Une vaste étude démographique montre que les descendants nés en France de populations immigrées, notamment maghrébines, éprouvent plus de mal que leurs parents à se faire accepter et à réussir.
Ils sont Français à la naissance et n’ont vécu dans aucun autre pays. Mais ils restent des étrangers aux yeux de leurs compatriotes et de la République, à travers ses différentes institutions, y compris l’école et la justice. Les enfants d’immigrés, endurent toutes les formes de discrimination.
Ils souffrent de racisme encore plus que leurs parents, révélant à travers leurs échecs personnels, les ratées des politiques d’intégration expérimentées sans succès par les gouvernements successifs, dans le sillage de la célèbre marche des Beurs, au début des années 80. Un peu plus de trois décennies après le déclenchement de ce mouvement contestataire conduit par les immigrés maghrébins de seconde génération, une enquête de grande ampleur “Trajectoires et origines”, réalisée par l’unité de recherche “Migrations internationales et minorités” de l’Institut national des études démographiques (Ined), montre que les dénonciations récurrentes de comportements racistes par les Français d’origine étrangère ne sont pas l’expression d’une position victimaire, mais une réalité.
Cette étude dont les travaux se sont prolongés sur une dizaine d’années a mobilisé plus de 500 enquêteurs. Le travail d’investigation s’est basé principalement sur le recueil de témoignages, 22 000 entretiens entre 2008 et 2009. Il y a quelques jours, l’Ined rendait public les résultats. L’unité de recherche s’est appuyée sur des paramètres classiques d’intégration socio-professionnelle pour connaître le vécu des populations immigrées et de leur descendance et la nature des blocages auxquels elles sont confrontées. Les questions posées soulèvent des problématiques simples : “Au cours de votre vie, avez-vous été la cible d’insultes, de propos ou d’attitudes racistes en France ?”, ou encore “Au cours des cinq dernières années, est-il arrivé qu’on vous refuse injustement un emploi ?”. Dans plus d’un cas sur deux, les réponses sont affirmatives. La discrimination dans l’accès au marché du travail est évidente quand l’ensemble des critères (diplômés, présence d’opportunités…) sont réunis.
À la fin de l’année 2015, une autre étude menée par Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq) a montré que les enfants d’immigrés d’origine maghrébine et africaine ont plus de difficultés que les autres à se faire embaucher. “À niveau d’éducation et caractéristiques comparables. Ce désavantage dans l’accès à l’emploi est alors attribué à une discrimination à l’embauche”, avait indiqué le Cereq. Pis, selon ce centre, les jeunes issus de l’immigration maghrébine occupent des postes de moindre qualité que les Français d’origine. Ce constat est confirmé par l’Ined, qui fait remarquer à travers les témoignages recueillis que ces jeunes se résignent, en dépit de leurs diplômes à accepter des postes sous-qualifiés, parfois les mêmes que leurs parents. Subissant une plus grande exclusion que les autres du marché du travail, les enfants d’immigrés, selon l’Ined ont encore plus de mal que leurs parents à décrocher un emploi alors qu’ils sont nés et ont été éduqués en France.
Les détenteurs de diplômes supérieurs ne sont pas mieux lotis. Dans la population générale, 20% des actifs occupent ce type de postes, contre seulement 8% des immigrés d’origine maghrébine. Compte tenu des écueils qui empiètent sur leur parcours scolaire, les enfants d’immigrés ont pourtant beaucoup de mérite lorsqu’ils arrivent à décrocher un diplôme universitaire. En matière d’éducation, les conclusions des chercheurs de l’Ined sont également révélatrices d’une grande inégalité.
Quelque 55% de descendants d’immigrés ont obtenu le baccalauréat avec 7 points de moins que la moyenne nationale. La scolarité des garçons est encore plus chaotique. Ceux nés de parents d’origine algérienne sont à peine 40% à avoir réussi au bac. Pour l’Ined, la responsabilité de l’école dans cet échec réside dans son incapacité à raccrocher les élèves en déperdition. Beaucoup sont déjà suffisamment défavorisés à l’entame de leur scolarité à cause, notamment, de la maîtrise approximative de la langue. Leurs parents sont souvent incapables de leur fournir une aide aux devoirs. Ce qui n’encourage pas leur réussite et compromet leur avenir socio-professionnel.
Souvent, ces jeunes sans perspectives restent prisonniers de leurs cités. Là encore, l’étude constate que plus d’un habitant sur deux des ZUS (zones urbaines sensibles) est d’origine étrangère. En 2005, la France était confrontée aux premières émeutes de banlieues de son histoire. Cette révolte déclenchée à la suite d’une bavure de la police était animée par des jeunes criant l’exclusion et le racisme. Une décennie plus tard, ces sentiments sont encore plus exacerbés.
La moitié des enfants nés de parents maghrébins ont déclaré aux enquêteurs de l’Ined avoir été confrontés à des comportements discriminatoires. Après l’attentat contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo en janvier 2015, le Premier ministre Emanuel Valls, dans un discours visant à endiguer la tentation djihadiste dans les banlieues, avait évoqué un “apartheid, économique, social et ethnique” qu’il faut démanteler. Or, l’État lui-même semble, pour certains, avoir été gagné par cette logique de distinction de ses citoyens selon leurs origines. En cause, l’extension de la loi sur la déchéance de la nationalité aux binationaux condamnés pour des faits de terrorisme, y compris ceux qui sont nés sur le sol français. Pour les chercheurs de l’Ined, il est aujourd’hui évident que les assignations récurrentes aux origines sont le principal frein à l’intégration des immigrés et de leur descendance, soit environ un tiers de la population francaise.