Dr. Lyès Mérabet, PDT du SNPSP, accuse des Lobbies d’être derrière la crise du système de santé algérien: «Le secteur public est démantelé au profit du privé»

Dr. Lyès Mérabet, PDT du SNPSP, accuse des Lobbies d’être derrière la crise du système de santé algérien: «Le secteur public est démantelé au profit du privé»

Et dire que les choses pour le secteur de la Santé en Algérie allaient du bon pied à la fin des années 60 et début des années 70, au lendemain de la période post-indépendance, où on a commencé à asseoir un système de Santé à travers la naissance des premières infrastructures hospitalières, la formation du personnel médical et paramédical, l’accès aux soins gratuits pour le citoyen… etc. C’est ce qu’à expliqué, hier, Dr. Lyès Mérabet, président du Syndicat national des praticiens de la Santé publique, invité du Forum du Courrier d’Algérie, pour faire le diagnostic du système de Santé national.

«Ce qui était impossible avant, a été donc rendu possible grâce à la manne financière générée des suites de la nationalisation des hydrocarbures. Prenons le cas du corps médical: alors qu’on était au lendemain de l’indépendance à peine à 350 médecins algériens, 70 pharmaciens et une centaine de médecins-dentistes, aujourd’hui, des milliers de blouses blanches sont formées par l’État et mises à la disposition du secteur», indique le conférencier. Pour un capital aussi riche, toutefois, qui profite aux pays étrangers avec notamment la saignée dans les hôpitaux causée par l’exode de plus en plus de médecins algériens vers l’Europe et l’Amérique à défaut d’un bon environnement de travail qui assure à la fois sérénité au médecin et prestation de qualité au malade.

Cette tendance a pris cours jusqu’aux années 80, où «des efforts en matière de structuration, de formation et de réglementation juridique pour encadrer le système de Santé, régir son fonctionnement et situer les responsabilités et les missions des uns et des autres ont été fournis et que nous avions soutenus», a expliqué Docteur Mérabet, qui exerce sa profession à Meftah (Blida) depuis les années 90, pendant la période d’ouverture au multipartisme durant laquelle le syndicat, qu’il dirige, a pris naissance.

Fin des années 80 et début 90, l’Algérie, comme tout le monde le sait, a traversé une grave crise sécuritaire sous l’insurrection du terrorisme, qui a failli renverser les fondements de la République. D’où une situation de marasme qui a touché tous les niveaux de la vie du pays, et notamment sur le plan financier. Cet état de fait a amené les responsables à procéder à des coupes budgétaires qui ont impacté négativement le fonctionnement du secteur de la Santé en particulier. «J’avais vécu cette période de l’horreur en plein exercice de mon métier que je n’ai quitté qu’en 2007. Et puis malgré le climat d’insécurité qui régnait, le système de santé continuait à couvrir et à assurer les soins aux malades. Les gens subissaient des interventions chirurgicales, les femmes accouchaient, les enfants se faisaient vacciner et la santé scolaire fonctionnait. C’est pour vous dire qu’il y avait un système de santé debout, bien construit, avait des objectifs et était fourni par un personnel médical et des responsables bien formés.

«La réforme hospitalière a ruiné le système de santé ! »

Qu’en est-il de la situation aujourd’hui ? «Malheureusement, il y a un recul et un relâchement à tous les niveaux. En 2004, c’est vrai, un programme de réforme hospitalière a été mené. Aujourd’hui, la question essentielle est de dire qu’est ce qui a été fait depuis. Quels étaient les objectifs attendus à travers cette réforme ? A-t-on fait le bilan pour pouvoir dire que ça a marché ou non ?», s’interrogeait notre invité, comme pour illustrer le marasme dans lequel se débat le secteur à l’heure actuelle.

Il n’y a qu’à rappeler en effet le climat général prévalant dans les hôpitaux du pays, la gestion chaotique de l’épidémie de choléra ou encore les mouvements de grèves qui ont paralysée des mois durant ce secteur aussi sensible que stratégique. «En tant que professionnel et au nom du syndicat que je représente, ce qui était toujours notre position, les réformes engagées n’étaient pas dans le sens de consolider le système de santé mais pour le démanteler. Regardez la situation aujourd’hui. Les choses sont allées dans le mauvais sens», déplore le président du SNPSP.

Qu’est ce que l’Algérie aura-t-elle à gagner à «démanteler» le système au lieu de le consolider ? Plus loin, le syndicaliste au même temps que le médecin qu’il est sait de quoi il s’agit et ce qui se trame derrière cette entreprise qu’il dit être «méthodique» et qu’il met sur le dos de lobbies financiers qui courent derrière le gain pécuniaire. «La démarche a commencé par dénaturer l’image de la structure publique par rapport à celle du privé. L’équation est simple : lorsque l’on veut investir dans un secteur comme la Santé, qu’on soit à l’échelle individuelle ou d’un groupe, on commence à prospecter sur le marché. C’est pour savoir si l’activité fait travailler et peut générer des profits : C’est cela le privé et l’arrière pensée se situe à ce niveau», analyse Dr. Merabet qui donne les raisons d’une telle démarche qui met à sac plus qu’elle ne sert la santé publique et encore moins des soins aux citoyens.

Le marasme dans les hôpitaux «profite au privé»

Ainsi, selon ce syndicaliste, dénaturer l’image de la structure publique peut s’opérer à travers, cite-il comme exemple, des coupes budgétaires drastiques au secteur public. En résultat immédiat, la structure de santé aussi bien que le corps médical se retrouve dans l’impuissance d’offrir des soins aux malades. N’a-t-on pas vu en effet des patients refoulés à la porte d’entrée d’un établissement de santé sous prétexte qu’il y a manque de tel matériel médical, de médicaments ou encore l’absence du médecin de garde ? Le cas le plus frappant était la parturiente de Djelfa décédée, elle est son bébé, septembre 2017. Une affaire qui a choqué l’opinion publique et a démontré la crise dans le secteur public.

Du coup, il y a comme ce qu’appelle Mr. Merabet, «un conditionnement des citoyens» à de telles habitudes. Et dire que ce même citoyen cotise pour la Sécurité sociale et ouvre droit de fait à des soins gratuits et de qualité. Et qui profiterait d’une telle situation de marasme dans les hôpitaux ? « Le secteur privé évidemment, car celui-ci ne peut pas évoluer en face d’une structure publique performante. Donc il lui faudrait démanteler le secteur public pour aspirer à l’émancipation», regrette-il. Et qui seraient derrière cette entreprise ? «Cette démarche a été motivée par l’opportunité offerte par un ancien ministre, notamment l’activité complémentaire entre le public et le privé.

Il faut savoir qu’à chaque fois, il y a des professeurs, chefs de service, qui sont derrière. Il y a parmi eux certains qui, par enchantement, se retrouvent juste après dans des structures privées où d’importants investissements sont placés. Cette activité complémentaire lucrative était même élargie aux praticiens, aux médecins spécialistes et hospitalo-universitaires, comme consacré jusqu’à aujourd’hui depuis une ordonnance de 2006», explique l’orateur.

«Avant c’était honteux d’orienter un patient vers le privé»

D’ailleurs, dans la nouvelle loi sur la Santé adoptée mai 2018 au parlement, regrette davantage le président du SNPSP, «le ministre Mokhtar Hasbellaoui «a défendu farouchement le maintien de l’activité complémentaire qui n’est pas interdite par la loi, certes, mais elle n’est pas non plus autorisée». C’est ce qui a donc laissé croire au Docteur que la situation dans le secteur public répond à un objectif bien précis, si non celui de «la mainmise des lobbies financiers sur le secteur de la santé publique». Il en veut pour preuve encore à l’absence de la formation continue, celle à même qui pourrait assurer au médecin des connaissances nouvelles des domaines à la lumière de l’évolution du cours de la médecine.

Farid Guellil