Le microcrédit est-il halal ou haram? L’Algérie avance-t-elle à reculons?
Le ministère des Affaires religieuses étudie le caractère légitime ou pas des intérêts dans les crédits accordés par l’Etat.
Halal ou non? Les intérêts dans les microcrédits sont en débat au niveau du ministère des Affaires religieuses et des Wakfs. Comme si c’est le seul problème qui entrave l’épanouissement des jeunes et de l’économie nationale.
L’Algérie a pourtant d’autres priorités. Cette fausse polémique sur le caractère halal ou non du microcrédit réveille un triste souvenir vécu il y a 23 ans. En 1990, l’Algérie avait importé des moutons d’Australie en prévision de l’Aid El Kebir. Cédés à des prix très raisonnables, ces moutons avaient, probablement, pour des raisons d’hygiène, la queue coupée. Il s’en était suivi une terrible polémique qui alimentait à l’époque les plateaux de télévision.
L’islamisme rampant de l’époque aidant, toute l’Algérie était braquée sur la longueur de la queue du mouton. Que de fetwas, que de débats, que de polémiques! Pourtant, l’Algérie avait d’autres problèmes plus graves: le passage à l’économie libérale, l’islamisme, le chômage, etc. C’était la sombre époque de Yadjouz ou Layadjouze… Et voilà que 23 ans plus tard, le pays retombe exactement dans la même polémique: le microcrédit est-il halal ou haram? L’Algérie avance-t-elle à reculons?
Jeudi dernier, une réunion de consultation a eu lieu pour trancher la question d’adapter les microcrédits accordés aux jeunes par les agences d’emploi aux dispositions de la Charia. «Cette rencontre tend à faire la lumière sur la question des taux d’intérêts imposés par les banques sur les crédits octroyés aux jeunes du point de vue religieux en tenant compte de l’avis des imams», a expliqué le ministre des Affaires religieuses,M.Bouabdallah Ghlamallah, en marge de la réunion. Il s’agit, a-t-il ajouté, d’ «émettre une fetwa exhaustive» en vue de mettre fin aux différentes interprétations du caractère légitime ou pas, des crédits accordés. En termes plus clairs, cette réunion a pour but d’émettre une fetwa pour supprimer le taux d’intérêt dans les microcrédits. Si la décision de suppression des intérêts a été déjà prise par le Premier ministre, pourquoi alors palabrer si ils sont halals ou pas?
Le 11 mai dernier, lors de la visite qu’il avait effectuée à Laghouat, M.Sellal avait annoncé que «le taux d’intérêt de 1% imposé aux crédits bancaires sera annulé de manière définitive pour tous les projets d’investissement réalisés par les jeunes à travers le pays». Une annonce interprétée par les observateurs comme une manière de céder du terrain aux islamistes. Même si le cap des 100.000 micro-entreprises créées dans le cadre des dispositifs d’aide à l’emploi de jeunes a été franchi en 2012, il n’en demeure pas moins qu’une véritable polémique s’est créée au sein de la société à propos de la «riba», prêt usuraire que représentent les intérêts de ces crédits. Beaucoup de jeunes ont hésité à prendre ce genre de crédits, les qualifiant de non-conformes à la religion. Même des religieux se sont mis de la partie insistant auprès des jeunes à ne pas se soumettre à ces crédits «haram». Cette controverse n’a pas été médiatisée, mais elle était bien ancrée dans la société. Pour «préserver» la paix sociale ou plutôt continuer de l’acheter, le gouvernement a dû se plier à cette «exigence» strictement islamiste. Avant de trancher, n’aurait-il pas fallu ouvrir un débat national sur la question avec des représentants des banques, des hommes de religion, des chercheurs, des économistes…? Le recoupement des avis de ces experts suite à ce débat, n’aurait-il pas été plus à même à répondre à cette question?
La médiatisation de ces débats aurait permis la sensibilisation des jeunes sur la question. Nul n’ignore que la banque est une entreprise commerciale qui doit faire des bénéfices. Et dans ce cas là, des intérêts. Le Premier ministre lui-même avait évoqué cette réalité. A Laghouat, juste avant d’annoncer qu’il allait supprimer les intérêts des microcrédits, il avait soutenu que ces intérêts ne sont qu’une somme d’argent que prélèvent les banques à la faveur d’un service qu’elles vendent. Il avait souligné en outre, qu’il n’était pas un expert en religion, mais que la banque qui est une entreprise commerciale, doit bien générer des profits. M.Sellal est donc tout à fait conscient que le contexte actuel fait que l’on doit se plier à la réalité du marché. Mais pourquoi a t-il cédé aussi facilement aux islamistes? Surtout que dans ces intérêts il faut aussi prendre en compte la dévaluation du dinar qui ne cesse de dégringoler. On aurait pu détourner la chose, de façon hypocrite certes, en créant des banques islamiques qui ne prennent pas directement d’intérêt mais qui achètent le matériel pour lequel on veut contracter le crédit avant de nous le revendre plus cher. Cela n’aurait-il pas été plus judicieux que de céder directement? Car comme dirait l’expression populaire: Tu leur donnes un doigt, ils te prennent la main, tu leur donnes la main ils te prennent le bras»…