«A vrai dire, au Brésil, on a tous été charmés par le génie de Madjer.»
Carlos Caetano Bledorn Verri. Si on vous l’annonçait comme ça, ce nom ne vous dira certainement rien. Mais si on vous dit Dunga, la mémoire est aussitôt interpellée pour vous faire voyager à travers le temps et les exploits de la sélection du Brésil. Dunga est l’un des noms les plus retentissants du football brésilien. Lui qui a été le capitaine de la Seleçao championne du monde en 1994, mais aussi sélectionneur du Brésil en Afrique du Sud. Le Buteur l’a rencontré lors de la cérémonie du Golden Foot, à l’occasion de laquelle il s’est vu remettre l’un des prestigieux trophées, au même titre que Beckenbauer, Hugo Sanchez et Antonioni. Dunga a accepté volontiers de nous parler de lui, de son Brésil, mais aussi de l’Algérie. Un entretien très sincère, un régal que vous envieront ceux qui l’auront raté !
D’abord, on voudrait vous féliciter pour cette distinction au Golden Foot…
Merci beaucoup. Cette distinction est très importante à mes yeux, parce que c’est l’une des rares à ne pas privilégier les performances techniques du joueur, bien que je ne pense pas avoir été un mauvais joueur (il rigole). Le Golden Foot a cela de bien, car il prend en compte les valeurs morales que véhicule le joueur pendant sa carrière. La distinction va aux joueurs qui ont été épargnés de tout reproche et qui ont symbolisé ce qu’il y a de mieux dans la carrière d’un footballeur. De plus, ma fierté est double lorsque je vois que je suis honoré le même jour qu’une de mes idoles d’enfance, en l’occurrence Frantz Beckenbauer. Franchement, c’est un grand honneur d’être dans la même liste que Maradona, Zidane, Platini, Romario, Zico, Di Stefano, Rumennige, et tous ces grands noms qui ont marqué l’histoire du football mondial.
Avec autant de titres gagnés dans votre carrière de joueur et d’entraîneur, lequel gardez-vous précieusement en mémoire ?
Le plus beau titre à mes yeux reste incontestablement celui de champion du monde en 1994. J’étais en plus capitaine de cette grande équipe, c’est dire ma fierté ! C’est forcément le plus grand moment de ma carrière, car on ne devient pas champion du monde par hasard. Il y a aussi d’autres titres, je dirai même tous, qui m’ont fait plaisir et que je n’oublierai jamais de ma vie, car ce sont des titres qui ont été arrachés après de gros efforts de notre part. Personne ne nous en a fait cadeau ! Nous avons beaucoup travaillé pour les gagner. Je pense même au titre de champion du monde des U20 en 1983 que nous avons gagné face à l’Argentine, ou celui de la Copa America décroché à deux reprises.
Contrairement à celui de la sélection, le Dunga en club n’a jamais gagné de titre, non ?
C’est vrai, je n’ai jamais rien gagné avec mes clubs en Europe, que ce soit avec Pise, la Fiorentina ou Stuttgart, lorsque j’ai joué en Allemagne. Mais cela ne diminue en rien des bons moments que j’ai passés avec ces clubs. J’en garde de très bons souvenirs et je n’ai vraiment rien à regretter, si ce n’est d’avoir échoué en finale de la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe (actuellement Europa League, ndlr) contre la Juventus de Turin. Sinon, toutes ces années ont été agréables à vivre pour moi.
Comme nous sommes des Algériens, on va donc vous interroger sur notre football. En avez-vous des échos ?
Ah, l’Algérie ! Je sais que c’est un pays qui a le football dans la peau, comme ça se passe pour nous en Amérique latine. Même le jeu des joueurs algériens ressemble au nôtre. D’ailleurs, j’ai eu l’occasion d’affronter la sélection algérienne, une année après mon installation à la tête de l’équipe du Brésil…
Vous faites sans doute allusion au match du mois d’août 2007 à Montpellier, non ?
Bien évidemment ! Et ce jour-là, j’ai vu des joueurs algériens très techniques, qui aiment conserver le ballon et qui sont très doués. C’est pour cela que ce match a été d’un haut niveau technique et aussi très plaisant. Je me rappelle surtout qu’on a eu beaucoup de difficultés à débrider la partie. Puisque nous n’avions marqué nos deux buts que vers la fin (Maïcon et Ronaldinho, ndlr). Un mois auparavant, nous avions remporté la Copa America face à l’Argentine sur le score de 3-0. C’est dire que l’Algérie avait montré un bon niveau ce jour-là.
Qu’est-ce qui a retenu votre attention dans ce match, côté algérien ?
C’est plus l’audace des joueurs et leur côté technique. Les joueurs algériens avaient en face le Brésil, mais ils ne s’affolaient pas pour remonter balle au pied de la défense vers l’attaque. D’habitude, les défenseurs qui affrontent les Brésiliens sont méfiants et préfèrent sortir vite le ballon pour éloigner le danger en ne prenant aucun risque, car ils savent que la moindre erreur face aux Brésiliens peut leur coûter un but. Ce n’était pas le cas des défenseurs algériens qui étaient très confiants balle au pied. C’est tellement rare que je ne peux pas ne pas le souligner. Et puis, entre nous, je n’étais pas très surpris par la qualité du football des Algériens, car j’avais déjà un aperçu de la valeur de vos joueurs.
Comment ça ?
A vrai dire, au Brésil, on a tous été charmés par le génie de Madjer. Pour des raisons culturelles et historiques, les Brésiliens suivent de près le championnat du Portugal et ma foi, on ne peut pas passer à côté d’un joueur aussi talentueux que Rabah Madjer. C’est un joueur qui a gagné l’estime de tous les connaisseurs au Brésil, après le parcours qu’il a réalisé avec Porto en championnat et en Coupe d’Europe. Qui ne se rappelle pas de sa splendide talonnade en finale contre le Bayern de Munich ! C’est toujours un régal de la revoir, car c’est le symbole de l’audace du footballeur algérien dont je parlais il y a un moment. Mais il n’y a pas que Madjer qui est connu au Brésil, parmi les footballeurs algériens. Il y a aussi Zinédine Zidane qu’on ne peut pas oublier, depuis qu’il nous a marqué deux buts en finale de la Coupe du monde en 1998. Depuis ce match, tout le Brésil s’est intéressé à ce génie du football et c’est là qu’on a appris qu’il était originaire d’Algérie. Ces deux joueurs, à eux seuls, imposent le respect du football algérien.
Cette finale de 1998 était votre dernier match avec la Seleçao. Pourquoi ?
Oh, ne pensez pas que c’est à cause de la défaite, mais c’était surtout parce que j’avais alors 35 ans ! Je ne pouvais donc pas m’éterniser en équipe nationale. Il y a eu un début et donc forcément, il allait y avoir une fin. Je crois que c’était le bon moment pour raccrocher et laisser la place aux jeunes. Entre nous, j’avais bien fait d’arrêter, car en 2002, le Brésil était redevenu champion du monde (il se marre).
Comment jugez-vous le rendement de l’Equipe d’Algérie en Afrique du Sud ?
Franchement, je vous mentirai en vous disant que j’avais suivi tous les matchs de la Coupe du monde. J’étais sélectionneur du Brésil et de ce fait, toute ma concentration était sur mes joueurs et notre groupe. N’attendez donc pas de moi de vous faire des analyses sur les autres matchs. J’en suis désolé. Tout ce dont je me rappelle, c’est que l’Algérie a fait sensation face à l’Angleterre.
Les Algériens sont aussi exigeants que les Brésiliens et n’admettent pas de voir leur équipe se faire éliminer dès le premier tour…
C’est bien d’être exigeant, car ça nous permet de progresser dans la vie. Mais il faut savoir aussi admettre une élimination dans une compétition aussi relevée. Bien des équipes sont sorties au premier tour, dont les deux finalistes de la dernière Coupe du monde, à savoir l’Italie en tant que tenant du titre et la France. C’est à ces équipes de pester plus que l’Algérie, je pense. Ces deux équipes faisaient même partie des prétendants au titre. Il ne faut pas trop blâmer vos joueurs qui reviennent en Coupe du monde après une longue absence. Je me rappelle aussi de l’Algérie de 1986 face au Brésil. On avait bien sué avant de vous battre par 1-0, je crois.
Vous aussi, vous n’avez pas été épargné après votre défaite en quart de finale face aux Pays-Bas…
Chez nous, il y a beaucoup de gens qui estiment qu’aller en finale et ne pas la gagner, c’est comme si on était sorti au premier tour. On n’y peut rien, c’est une culture propre aux Brésiliens qui ne pardonnent pas à leur joueurs de rater un Mondial. Mais il faut aussi apprendre à accepter la défaite par moments. Il n’est pas écrit dans le football que le Brésil doit gagner toutes les Coupes du monde. Il faut être sensé en fin de compte. Des fois aussi, on peut se faire éliminer en quart de finale. Et puis, si vous revoyez le match face à la Hollande, ça s’est joué sur de petits détails et nous aurions pu gagner nous aussi. Mais c’est ça le football, on ne peut pas tout maîtriser dans un match.
Quelle sorte de pression pèse sur les épaules du sélectionneur de l’Equipe du Brésil pendant le Mondial ?
Vous savez, la pression, on ne la ressent pas uniquement durant le Mondial. Elle commence à peser dès l’annonce de la liste des 22. C’est à partir de la divulgation de cette liste que commence la pression sur le sélectionneur du Brésil, car tout le monde aime lui dicter ses propres choix. Il y a autant de listes que de Brésiliens ! Mais personnellement, je ressentais plus la responsabilité que la pression. Je savais que j’avais une mission importante à mener et je ne pouvais pas me permettre de m’égarer avec les sentiments. J’étais plutôt confiant de mon travail et de la qualité des joueurs que j’avais sélectionnés.
Êtes-vous satisfait de votre passage en sélection ?
Je pense que du moment qu’on sait qu’on a travaillé avec beaucoup de cœur, sans tricher, on doit apprécier son travail. Même si je n’ai pas gagné le titre de champion du monde en tant qu’entraîneur, je crois qu’il y a de quoi être fier de mes quatre années à la tête de la Seleçao. Comme je suis fier d’avoir été le capitaine de l’Equipe du Brésil lorsqu’on a été champions du monde. J’ai été international pendant onze ans et je crois avoir laissé une bonne image de mon passage chez les Auriverde.
Avant de terminer cet entretien, on voudrait vous demander ce que signifie votre surnom Dunga et qui vous l’a donné ?
(Il sourit). En fait, ce surnom m’a été collé par un ami d’enfance, lorsqu’on était bambins. C’est un surnom qui signifie en portugais «petit chien» ou alors, «un petit animal qui vient juste de naître». Mais je n’ai jamais été offusqué par ce surnom. Je dirai même qu’il m’a porté bonheur (il rigole). Les hommes se mesurent pas leurs exploits et non pas par leurs noms ou surnoms. (Il sourit).
Un dernier mot, avant de nous quitter ?
Mes salutations aux supporteurs algériens et bonne chance à votre Equipe nationale.