissu économique sont constitués de PMI/PME organisées sur des structures familiales, ne possédant pas de management stratégique, ne pouvant pas faire face à la concurrence internationale. Les importations couvrent 70/75% des besoins des ménages et des entreprises dont le taux d’intégration ne dépasse pas 10/15%. On peut démontrer facilement que le taux de croissance officiel hors hydrocarbures de 5/6% a été permis pour 80% via la dépense publique et qu’il ne reste pour les entreprises véritablement autonomes créatrices de richesses, pouvant évoluer dans un environnement concurrentiel mondial, moins de 20% du produit intérieur brut. Mais fait important, le PIB peut cacher d’importantes disparités et l’indice du développement humain combinant 1/3 du taux de croissance, 1/3 les systèmes socio-éducatifs et 1/3 le système de santé élaboré par le PNUD est beaucoup plus fiable. Cela explique les erreurs d’appréciation des indicateurs globaux de la Banque mondiale et du FMI vis-à-vis de certains pays arabes qui ont connu les révoltes sociales dites printemps démocratique où ces institutions ont omis d’analyser tant le déséquilibre spatial que la concentration des revenus socio professionnelles au profit d’une minorité ans compter les fuites de capitaux hors des frontières de certains dirigeants.
Le PNUD dans son rapport du 2 novembre 2011 intitulé « Durabilité et équité : un meilleur avenir pour tous », classe l’Algérie à la 96e place sur 187 pays, soit un recul de 12 places par rapport à 2010. C’est que le taux de croissance entre 2011 et 2012 selon le FMI pour l’Algérie est extrêmement faible comparé à la dépense publique. La vraie richesse ne peut apparaitre que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et là est toute la problématique du développement. La dépense publique est passée successivement de 55 milliards de dollars en 2004, à 100 milliards de dollars en 2005 puis à 140 milliards de dollars fin 2006 et qui a été clôturée entre 2004/2009 à 200 milliards de dollars, mais faute de bilan on ne sait pas si l’intégralité de ce montant a été dépensé. Dans un Conseil des ministres le dernier trimestre 2011, le président de la République a affirmé qu’entre 2004/2013 plus de 500 milliards de dollars seront mobilisés. Pour un programme d’investissements publics 2010/2014, le gouvernement a retenu des engagements financiers de l’ordre de 286 milliards de dollars et concerne deux volets, à savoir le parachèvement des grands projets déjà entamés entre 2004/2009, l’équivalent de 130 milliards de dollars (46%) et l’engagement de projets nouveaux pour un montant de près de 156 milliards de dollars. Qu’en sera-t-il des restes à réaliser pour les nouveaux projets inscrits au 31 décembre 2004 à la fois faute de capacités d’absorption et d’une gestion défectueuses aggravant le déficit budgétaire que l’on essaie d réduire par des manipulations du taux de change. Le jeu à la baisse du taux de change du dinar non prise en compte dans le rapport du FMI, voile le déficit budgétaire réel, gonflant artificiellement la fiscalité pétrolière et donc l’inefficience de la dépense publique. Elle gonfle également artificiellement le fonds de régulation des recettes : une dévaluation de 20% donne une valeur de 20% de plus en dinars algériens calculé par le trésor et la Banque d’Algérie dans leurs bilans annuels. Pour plus de transparence, je préconise que les lois de finances se fonde sur le cours réel du marché des hydrocarbures, que toutes les subventions soient budgétarisées par le parlement lors de l’élaboration de la loi des finances quitte à ce que l‘excédent soit versé dans un fonds pour les générations futures.
D’une manière générale selon un rapport pour la région MENA 2010, l’Algérie, en comparaison de pays similaires dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultats, démontrant une mauvaise gestion pour ne pas dire une corruption socialisée. En fait avec une croissance si faible, alors que le taux aurait du être, supérieur à 10% entre 2004-2012, montrant un gaspille important des ressources financières, les entreprises véritablement productives représentant à peine 20% du PIB, avec le taux annoncé par le FMI on peut en déduire que la création d’emplois productifs couvre environ 25% de la croissance de la population active, les autres créations étant des emplois rentes de segments irrigué par la rente des hydrocarbures,reflétant une économie artificielle. Et l’Etat algérien continue de dépenser sans compter en lançant des projets non fiables à terme économiquement souvent pour des raisons de prestige. Tant qu’il y a la rente. Mais l’Algérie peut-elle continuer de vivre de l’illusion de la renter sur la base d’un cours de 70 dollars pour le budget de fonctionnement et 40/50 dollars pour le budget d’équipement si le cours des hydrocarbures baisse au risque d’une hyperinflation ? Peut-elle continuer dans cette voie suicidaire des assainissement répétées des entreprises publiques de plus de 50 milliards de dollars entre 1971 et 2011, avec des recapitalisations répétées des banques publiques contrôlant 90% du crédit global, malades de leurs clients souvent non bancables, dont plus de 70% des entreprises publiques sont revenues à la case de départ. Cette masse monétaire sans contreparties productives alimente le processus inflationniste.
Une lecture biaisée du taux d’inflation
Je doute que le taux d’inflation en 2011 ait été de 4,5% comme l’estime le FMI. Les prix à la consommation ont augmenté de 8,7% au mois de juin 2012 par rapport à la même période de l’année écoulée, situant le rythme d’inflation en glissement annuel en Algérie à 7,3% contre 6,9% en mai dernier selon l’Office national des statistiques (ONS). L’indice des prix à la consommation a enregistré une hausse de 8,67% en juin 2012 par rapport à la même période de l’année dernière. Cette hausse est tirée essentiellement par l’augmentation de 10,76% des produits alimentaires, auquel 70% de la population algérienne consacre ses revenus. Une analyse pertinente de l’inflation doit lier le processus d’accumulation, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales. Certes, le SNMG a plus que doublé en passant de 6.000 à 20.000 dinars, (200 euros au cours officiel, environ 150 euros par mois au cours du marché parallèle) la dernière augmentation ayant lieu en septembre 2011, mais devant déflater par le taux d’inflation réel pour déterminer le véritable pouvoir d’achat. Aussi, une interrogation s’impose : comment est-ce qu’un Algérien, qui vit au SNMG, (200 euros par mois, soit 6,6 euros par jour alors que le kilo de viande est de 10 euros) fait face aux dépenses incontournables : alimentation, transport, santé, éducation. La cellule familiale, paradoxalement, la crise du logement (même marmite, même charges) et les transferts sociaux qui ont atteint plus de 1.200 milliards DA en 2011, plus de 14OO milliards de dinars en 2O12 (14 milliards d’euros) soit 18% du budget général de l’Etat et plus de 10% du PIB jouent temporairement comme tampon social. Cela renvoie à la situation sociale. Une enquête réalisée par l’Office national des statistiques en 2009, précise que 77,1% des sondés ont reconnu qu’ils n’étaient pas couverts par le régime de la sécurité sociale et plus de la moitié de la population en activité était dépourvue de couverture sociale, soit 50,4% de l’ensemble des travailleurs qui n’étaient pas déclarés à la Caisse nationale des assurances sociales (Cnas). Et sur le plan humain, elles font apparaître que près de cinq millions d’Algériens sont en situation de précarité car ne pouvant ni se faire rembourser leurs frais médicaux et encore moins de pouvoir bénéficier d’une retraite décente puisque les entreprises qui les emploient ne s’acquittent pas de leurs frais de cotisations. D’une manière générale, le processus inflationniste que l’on comprime artificiellement par des subventions montre l’absence de régulation ne s’attaquant aux fondamentaux renvoyant au manque de cohérence et de visibilité de la politique socioéconomique pour préparer l’après hydrocarbures, l’épuisement étant dans au maximum dans 16 ans pour le pétrole, dans 25 ans pour le gaz conventionnel, avec une population de 50 millions. Comme les réserves de change estimées à 193 milliards de dollars au 1er septembre 2012, richesse virtuelle provenant des hydrocarbures dont la facilité est de les placer pour 83% à l’étranger, en partie en bons de trésor américains et en obligations européennes, à des rendements presque négatifs pondéré par l’inflation mondiale, alors qu’il s’agit de les transformer en richesse réelle.
Force est de constater que depuis 1986, l’Algérie est dans une interminable transition n’étant ni une économie étatisée, ni une véritable économie de marché concurrentielle, dans le cadre de l’interdépendance mondiale à l’instar des pays émergents, expliquant le peu d’efficacité tant de la régulation politique, sociale et économique. Il y a donc risque de tensions sociales croissantes en cas de chute durable en dessous de 80 dollars à prix constants posant la problématique de l’urgence de la diversification de l’économie algérienne, dans le cadre de l’intégration du Maghreb, pont entre l’Europe et l’Afrique et des nouvelles mutations mondiales. Cela implique de dépasser l’actuel syndrome hollandais d’une économie totalement rentière, importer étant plus facile que de produire localement. Car existent des possibilités pour augmenter le taux de croissance en Algérie qui recèlent d’importantes potentialités, supposant une nouvelle gouvernance stratégique des institutions et des entreprises. Cela suppose une profonde mutation systémique loin des intérêts de la rente.
Abderrahmane Mebtoul, professeur d’universités