Economie algérienne en clair-obscur : Sonatrach entre chiens et loups

Economie algérienne en clair-obscur : Sonatrach entre chiens et loups

Le chien d’une riche rentière peut laper le lait dont un enfant pauvre aurait besoin pour seprémunir contre le rachitisme ». Paul Samuelson

Toutes les institutions de l’Etat, tous les édifices publics en organisations politiques, socio économiques ou cultuelles peuvent-ils se permettre des marges d’erreurs, ici et là, du laisser aller par omission ou mégarde, voire sciemment ou pour d’anodins intérêts de personnes ou de groupes, plus ou moins compréhensifs dans le sens de la faiblesse humaine, mais il y a une seule et unique entité patrimoniale qui ne tolère absolument aucun écart de manœuvre, le plus futile qu’il puisse être, qu’il s’agit d’appeler mieux que par son sigle, son logo, par ce qu’elle représente de fondamentale de l’existence de l’Etat, s’il en est, et de la nation.

Sonatrach, comme dans une hypnose nationale

Sans laquelle, que les lecteurs et les concitoyens, mâles et femelles, m’excusent, nous ne coûtons que ce que valent les poils qui recouvrent notre peau. Il y a quelque chose de paranormale qui se saisit de nombres de personnes lorsqu’il est question de se pencher sur ce patrimoine. Les discours qui tournent autour de lui sont présentés comme décalés de la réalité vécue, à la manière dont des initiés expliquent des aventures oniriques, les bons rêves et les effarants cauchemars. Sonatrach peut créer des jardins d’éden dans le désert mieux que les offices les plus sophistiqués du département de l’Agriculture, loin devant l’Inpv et son jardin d’Essai ou gérer Djezzy aussi up to date que la Nsa mais elle est en mesure aussi de laisser ses hauts responsables se transformer en redoutables maffiosi.

Cela se passe comme dans une espèce de dimension illusoire où les citoyens sont comme inconscients qu’il en retourne du seul moyen de leur existence ; les discours sont tellement forts, avec tellement d’impacts sur l’imaginaires des groupes et des individus que les effets pervers poussent vers le point insensible du cyclone, en son centre. On entend qu’un ancien ministre de l’Energie a été prouvé sur lui une traîtrise à la nation, un ex-P-dg condamné à la prison, un nouveau arrive mais ça fait tout juste hausser le sourcil comme le font les pensionnaires d’asile de vieillesse à qui on raconte des tribulations malsaines hors de leurs murs.

Des paraboles pour maintenir la distanciation

Dans moins d’une semaine l’Algérie fêtera le quarante unième anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures, l’âge où l’on a forcément grisonné, pris foyer et enfanté. Où la population algérienne a doublé et la surface agricole utile sapée de moitié. Où les postes d’emploi et les logements se sollicitent d’urgence par millions. Mais c’est au seul service de Sonatrach dont il est depuis ce jour-là demandé d’y remédier. Les dirigeants qui ont mieux que quiconque compris cela disent de cette entreprise, inconsciemment ou par pudeur, « un » outil important, au lieu de dire « l »’outil tout court.

Le dernier en date, monsieur Zerguine, qui parle de « nouvelle feuille de route », dit de l’entreprise dont il a la charge, qu’elle est un « atout » entre les mains de l’Etat en vue de la croissance et du développement. Un atout c’est une entreprise ordinaire, publique ou privée, parmi des centaines aptes à tisser une toile industrielle à plus-values diverses assurant un volet particulier dans l’essor économique, un atout c’est une coopérative agropastorale au sein d’un ensemble d’économie rurale participant de la croissance globale, ainsi de suite dans les organisations d’activité dans le monde de la culture, des loisirs et des sports. Mais alors, non, Sonatrach n’est pas un atout pour que les citoyens continuent de la regarder avec le regard ébloui sur une nébuleuse incandescente qu’ils voient toujours de loin oubliant de se rappeler que tout ce qui touche de près ou de loin à la vie de tous les ressortissants algériens est fait de sa lumière.

Les soupçons d’un grand patriote

Un patrimoine public, appartenant à tout le monde sans distinction aucune, qui réalise un produit national brut, ya el khaoua, on ne peut pas ne pas convenir que c’est quand même un peu plus qu’un atout à la disposition de l’Administration. Et que la gestion de son devenir doit en conséquence obéir à un schéma d’intelligence qui ne peut pas ne pas sortir de la commune régie. On ne dirige pas une entreprise qui paye à des ingénieurs de forage étrangers des primes de risque supérieures aux salaires des ministres comme toutes les autres sociétés qui n’ont droit de cité que par l’existence de cette entreprise. Trop honnête, patriote et conscient de la monstruosité de Sonatrach, Saïd Aït Messaoudene avait à plusieurs reprises décliné la proposition de la prendre en charge, ni la responsabilité du ministère de l’Energie.

Je me rappelle à l’époque où il était à l’Assemblée nationale, au tout début des années quatre-vingt-dix, je l’ai entendu intervenir en marge d’une discussion engageant la commission économique de l’Apn dans des débats au sujet de la grande crise de la dette. En compagnie de jeunes cadres du ministère du Travail venu observer pour s’informer sur des créneaux d’emploi, Messaoudene discutait avec un responsable du Gouvernement – c’était du temps de Sid Ahmed Ghozali – il lui dit : « Dans l’élan d’une production de mille barils, il faut être aveugle ou faire exprès de ne pas créer au moins un emploi, en les exportant on en crée le double. » En cette période l’Algérie produisait à peu près quelque 800 mille barils de pétrole par jour. J’avais rapidement calculé à peu près un demi-million d’emplois par an.

Quand Sonatrach engendre le chômage

Aujourd’hui la production algérienne atteint presque les deux millions de barils par jour et l’emploi dans le pays diminue vertigineusement. Lorsque les dirigeants exhibent fièrement un emploi créé ils en occultent dix de perdus. Sonatrach elle-même recrute au forceps ; elle travaille presque à « guichet fermé » surtout après la recomposition avec les anciennes filiales restructurées, telles l’Enagéo, l’Enip, Naftal, etc. Au point où beaucoup de citoyens, surtout parmi les misérablement rémunérés pour des travaux quand bien même pénibles, considèrent les salariés de Sonatrach comme faisant partie d’une secte dont ils se méfient plus qu’ils en jalousent. Ils ressentent avec peine qu’un cadre de cette entreprise épargne juste une année ou deux pour mettre la main sur une belle voiture rutilante en se permettant un crédit bâtisse dont il ne craint pas les remboursements aussi massifs soient-ils.

C’est pour tenter de préciser surtout que Sonatrach a, tout compte fait, besoin d’un traitement national à sa mesure. Ce n’est pas de la manière « bureaucratique », j’allais dire de droit commun, qu’un président se réveille le matin et mettre quelqu’un qu’il juge convenant et convenable à la tête de cette manne des mannes pour ensuite tenir le micro aux populations et leur raconter le machahou du propriétaire du carrosse qui vient de changer le cocher. Il ne s’agit pas là de changer ou ne pas changer les gestionnaires, l’intérêt c’est de voir quel statut il va falloir octroyer à Sonatrach ; et ce n’est ni le président ni quelqu’un d’autre qui a le droit de l’imposer, c’est à la majorité des citoyens d’en décider.

Les Algériens savent que les députés sont capables de trahir

Les ministres et les parlementaires le disent clairement aux concitoyens et aux électeurs qui savent bien comprendre, ce souci de se servir de leur pouvoir – mis entre leurs par les citoyens – afin de protéger leurs rémunérations, à la raison pitoyable de plus de trente fois le salaire minimum garanti qui ne finance pas le mois d’une petite famille herbivore.

Si l’Etat algérien est devenu une honte au regard des pays qui travaillent sérieusement ce n’est pas la faute des Algériens qui subissent, les gouvernances ne répondant à aucune logique de dignité qui émane d’une souveraineté légitime. Un pas on ne peut plus lâche a été fait dans l’ouverture du capital de Sonatrach au concours de la majorité suffisante pour l’étranger. Rien ne dit qu’un autre ne va pas se faire encore après le printemps prochain. Et de la manière antinationale avec laquelle les députés lèvent les bras n’indiquent pas vraiment de courir le risque d’être complice dans l’hypothèque définitive des générations futures en allant à la consultation législative.

En tout cas, les responsables nationaux qui ont initié l’ouverture du capital de la garantie de survie de l’écrasante majorité des Algériens, au travers de cette pauvre entreprise qui ne mérite pas ce qui lui arrive, sont parmi les plus féroces hurleurs à cet ultime vote de la déconfiture.

Nadir Bacha