Mardi soir, salle El Mougar à Alger. Je viens de sortir d’une pièce de théâtre qui a comme titre, « al-Miziriya » (Misère). Comme je vous le disais dans un précédent papier ce mot que nous ont légué les Français est très algérien.
J’avoue que lorsque j’ai éclaté de rire comme tous les autres spectateurs présents dans cette salle, j’ai dû faire un effort suprême pour me remémorer le dernier spectacle algérien organisé en salle et en Algérie où j’ai pu autant m’éclater et m’amuser.
Dans ma tête ça a fait d’abord une espèce de trou noir, je ne trouve rien. Soudain vient un repère, on est en 2010 et si je remontais le temps jusqu’à 2000 ? Non, non je ne me souviens pas avoir ri en salle durant cette décennie. Je me disais donc, il faut bien que je remonte encore un peu plus loin le temps. Mais sitôt que je me suis éloigné des années 2000, je me suis retrouvé en pleines années de ténèbres.
Alors sûr et certain de n’avoir jamais ri pendant la décennie dite noire, j’étais soulagé de ne pas devoir forcer ma mémoire à faire des recherches inutiles. En retrouvant ma sérénité j’ai pensé à Babor ghrak de Slimane Benaïssa et je me suis alors rendu compte, que le spectacle qui m’avait fait rire et en même temps réfléchir avant celui dont je suis en train de vous parler aujourd’hui, est je crois celui précisément de cet auteur-là, lequel donnait une représentation au TNA vers le début des années 90. Cela faisait donc déjà 20 ans que je n’ai pas ri !
Oui, un clown peut vous faire tordre de rire, mais rarement en faisant de la politique. Donc vous avez compris de quel rire je vous cause. Précisément Misère à la mode, car c’est le titre français de la pièce, fait de la politique. Au niveau du théâtre algérien ceci bien sûr n’est pas une nouveauté. Depuis sa naissance en contexte colonial, ce théâtre n’a jamais cessé de le faire.
Disons que depuis quelques années le 4e art en Algérie est paralysé par une crise multidirectionnelle. Ses limites structurelles l’ont empêché de renouer avec ce qui faisait depuis Allalou et Bachtarzi sa force : la contestation de l’ordre sociopolitique établi. Depuis les sombres années du terrorisme, on eut dit qu’on a perdu les ressorts de la création féconde la plus à même de réactualiser la contestation politique dès lors que chaque période est porteuse de ses propres travers et blocages induits par l’évolution normale des choses et que seul un travail intellectuel et artistique renouvelé, permet de dévoiler. Hormis quelques rares exceptions, au fil du temps, on assiste au montage de pièces insipides et soporifiques.
Devant le déficit de création au niveau local, le recours aux adaptations de pièces étrangères devient presque la règle. De nos jours il est quasi impossible de trouver des dramaturges de la trempe des Kateb Yacine, des Abdelkader Alloula et autres Abdelkader Kaki. Ces hommes ont écrit, conçu et pensé un théâtre pour leur société. Pour revenir à Misère à la mode, il est bon de signaler qu’elle est écrite par un auteur algérien : Sid-Ali Bouchafaâ. La mise en scène est de Djamel Guermi, 39 ans, qui signe sa première œuvre. Il est sorti en 2000 de l’Institut national supérieur des arts dramatiques de Bordj el-Kiffan. Trois comédiens y jouent dont le plus connu : Mourad Khan, qui est également le producteur de la pièce.
Mais il est aussi le réalisateur de la fameuse série La Caméra cachée de l’Entreprise nationale de télévision. Les deux autres comédiens Louisa Nahar et Djafar Mechernen sont en train d’y faire leurs premiers pas, mais Louisa Nahar est une artiste qui promet. Misère à la mode est certainement l’une des plus audacieuses pièces de théâtre de ces dernières années. Elle s’est attachée à donner la parole à ces « désenchantés » de la démocratie, à ce peuple trahi par ses élus qui ne tiennent pas leurs promesses électorales.
La pièce donne à voir un quêteur de voix, candidat au parlement, qui désespéré de n’avoir pu trouver la 75.000e personne dont la signature lui permettra de compléter sa liste de voix, faire la rencontre d’une jeune femme SDF qu’il va tout de suite tenter de séduire afin qu’elle lui accorde la voix tant désirée. Le théâtre de Guermi avec un style de tragi-comédie, nous fait ainsi plonger dans une relation peuple-gouvernants très érotisée. L’originalité de la pièce se situe certainement à ce niveau-là. Le dirigeant jouisseur et noceur à souhait, ne conçoit sa relation avec le peuple que dans le cadre d’un viol. On en rit, car aussi ce qu’on appelle communément la scène politique est réduit à une scène de ménage où la fiancée vertueuse fait la leçon à son prétendant.
La pièce est audacieuse, en ce sens qu’elle s’attaque au discours politique, à ses réalisations langagières, entendez sa langue conventionnelle et figée et même à la misogynie et à ses parrainages pseudo-religieux. Comme dans Nedjma de K. Yacine la patrie, c’est une femme. La pièce a eu certainement un succès, mais il faut dire plutôt un succès mitigé. Le public certes a chaudement applaudi, content d’avoir assisté à une pièce époustouflante, très plaisante à voir et qui a réussi à le tenir en haleine de bout en bout. La prestation de Mourad Khan, comédien accompli superbement accompagné par Louisa Nahar a fait le reste. Si le spectacle a péché par manque de langue poétique, la chorégraphie et la mimique ont heureusement suppléé à ce défaut.
Mais la pièce est en principe une sorte de générale à rebours, l’accès ayant été gratuit, contrairement à l’usage qui voudrait que la gratuité soit appliquée à la première représentation et non après que la pièce ait fait sa tournée dans les salles. Sachant qu’un Théâtre national digne de ce nom, est dans l’état actuel des choses, impossible à asseoir en dehors des structures publiques, c’est à peu près sinon pratiquement la seule pièce à ma connaissance qui soit produite en Algérie par une boite privée, à savoir : la « Compagnie culturelle Ayamalek pour le théâtre et la vidéo » (dont le directeur n’est autre que Mourad Khan comme je l’ai dit plus haut). C’est dire le mérite et le défi qu’ont eu à affronter ses promoteurs. Ceci étant, si le public était venu nombreux, l’orchestre était plein, mais le balcon vide. Pas plus donc que l’hirondelle ne fait le printemps, Misère à la mode ne fait le théâtre algérien.
Par : LARBI GRAÏNE