Les plus hauts responsables militaires algériens se sont plaints ouvertement aux officiels américains du comportement laxiste du régime de Amadou Toumani Touré en matière de lutte contre le terrorisme dans la sous-région du Sahel. Une vision que partage l’administration des Etats-Unis d’Amérique.
Tarek Hafid – Alger (Le Soir) – Alger, le 19 octobre 2009. La sous-secrétaire adjointe pour l’Afrique au Bureau du secrétaire de la Défense, l’ambassadeur Huddleston Vicki, consacre la dernière journée de sa visite dans la capitale algérienne pour tenir une réunion avec Abdelmalek Guenaïzia, le ministre délégué à la Défense nationale. Le secrétaire général du ministère, le général major Ahmed Senhadji, ainsi que plusieurs officiers de haut rang assistent à cette réunion, dont l’ordre du jour est consacré à la situation au Sahel. Huddleston Vicki connaît très bien la région puisqu’elle a été ambassadeur des Etats-Unis au Mali. Et c’est précisément de ce pays qu’il sera question lors de cette réunion, indique un câble daté du 25 octobre 2009 et rédigé par David Pearce, l’ambassadeur des Etats-Unis à Alger.
Double langage et gros sous
Le ministre délégué à la Défense a précisé que le gouvernement d’Amadou Toumani Touré pratique un «double langage » en matière de lutte contre Al-Qaïda Maghreb. «Guenaïzia a déclaré qu’il y un problème de confiance avec le Mali (…) il y avait un « double langage » au Mali, les dirigeants politiques ne partagent pas l’engagement des chefs militaires», note le diplomate américain dans cette correspondance classée secret. Le câble fait également état d’une déclaration d’un officier supérieur algérien présenté comme responsable au sein de la DDSE. Ce dernier révélait l’existence de relation entre des fonctionnaires maliens et les chefs terroristes.
«Le général major s’est plaint du fait que des fonctionnaires maliens aient alerté les insurgés que leurs appels téléphoniques cellulaires étaient suivis. Cela a causé une fuite de renseignements sensibles. » Ce même responsable militaire algérien accuse une banque malienne (son nom a été supprimé dans le texte) d’être la «banque du terrorisme » et qu’elle servirait à recevoir les fonds de l’Aqmi, notamment ceux issus du trafic de drogue et les rançons versées pour libérer les otages occidentaux. «Nous devons supprimer cette banque, en soulignant le lien entre le trafic de drogue et de soutien pour le financement du terrorisme et de sa logistique. Il a accusé le Mali de faciliter les paiements de rançon pour les otages.
Il a estimé que le Mali offre un environnement commercial favorable pour les terroristes et considère que beaucoup de familles riches et puissantes au Mali ont bénéficié de ces transactions illégales», note Pearce. Ce même officier dénonce la stratégie de Bamako à sévir contre toutes les populations maliennes qui tentent de lutter contre les terroristes. Abordant la question du trafic de stupéfiants, Abdelmalek Guenaïzia a estimé que les tonnes de cannabis en provenance du Maroc servaient à financer les effectifs de l’Aqmi installés au Mali. «Le Maroc est une voie majeure pour la contrebande de cannabis et de haschich. Ce pays ne fait pas assez pour lutter contre ces trafiquants.»
Complicités et intervention
Les réponses de l’ambassadeur Huddleston Vicki tentent à prouver que l’administration américaine partage des points de vue quasi identiques au sujet du laxisme, voire l’implication directe du régime de Amadou Toumani Touré. La sous-secrétaire adjointe pour l’Afrique au Bureau du secrétaire de la Défense n’a pas hésité à parler de «complicité » pour le partage du butin. «Huddleston a convenu que la complicité au Mali sur le désir de partager le butin d’un trafic illégal semble avoir empiré depuis son mandat en tant qu’ambassadeur.
Elle a convenu que la coopération du Mali reste essentielle. Mais elle a déclaré que l’engagement du Mali est une tâche pour toute la région, pas seulement pour l’Algérie», écrit David Pearce. De son côté, Guenaïzia a expliqué qu’Alger voyait d’un mauvais œil l’intervention de «certains pays européens» dans la région. «Certains gouvernements européens ont essayé de s’insérer dans la réunion de Tamanrasset.» Il a déclaré sans ambages que «l’Afrique avait déjà connu une période de colonialisme.»
Renseignements et embargo
La question du soutien à l’Algérie a également été évoquée. Les responsables algériens ont plaidé pour le renforcement des échanges de renseignements ainsi que pour la levée de l’embargo sur certains équipements militaires. «Guenaïzia s’est plaint du fait que l’Algérie soit toujours confrontée à un embargo concernant la fourniture d’équipements techniques, y compris les mesures de lutte contre les IED (engins explosifs) ainsi que les équipements de collecte de renseignements.
Il a indiqué qu’une délégation de Northrop Grumman était attendue en Algérie pour discuter de l’acquisition d’une plate-forme de type Awacs installée sur une cellule de Boeing 737. L’Algérie a également besoin d’équipements sophistiqués afin de brouiller les moyens de déclenchement des IED. Les insurgés utilisent des téléphones cellulaires pour faire exploser les IED à distance, ce qui entraîne des pertes énormes pour les forces algériennes. Guenaïzia a déploré qu’en dépit de ce besoin essentiel, les partenaires de l’Algérie soient lents à répondre aux demandes en termes d’achat de brouilleurs. Il ne faisait pas référence directement aux mesures américaines en termes d’utilisation finale d’équipements de surveillance. Il a cependant fait part d’une anecdote à propos des difficultés de l’Algérie à acquérir des techniques de brouillage auprès du Portugal. «Une demande, a-t-il dit, qui est restée sans réponse durant plus d’un an».
Le câble rédigé par l’ambassadeur Pearce fait également état d’autorisation accordée par le gouvernement algérien à des avions de reconnaissance américains pour le survol du territoire national. Mais ce procédé ne semble pas avoir donné des résultats probants sur le plan opérationnel, fait savoir Guenaïzia à son interlocutrice. Cette dernière met en avant le coût de ce type d’opération (50 000 dollars US) et conseille au ministre délégué à la Défense d’aborder ce dossier avec le général Ward, le commandant en chef de l’Africom lors de sa prochaine visite à Alger.
T. H.