Faut-il donner de l’argent de poche à son enfant ou pas ? Les avis des parents sont partagés. La majorité d’entre eux est pour alors que d’autres opposent un niet catégorique. Pour ceux qui sont favorables, à partir de quel âge et combien donner ? est-on tenté de s’interroger…
La première à être questionneé est une mère de famille, active. Elle affirme donner 300 DA quotidiennement, en moyenne, à ses deux enfants scolarisés. « Le collégien, pour le moment, nécessite 200 DA alors que son frère qui est en 5e année primaire empoche 100 DA tous les matins », a-t-elle indiqué. Pour ce qui est du motif du « don », elle rétorque : « C’est un devoir de le faire et la privation mène à la petite puis à la grande délinquance ».
Dans le même sillage, un père de famille, qui arrive à peine à joindre les deux bouts, avoue que malgré sa situation financière, il n’hésite pas à répondre aux caprices de sa progéniture. « Je consacre une part de mon budget mensuel pour mes trois enfants. La somme est fixée à 1.400 DA chacun. Autrement dit, je leur donne l’argent des allocations familiales », a-t-il souligné. Un autre parent, médecin dans un hôpital, précise que l’argent de poche donné aux enfants « signifie pour eux une étape importante de la vie, c’est un signe d’autonomie ».
Tout en taisant la somme qu’il donne à ses enfants, il souligne : « Je donne de l’argent à mes enfants pour leur inculquer la valeur de l’argent, l’apprentissage de la gestion d’un budget et la notion de l’épargne. » Pour une autre mère de famille, épouse d’un commerçant, « donner de l’argent de poche à son enfant est une manière de le préparer à la vie dans laquelle l’argent tient une place essentielle ».
Zohra H. affirme qu’elle opte pour des sommes importantes qu’elle donne surtout dans les grandes occasions comme l’Aïd, les anniversaires… Cette dame précise que « l’argent se mérite. En échange de l’argent de poche, il y a des services rendus à la maison ». Autre son de cloche. Feriel, enseignante, veuve ayant une fille à charge avoue que celle-ci est une « amie » pour elle. « On fait tout ensemble ». Elle reconnaît qu’elle a chouchouté « à outrance » son enfant en lui achetant tout ce qu’elle désire mais ne lui donne jamais de l’argent de poche. « C’est ma manière de contrôler ses dépenses », a-t-elle indiqué.
ENTRE GADGETS, FRIANDISES ET CHIPS, DES ENFANTS VOIENT PLUS GRAND
Obtenir son argent de poche est le moment le plus savoureux de la semaine ou du mois. Voici le sentiment exprimé par la plupart des écoliers, collégiens et lycéens. Amine et Ryma, âgés respectivement de 8 et 9 ans, sont deux élèves d’une école primaire de la basse Casbah. Ils perçoivent leur argent de poche une fois par semaine. 200 DA pour la fille et 300 DA pour le garçon. La somme paraît « suffisante » pour la fille qui aime les friandises et les chips. Le garçon, plus dépensiern affirme qu’il sollicite, à chaque fois plus.
« Je reste beaucoup de temps à l’extérieur et j’aime bien grignoter comme mes copains ». Amine dit qu’il joue beaucoup au football et par voie de conséquence, il dépense plus dans les bonbons, les jus et les limonades. « Pour avoir plus, il faut travailler plus à l’école me dit à chaque fois mon père ». Aïssa, collégien au CEM Emir-Khaled, estime que la somme de 2.000 DA par mois lui suffit. Il habite à 10 minutes de marche de l’établissement. « Je dépense mon argent dans les jeux vidéo. J’ai plein de vidéos à la maison », reconnaît-il. Si pour Aïssa, la somme est suffisante, Belaïd, de la même classe, affirme qu’il vit son « indépendance ». Il a presque 5.000 DA par mois qu’il dépense dans le transport, les repas et le goûter. « Vu que je suis dans l’obligation de prendre les taxis ou les bus pour monter à El Biar, l’argent qu’on me donne à la maison ne me permet pas de le dépenser à ma guise.
Il m’arrive de ne pas payer le ticket de bus pour faire des économies et me permettre d’autres choses, comme les films, la connexion à Internet … », a-t-il confié. Leur camarade de classe, Sonia, « coûte » 2.000 DA par mois à ses parents. C’est son papa qui l’emmène à l’école à bord de son véhicule et lui donne une pièce de 100 DA tous les matins. Elle achète des friandises. A la maison, elle a tout ce dont elle a besoin. Sa copine Zahra estime que les 500 DA qu’on lui offre chaque semaine sont largement suffisants. Son argent de poche, elle le dépense dans … « les poupées », a-t-elle avoué avec un grand éclat de rire.
Elle veut devenir une grande « collectionneuse de Barbie ». Du côté du lycée Emir-Abdelkader, l’argent de poche, offert par les parents, n’est jamais suffisant. Ameur indique que cet argent a souvent été une source de querelles avec ses parents. Il estime que les 500 DA/ jour, c’est très peu. « Moi j’aime porter tous les jours quelque chose de beau et de nouveau », a-t-il indiqué. De son côté, Hamid qui habite à 500 mètres du lycée, aime les repas à l’extérieur.
« J’ai fait un marché avec mon père. Je ne lui demande rien d’autre que de prendre les repas dans des restaurants », a-t-il indiqué. En revanche, Djebbar a libèré ses parents de ce fardeau. Il s’est débrouillé un poste de vendeur dans une pizzeria à raison de trois heures par jour. Son « salaire » de 12.000 DA lui permet de se payer tout ce qu’il désire. Par contre, leur copine Sara est très dépensière : « Si on me donne un million de centimes, je peux le dépenser en une seule journée ».
Elle, qui perçoit 300 DA tous les jours, est attirée par le grand luxe. Pour cela, elle fait des économies d’une semaine pour se permettre, au moins une fois par semaine (mardi), de jouer dans la cour des grands. Les enfants sont débrouillards pour vivre en harmonie avec eux même. Chacun a son astuce ; cela va leur permettre d’apprendre à gérer l’argent d’une manière responsable. C’est une partie de leur préparation à l’indépendance et à leur future vie d’adulte.
UNE QUESTION D’AUTONOMIE
Pour le psychologue Ould Ali, conseiller d’orientation dans un lycée d’Alger, il n’existe pas de règle en la matière. « Donner de l’argent à l’enfant n’est pas une obligation, même dans une société où l’argent compte beaucoup ». Mais il estime, par ailleurs, que « Les trois-quarts des parents sont favorables au principe ».
Interrogé à quel âge les parents peuvent commencer à donner de l’argent aux enfants, M Ould Ali déclare que « l’autonomie financière des enfants progresse avec l’âge. Elle s’accompagne d’une plus grande régularité des versements. Ce processus d’autonomie varie selon les milieux sociaux et selon le type des études poursuivies ». Selon lui, et d’après son expérience, les enfants reçoivent davantage d’argent de poche lorsque leurs parents disposent de revenus importants et appartiennent à des familles aisées.
« Donner de l’argent n’a de sens que si l’enfant est capable de comprendre de quoi il s’agit. A 4 ans, on peut donner occasionnellement une pièce pour aller acheter une friandise, mais rien de plus », a-t-il souligné. Comment donner cet argent ? Existe-il des règles bien claires ? Pour ne pas tomber dans le piège de l’abus, le psychologue conseille les parents d’être réguliers et de choisir des versements échelonnés.
« De préférence, les parents donnent l’argent de poche une fois par semaine ou une fois par mois », a-t-il indiqué. Il recommande aussi à ce qu’ils fassent comprendre aux enfants que l’argent leur appartient. Ils peuvent l’utiliser comme ils l’entendent, mais en revanche, il n’est pas question de rallonge ou d’avance et « s’il n’a plus rien, tant pis pour lui ! » Pour plus de responsabilisation, Ould Ali suggère aux parents d’inciter les enfants à mettre un peu d’argent de côté pour s’offrir le jeu de leurs rêves… tout en leur interdisant l’achat de jouets dangereux et, bien sûr, les surveiller pour qu’ils n’achètent pas des cigarettes et autres produits nocifs à la santé. Les parents peuvent toutefois accorder des rallonges, dans des cas précis, selon notre interlocuteur. « Vous pouvez par exemple donner un peu d’argent pour une tâche particulière demandée tels que repeindre une porte, laver la voiture, faire de l’ordre dans le garage etc. », a-t-il indiqué. Par ailleurs, il recommande de ne pas rémunérer les bonnes notes à l’école. « Travailler à l’école ne doit pas être payé. Il faut qu’ils sachent qu’ils étudient pour eux ». En revanche, il encourage les parents à ne pas faire de chantage et conseille de parler librement et sans tabou d’argent.
« Pourquoi ne pas demander à l’enfant de vous expliquer ouvertement les motivations d’une augmentation, quels sont ses nouveaux besoins… » précise-t-il encore. Doit-on dire aux enfants comment dépenser leur argent ? « Surtout pas ! », a-t-il conseillé. Selon ses explications, les parents ne doivent pas contrôler les achats de leurs enfants. Donner de l’argent à son enfant a, principalement, un but éducatif : leur apprendre à gérer leur argent, les rendre autonomes. Et s’ils font des erreurs, cela les aide à se construire.
Abbas Aït Hamlat