D’un bidonville à un vrai appartement en ville : Le temps d’un relogement!

D’un bidonville à un vrai appartement en ville : Le temps d’un relogement!

Le relogement est toujours une opération sensible pour les autorités locales, mais cette fois, celle-ci avait un cachet particulier. Notre reporter s’est plongé dans le coeur du dispositif, approchant le coeur des citoyens aux anges et croisant le regard des citoyens désemparés.

En ce vendredi d’été, la nuit tombe pour la première fois, différemment sur… les bidonvilles de la capitale! Oui, différemment, parce que dès le retrait progressif du soleil du jour,… ce n’est pas le noir de la nuit qui s’en est suivi, mais une soirée de bonheur pour des milliers de familles qui malgré la misère ont survécu. Le bonheur de milliers de familles algériennes éparpillées un peu partout, des années durant, dans les bidonvilles de la capitale. 10 000 familles se mirent à ranger leurs affaires pour quitter à jamais «les baraques de la misère» pour des appartements neufs et une vie digne.

23 heures tapantes, quelque part dans la capitale, loin des regards de tous, du côté de Aïn Benian, une paisible ville côtière située à l’ouest d’Alger, c’est le branle-bas! Des centaines de personnes couraient dans tous les sens. Des dizaines d’éléments de la Gendarmerie nationale dressés dans chaque recoin. Des éléments de la Protection civile, par dizaines, figés, guettaient un peu partout.

Des agents en tenues vert pistache lumineuses, sur lesquelles on pouvait lire «Edeval W.A», circulaient dans tous les sens. Des camions, des fourgons, des bus,… le tout, au coeur d’un immense bidonville.

Ou sommes-nous? «Ici, c’est le domaine du «Colonel Si El Houès», autrement connu «Daffous»! Le décor fait trébucher les plus imperturbables!

«Nous sommes réquisitionnés pour «évacuer» 215 familles. Nous sommes 425 manutentionnaires à garantir cette opération de relogement», nous explique dès notre arrivée sur les lieux la première personne que nous avions interrogée. «Pour reloger, une famille, il faut quatre agents et deux fourgons ou deux camions. Deux agents ici sur place pour aider chaque famille à charger ses affaires et deux agents sur les lieux du relogement pour les aider encore à décharger leurs affaires et les faire rentrer dans les nouveaux appartements», nous explique-t-il encore.

Sur place l’opération du relogement, ou l’évacuation, comme terme technique utilisé par les agents de la willaya d’Alger, est presque terminée. 80% des familles étaient prises en charge avant minuit. «Nous avons commencé l’opération d’évacuation dès 19 h», nous indique-t-on.

Les agents de Edeval, cet Epic relevant de la wilaya d’Alger, ne sont réquisitionnés que pour Aïn-Benian. Au même moment, d’autres epics, comme NetCom, Erma, Asrout… opèrent dans d’autres endroits, d’autres bidonvilles.

«Edeval, n’est concernée que par le site de Ain-Benian. Un peu plus de 200 familles seront relogées à Ouled Chabel, dans la daïra de Birtouta, dans la capitale», nous informe-t-on. L’opération est encadrée par Edeval, la Protection civile, la Gendarmerie nationale et enfin les responsables locaux, soit les élus de l’APC de Aïn Benian ou les représentants de la daïra.

«Nous n’avons eu aucun problème depuis que nous sommes ici. Quelqu’un qui vit dans un bidonville et va aller dans un nouvel appartement, il ne peut qu’être heureux!», Nous dit un agent réquisitionné par la wilaya d’Alger.

Entre-temps, autour de nous et au coeur de cette nuit, les choses prennent d’autres proportions.

Le dernier marché de la misère…

En pleine opération de relogement, il y a eu naissance d’un «marché». Un marché de vente à l’air libre; vendre ce qui ne peut être transporté! Incroyable mais, vrai! On entend de drôles de cris… en prix! «100 DA!», par-ci, «150 DA!», par-là.

«200 DA», plus loin! Et une plaque de tôle de toiture est cédée! «1000 DA: une porte métallique toute neuve», s’écrie une personne de loin. «Trois fenêtres pour 2000 DA, et qu’on en finisse», peut-on entendre encore plus loin. Des cuvettes de toilettes, des chasses d’eau, du carellage,… tout se vend, au vent, avant de partir devant!

«Les gens qui vont quitter ces baraques de fortune profitent de l’occasion pour vendre ce qu’ils ne peuvent pas déménager avec eux», nous montre-t-on sur place.

Qui achète? Des fourgonnettes venues de loin, immatriculées 16 (Alger), 35 (Boumerdès),… le tout devant le regard médusé des services de sécurité dépêchés pour l’occasion.

«Ces marchands de nuit, viennent des autres villes pour faire des affaires», nous explique Salem, un jeune de 25 ans qui vient de vendre une porte métallique et deux fenêtres en bois à 2500 DA. «Moi, je suis partant avec ma famille dans un nouvel appartement, alors pourquoi pas vendre ce que je peux vendre d’autant plus que le tout sera détruit demain. 2500 DA, dans la poche, c’est mieux que rien», dit-il en souriant. Quant aux affairistes de fortune, un d’entre eux nous révèle: «J’achète une tôle de toit ici à 100 DA, ensuite je la vends à 1200 DA ailleurs. Nous attendons ce type de relogement avec impatience, ça nous fait des sous!».

Relogement, pagaille, anarchie, marché de fortune, foule déchaînée, disputes,… horrible est la misère!

Au milieu de toute cette déconfiture, après tout, nul n’a oublié que la finalité n’est autre qu’un toit… digne, avec une forme de bonheur qu’on ne remarque pas souvent dans le noir.

Panique, dispute, bousculades, agressions, blessés…

Il est 1 heure du matin. Les camions avancent dans tous les sens. Les éléments des services de sécurité se faufilent parmi la foule qui se constitue dans tous les coins. De la poussière à ne plus pouvoir respirer… Peu importe le décor, le temps est à l’optimisme; c’est fini la misère! Tout d’un coup, un jeune surgit dans le noir et frappe avec une barre de fer un autre jeune. Et c’est la panique. Ça court dans tous les sens. Les gendarmes tentent d’intervenir…la victime se lève avec un visage plein de sang en criant et en courant dans tous les sens.

Rapidement, la victime et l’agresseur se sont pardonnés! «Les gendarmes présents les ont raisonnés», a-t-on constaté. «Les gens ne sont pas organisés. Regarde combien de personnes parlent en même temps à un seul chauffeur de camion! Ça ne peut pas être possible. Ça ne peut pas être évité. Ça ne peut qu’être subi le temps de cette nuit. Nous n’avons d’autres choix que de supporter tout ça!», lâche Farid, un agent de manutention réquisitionné pour l’opération.

Le premier bonheur de la dernière misère…

Maridja Samir, 35 ans, marié, père d’un enfant, raconte; «Ça fait 20 ans que je vis ici dans ce bidonville. Je suis marié depuis 3 ans. Avant je n’habitais pas ici. Je suis venu à l’âge de 10 ans. C’est mon père qui nous a ramenés ici» «Depuis sept ans, depuis qu’on nous a recensés, on nous disait à chaque fois cette année nous allons vous reloger ailleurs. Ça n’a jamais été le cas. Cette fois, c’est une vérité, nous serons logés dans de nouveaux appartements; je suis heureux!», poursuit-t-il sous la lumière de la lune qui illumine Alger ou la lumière de son espoir qui illumine ma feuille.

Par contre, les heureux nouveaux relogés, savent seulement qu’ils quitteront la misère du bidonville dans laquelle ils survivent, mais sans plus. Ils ne sont même pas intéressés de comprendre comment partir de là. «On ne sait même pas quel logement nous allons habiter.

On va partir d’ici et on ne sait même pas ce qui nous attend», dit-il. Samir n’a aucun choix que celui d’y croire… croire en tout et malgré tout. «C’est le comité de quartier qui nous a informés de cette opération de relogement il y a trois jours», révèle-t-il et de rajouter que «nous n’avons ni décision ni aucun autre document. Nous prions Dieu pour nous retrouver sous un toit, c’est tout».

Des abus au coeur du relogement…

Ils étaient là, des centaines; des fourgons, des camions,…. Ils avançaient malgré tout pour charger les affaires des relogés. Eux, c’est toute une autre histoire. «Les gendarmes m’ont arrêté au niveau d’un barrage de contrôle à El-Harrach, une ville au coeur de la capitale. Ils m’ont retiré mes papiers puis m’ont donné un bon d’essence et m’ont affecté ici pour participer à cette opération de relogement. La seule chose qu’ils m’ont dit; ramène la photocopie de la décision du relogement de la famille que tu as transportée pour que nous te rendions tes papiers. Tu le feras au nom de l’utilité publique», témoigne, choqué, Rafik, rencontré sur les lieux du déménagement.

Très grave comme accusation, mais il n’est pas le seul. D’autres chauffeurs de fourgons ont révélé les mêmes faits….

Ce n’est pas fini, car même ceux qui ont la chance de ne pas passer par El-Harrach, ont été pris par d’autres filets; ceux de l’administration de bazar!

«Nous étions contactés par une personne. Elle nous a dit qu’elle cherche des fourgons pour déménagement. Nous avons ramené tous ceux que nous connaissions. Il nous a promis que nous allions être bien payés. Mais sans plus. Nous ne connaissons même pas le prix. Nous avons entendu parler d’un prix qui est de 5 000 DA. Nous sommes venus et nous voilà coincés ici. On ne nous a pas dit que nous allions passer la nuit ici et encore toute la journée de demain. Si nous le savions, nous n’aurions jamais accepté», raconte notre interlocuteur qui veut garder l’anonymat.

Enfin, l’heure brille sous la lune d’Alger; 02 heures du matin! C’est l’heure qui témoignera d’une soirée pas comme les autres. Alger, la capitale se targue en arrogante, de loger des Algériens, mais à quel prix?

Au-delà des effets d’annonce, au-delà des politiques populistes de bas de gamme, au-delà de la dimension humanitaire de l’opération, au-delà de la portée sociale aussi, au-delà de tout… les services de la wilaya d’Alger auraient pu être juste un peu «dignes» pour assumer juste leur mission dignement. Ce n’est pas le cas: dommage!